B  I  B  L  I  O  T  H  E  C  A    A  U  G  U  S  T  A  N  A
           
  Iustinus
floruit ca. 350 p. Chr. n.
     
   


A b r é g é   d e s
« H i s t o i r e s   P h i l i p p i q u e s »
d e   T r o g u e   P o m p é e


L i v r e   V

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De la guerre de Décélie à l'Anabase

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

La trahison d'Alcibiade, 1,1   Coalition contre Athènes, 1,5   Intrigues d'Alcibiade, 2,1  
Rappel d'Alcibiade, 3,1   Le navarque Lysandre, 5,1   Conon, 6,1  
Lysandre et la reddition d'Athènes, 7,1   La tyrannie des Trente, 8,8  
Thrasybule et le rétablissement de la démocratie 9,6  
La guerre entre Artaxerxès II et Cyrus le Jeune, 11,1.
 

      1        latin
La trahison d'Alcibiade 1 Tandis que les Athéniens faisaient pendant deux ans la guerre en Sicile avec plus d'ambition que de bonheur, l'instigateur et le chef de cette guerre, Alcibiade, absent d'Athènes, est accusé d'avoir dévoilé les mystères sacrés des rites d'initiation de Cérès 1, où il n'y avait rien de plus solennel que le secret, 2 et rappelé de la guerre pour être jugé 2, soit qu'il fut pris de remords, soit parce qu'il ne supportait pas cette atteinte à sa dignité, il partit pour l'exil en Élide, sans rien dire 3. 3 Quand il apprit qu'il avait non seulement été condamné 4, mais de plus voué aux Érynnies par les rites de tous les prêtres 5, il se rendit de là à Lacédémone 6 4 et y poussa le roi des Lacédémoniens à déclarer de lui-même la guerre aux Athéniens, ébranlés par leur lutte malheureuse en Sicile.
      Coalition contre Athènes 5 De ce fait, toutes les puissances souveraines de Grèce accoururent ensemble comme pour éteindre un incendie qui les menaçait toutes; 6 tant les Athéniens s'étaient attiré de haines par la cruauté de leur domination sans mesure. 7 Pour sa part, le roi des Perses Darius 7, se souvenant de la haine de son père et de son grand-père pour cette ville, après s'être allié avec les Lacédémoniens par l'intermédiaire du préfet de Lydie Tissaphernès 8, promet de payer les frais de la guerre. 8 Et c'était le motif affiché de l'alliance avec les Grecs; mais en réalité il craignait qu'après la défaite des Athéniens les Lacédémoniens ne tournent contre lui leurs armes. 9 Qui s'étonnera donc que les ressources si florissantes des Athéniens se soient effondrées alors que pour écraser une seule ville les forces de l'Orient entier se réunissaient. 10 Ils ne tombèrent cependant pas sans réagir ni dans une guerre non sanglante, mais en ayant combattu jusqu'au bout, vainqueurs même de temps en temps, anéantis plus par les changements de la fortune que vaincus. 11 Au commencement de la guerre, tous, même leurs alliés les avaient abandonnés, comme il arrive : là où penche la fortune, là aussi penche la faveur des hommes.

      2        
latin
Intrigues d'Alcibiade 1 Alcibiade également apporte son aide à la guerre faite à sa patrie, non par les services d'un homme de troupe, mais par les vertus d'un commandant en chef, 2 puisque, ayant reçu le commandement de cinq navires 9, il gagne l'Asie et pousse à la défection par l'autorité de son nom les cités tributaires des Athéniens 10. 3 Elles le savaient, en effet, illustre chez lui et ne le jugeaient pas amoindri par l'exil et elles estimaient qu'un général n'avait pas tant été enlevé aux Athéniens que donné aux Lacédémoniens, et que ses pouvoirs nouveaux compensaient ceux qu'il avait perdus. 4 Mais chez les Lacédémoniens, la valeur militaire d'Alcibiade lui avait attiré plus de haine que de faveur. 5 Pour cette raison, alors que les premiers citoyens avaient donné l'ordre de le tuer dans une embuscade 11, en tant que rival de leur gloire, Alcibiade, informé par l'épouse du roi Agis 12, qu'il avait séduite, s'enfuit chez le préfet du roi Darius, Tissaphernès, auprès de qui il s'insinua rapidement par son affable obligeance et sa déférence courtoise. 6 Il était en effet dans la fleur de l'âge et en imposait par sa beauté, et il n'était pas moins remarquable pour son éloquence, même parmi les Athéniens ; 7 cependant il était mieux doué pour se gagner des amitiés dévouées que pour les entretenir, parce que les défauts de son caractère se cachaient d'abord à l'ombre de son éloquence. 8 Donc, il persuade Tissaphernès de ne pas fournir une si grande contribution à la flotte des Lacédémoniens : 9 il fallait, disait-il, appeler à partager cette charge les Ioniens, pour la liberté desquels la guerre avait été entreprise, quand ils payaient tribut aux Athéniens, 10 mais les Lacédémoniens ne devaient pas non plus être aidés par des renforts avec trop de force, puisqu'il devait se souvenir qu'il bâtissait la victoire d'autrui, non pas la sienne, et il devait soutenir la guerre de loin de peur qu'elle ne soit abandonnée du fait du manque de ressources. 11 En effet, tant que les Grecs seraient divisés, le roi des Perses serait l'arbitre de la paix et de la guerre, et il vaincrait avec leurs propres armes ceux qu'il n'avait pu vaincre avec les siennes ; mais à coup sûr il lui faudrait combattre aussitôt les vainqueurs. 12 Ainsi, la Grèce devait s'user dans des guerres intestines pour qu'elle n'ait pas de loisirs pour les guerres extérieures, et il fallait égaliser les forces des factions et réanimer les plus faibles en leur apportant une aide. 13 Les Spartiates ne se reposeraient pas après cette victoire, puisqu'ils s'étaient proclamés les vengeurs de la liberté de la Grèce. 14 Ce discours fut bien accueilli par Tissaphernès ; c'est pourquoi il fournissait chichement des approvisionnements, il n'envoyait pas la flotte royale tout entière afin de ne pas leur donner la victoire ni les mettre dans l'obligation d'abandonner la guerre.

      3        
latin
Rappel d'Alcibiade 1 Pendant ce temps, Alcibiade mettait en relief auprès de ses concitoyens le service qu'il leur rendait. 2 Comme les ambassadeurs des Athéniens étaient venus le trouver, il leur promet l'amitié du roi si le gouvernement passait du peuple au sénat, 3 espérant, si la cité s'entendait, être choisi comme général par tous, ou alors, si la discorde s'établissait entre les ordres, être appelé au secours par l'un des partis 13. 4 Mais, devant le danger imminent de guerre, les Athéniens eurent un plus grand souci de leur salut que de leur dignité. 5 Et ainsi, le pouvoir est transféré au sénat avec l'assentiment du peuple 14. 6 Comme les sénateurs prenaient des décisions contraires au peuple avec l'orgueil inné de leur espèce, chacun d'eux revendiquant pour lui-même les excès de pouvoir de la tyrannie, Alcibiade l'exilé est rappelé par l'armée 15 et mis à la tête de la flotte. 7 Donc, il écrit aussitôt à Athènes qu'il va venir sans attendre et qu'il reprendra aux Quatre Cents les droits du peuple s'ils ne les rendent pas eux-mêmes. 8 Les optimates, terrifiés par cette proclamation, essayèrent d'abord de livrer la ville aux Spartiates, puis, comme ces derniers n'avaient pas voulu, ils partirent pour l'exil 16. 9 Donc, Alcibiade, une fois la patrie libéré de ce mal domestique, arme une flotte avec le plus grand soin et part ainsi directement en guerre contre les Lacédémoniens.

      4        
latin
1 Les généraux lacédémoniens Mindare et Pharnabaze 17 l'attendaient alors à Sestos, avec leurs navires prêts à combattre. 2 Le combat engagé, la victoire appartint aux Athéniens 18. Dans cette bataille, la plus grande partie de l'armée et presque tous les généraux ennemis furent massacrés, quatre-vingts navires furent pris. 3 Quelques jours après, alors que les Lacédémoniens avaient transporté la guerre de la mer sur la terre, ils sont vaincus à nouveau 19. 4 Découragés par ces malheurs, ils demandèrent la paix, et ceux à qui la situation procurait des bénéfices mirent tous leurs soins à empêcher qu'ils ne l'obtiennent 20. 5 Entre temps, la guerre suscitée en Sicile par les Carthaginois rappela les auxiliaires syracusains dans leur patrie 21. 6 Les Lacédémoniens étant amoindris par ces événements, Alcibiade ravage l'Asie avec la flotte victorieuse, livre combat en beaucoup d'endroits et, partout vainqueur, reçoit la soumission des cités qui avaient fait défection, s'empare de quelques unes et les ajoute à l'empire des Athéniens, et ayant ainsi assuré le retour de l'ancienne gloire navale et même ajouté le mérite de la guerre sur terre, il retourne à Athènes selon le désir de ses concitoyens 22. 8 Dans tous ces combats, deux cents navires ennemis et un immense butin furent pris. 9 Toute une multitude répandue s'avançe au devant de l'armée qui revenait triomphalement et, certes, elle admire tous les soldats, mais surtout Alcibiade. 10 C'est vers lui que la cité entière fixe ses regards, que se tournent les visages; ils le contemplent comme s'il était un envoyé du ciel et la Victoire elle-même; 11 ils glorifient ce qu'il a accompli pour la patrie, et n'admirent pas moins ce que, exilé, il a accompli contre elle, lui trouvant eux-mêmes comme excuse le fait qu'il ait agi après avoir été mis en colère et provoqué. 12 Et à la vérité, ils s'étonnent de ce qu'un seul homme ait eu un poids suffisant pour avoir avoir été à l'origine de la destruction, puis de la restauration, d'un très grand empire, et pour que là où il se trouvait, la victoire s'y fût transportée, et qu'un extraordinaire changement de la fortune l'ait accompagné. 13 Donc, ils le comblent d'honneurs 23, non seulement humains, mais encore divins; ils débattent eux-même entre eux pour savoir s'ils l'ont exilé avec plus de mépris qu'ils ne l'ont rappelé avec plus d'honneur. 14 Avec des actions de grâce, ils portèrent à sa rencontre les dieux-mêmes aux malédictions desquels il avait été voué, 15 et celui à qui peu auparavant ils avaient interdit toute commerce humain, ils désireraient le placer dans le ciel, s'ils en avaient le pouvoir. 16 Ils donnent satisfaction aux outrages par des honneurs, aux confiscations par des présents, aux malédictions par des prières 24. 17 Pour eux, ce n'est pas la malheureuse guerre de Sicile qu'ils voient, mais la victoire de Grèce; ce ne sont pas les flottes perdues à cause de lui, mais celles qu'il a gagnées; ce n'est pas de Syracuse, mais de l'Ionie et de l'Hellespont qu'ils se souviennent. 18 Ainsi Alcibiade ne fut jamais reçu par ses concitoyens avec des sentiments mesurés, ni dans la disgrâce ni dans la faveur.

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latin
Le navarque Lysandre 1 Pendant ces événements, Lysandre est mis à la tête de la flotte par les Lacédémoniens 25 et, d'autre part, le roi des Perses Darius mit à la tête de l'Ionie et de la Lydie, en remplacement de Tissaphernès, son propre fils Cyrus 26, qui fit reprendre aux Lacédémoniens l'espoir de retrouver leur fortune première, grâce à des renforts et à des subsides. 2 Accrus donc par ces forces, ils écrasèrent dans une attaque soudaine Alcibiade, parti pour l'Asie avec cent navires, pendant que ce dernier ravageait en toute sécurité des contrées enrichies par une longue paix et avait ses soldats éparpillés par l'attrait du butin sans crainte d'embuscades; 3 si grand fut le massacre des soldats débandés que les Athéniens reçurent de cette bataille une blessure plus grande que celles qu'ils avaient infligées dans les précédentes 27, 4 et il y avait chez les Athéniens un si grand désespoir qu'ils remplacèrent incontinent le général Alcibiade par Conon 28, 5 pensant qu'ils n'avaient pas été vaincus par la fortune de la guerre mais par la fourberie du général en chef, pour qui l'offense première avait eu plus de valeur que les récents bienfaits, 6 et qu'Alcibiade, pour sa part avait, disait-on, remporté la victoire dans la bataille précédente pour la seule raison de montrer aux ennemis quel général ils avaient méprisé, et afin de leur vendre plus cher la victoire elle-même. 8 En effet, on pouvait tout croire d'Alcibiade, du fait de la puissance de son talent et du relâchement de ses mœurs. 9 Redoutant, en conséquence, une insurrection populaire, il s'exile volontairement pour la seconde fois 29.

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Conon 1 C'est ainsi que Conon fut mis à la place d'Alcibiade; ayant à l'esprit à quel général il avait succédé, il équipe une flotte avec le plus grand zèle ; 2 mais les navires manquaient de combattants, tous les hommes les plus courageux étant tombés au cours de la dévastation de l'Asie. 3 On arme cependant les vieillards et les enfants impubères et on complète le nombre des soldats, sans pour cela renforcer l'armée. 4 De fait, jeunes ou vieux, inaptes à la guerre, ne donnent pas grand répit aux opérations ; ils sont massacrés çà et là, ou bien fait prisonniers pendant qu'ils s'enfuient 30; il se fit un si grand amas de tués ou de prisonniers que ce ne fut pas seulement l'empire des Athéniens qui paraissait détruit, mais encore leur nom. 5 Dans une situation irrémédiable et désespérée à la suite de ce combat, ils sont réduits à un tel manque de ressources que, tous ceux en âge de ce battre ayant disparu, ils donnaient le droit de cité aux pérégrins, la liberté aux esclaves, l'impunité aux condamnés 6 et, ayant levé une armée à partir de cette lie de l'humanité, ceux qui étaient auparavant les maîtres de la Grèce sauvegardaient avec peine leur liberté. 7 Cependant ils décident de tenter de nouveau la fortune de la mer 31. 8 Ils étaient animés de tant de courage que, alors que, peu de temps auparavant, ils avaient désespérés de leur salut, à présent ils ne désespéraient pas de la victoire. 9 Mais ce n'était pas cette espèce de soldat qui sauvegarderait le nom des Athéniens, et il n'y avait ni les forces avec lesquelles ils s'étaient accoutumés à vaincre, ni science militaire, chez des gens qui n'avaient pas vécu dans les camps, mais dans les fers ; pour ces raisons, ils furent tous pris ou tués 32. 10 Comme le général Conon était le seul survivant du combat, craignant la cruauté de ses concitoyens, il se rendit avec huit navires auprès du roi de Chypre 33. Or Évagoras 34 <...>.

      7        
latin
Lysandre et la reddition d'Athènes 1 Ayant fait campagne avec bonheur, le chef des Lacédémoniens fait insulte à l'infortune de ses ennemis. 2 Il envoie à Lacédémone les navires capturés, parés de manière triomphale, avec le butin de guerre ; 3 il reçoit la reddition volontaire des cités tributaires 35 des Athéniens dont la crainte du sort incertain de la guerre avait maintenu la fidélité, et, des possessions des Athéniens, il ne leur laisse rien d'autre que la ville elle-même. 4 Alors que tout cela avait été annoncé à Athènes, tous, blêmes, ayant abandonné leurs maisons, courraient en tout sens à travers la ville, s'interrogeaient les uns les autres, recherchaient la source de l'annonce ; 5 l'insouciance ne retient pas les enfants à la maison, ni la faiblesse les vieillards, ni l'impuissance de leur sexe les femmes : tant le sentiment d'un si grand malheur avait pénétré tous les âges. 6 Ensuite, ils se réunissent sur la place publique et, là, pendant toute la nuit, ils reviennent avec des gémissements sur l'infortune de l'état. 7 Les uns pleurent leurs frères, leurs fils, ou leurs pères, d'autres, leurs parents, d'autres encore, des amis plus chers que des parents, et ils mêlent leurs lamentations civiques à leurs malheurs privés : 8 jugeant que désormais ils vont périr eux-mêmes avec leur patrie, et que le sort des survivants est plus misérable que celui des disparus ; 9 chacun voyant des yeux à l'avance le siège, la famine, et l'ennemi insolent et victorieux ; 10 chacun se représentant déjà en pensée la destruction et l'incendie de la ville, la captivité de tous et la servitude la plus misérable ; 11 pensant que la destruction précédente de la ville a été à coup sûr plus fortunée, puisqu'il en avait seulement coûté la destruction des maisons, tandis qu'enfants et parents étaient sains et saufs. 12 Mais maintenant, il ne restait plus de flotte sur laquelle se réfugier comme naguère, plus d'armée telle que, sauvés par son courage, ils pourraient construire de plus belles murailles 36.

      8        
latin
1 Les ennemis se jettent sur la ville ainsi pleurée et presque perdue ; ils mettent le siège tout autour et pressent les assiégés par la famine 37. 2 Ils savaient en effet qu'il ne restait plus grand chose à ces derniers des approvisionnements qui y avaient été apportés, et ils veillaient à ce que de nouveaux ne puissent y être apportés. 3 Anéantis par ces malheurs, après une longue famine et les cortèges funèbres ininterrompus des leurs, les Athéniens demandèrent la paix : entre les Spartiates et leurs alliés, on débattit longtemps sur la question de savoir si on devait la leur accorder, ou non. 4 Comme beaucoup étaient d'avis qu'il fallait abolir le nom des Athéniens et consumer la ville dans un incendie 38, les Spartiates dirent qu'ils n'arracheraient pas l'un des deux yeux de la Grèce : 5 ils promirent la paix si les Athéniens démantelaient les éléments du mur qui se développait jusqu'au Pirée, livraient les navires qui leur étaient restés, et acceptaient trente gouverneurs pour leur état, choisis dans leur sein. 6 La ville s'étant livrée selon ces clauses, les Lacédémoniens la livrèrent à Lysandre pour en organiser le gouvernement. 7 Cette année se distingua par la prise d'Athènes, la mort du roi des Perses Darius, l'exil de Denys, tyran de Sicile 39.
      La tyrannie des Trente 8 Le statut d'Athènes ayant changé, la condition de ses citoyens change aussi. 9 On constitue trente gouverneurs pour l'état, ils deviennent des tyrans ; 10 de fait, pour commencer, ils se donnent une garde de trois mille hommes, presque autant qu'il avait survécu de citoyens après tant de massacres 40, 11 et, comme si cette armée était faible pour tenir la cité, ils reçoivent des vainqueurs sept cents soldats 41. 12 Ensuite, ils inaugurent les assassinats de citoyens par celui d'Alcibiade, de peur qu'il ne s'emparât de nouveau de l'état sous prétexte de le délivrer. 13 Alors qu'ils avaient découvert qu'Alcibiade était parti auprès du roi des Perses, Artaxerxès, ils envoyèrent à marches forcées des gens pour l'intercepter ; 14 comme, après avoir rejoint Alcibiade, ils ne pouvait le tuer ouvertement, il fut brûlé vif dans la chambre où il dormait 42.

      9        
latin
1 Délivrés de la peur de ce vengeur, les tyrans épuisent de massacres et de pillages les restes misérables de la ville. 2 Alors qu'ils avaient appris que cela déplaisait à l'un de leur bande, Théramène, ils le tuent lui-même à la terreur de tous 43. 3 C'est pourquoi, tous fuient la ville en désordre et la Grèce se remplit d'exilés athéniens 4 et alors que cette ressource même était aussi arrachée aux malheureux car, par un édit des Lacédémoniens, il avait été interdit aux cités de recevoir des exilés, ils se rendirent tous à Argos et à Thèbes ; 5 là, ils vécurent non seulement leur exil en sécurité, mais encore ils retrouvèrent l'espoir de recouvrer leur patrie.
      Thrasybule et le rétablissement de la démocratie 6 Parmi les exilés se trouvait Thrasybule, un homme énergique et bien connu dans sa patrie, qui, ayant pensé qu'il fallait faire acte d'audace pour la patrie et le salut commun, même en courant un danger, s'empare de Phylè, forteresse sur la frontière de l'Attique 44, après avoir rassemblé les exilés. 7 Et il ne leur manquait pas l'approbation de certaines cités qui avaient pitié d'un sort si cruel. 8 Ainsi, d'une part Ismènias, le premier citoyen de Thèbes, les aidait avec des troupes privées, même s'il ne pouvait le faire avec les troupes de sa cité, 9 et, d'autre part, l'orateur syracusain Lysias, alors exilé, envoya cinq cents soldats, équipés à ses frais, au secours de la patrie commune de l'éloquence 45. 10 Ainsi il se fit un combat acharné. Mais comme d'un côté on combattait pour sa patrie avec la plus grande énergie, de l'autre, sans trop de souci, en faveur d'une domination étrangère, les tyrans sont vaincus. 11 Les vaincus se réfugient dans la ville qu'ils avaient déjà épuisée par les massacres qu'ils y avaient accomplis et la dépouille même de ses armes. 12 Ensuite, comme ils tenaient tous les Athéniens pour suspects de trahison, ils leur ordonnent d'abandonner la ville et d'habiter dans les Longs Murs qui avaient été détruits, protégeant leur pouvoir avec des soldats étrangers. 13 Après cela, ils s'efforcent de corrompre Thrasybule en lui promettant un partage du pouvoir. 14 Faute d'y avoir réussi, ils demandèrent des secours aux Lacédémoniens et les ayant reçus, ils combattent de nouveau. 15 Dans cette bataille, tombent Critias et Hippolochos, les plus cruels des tyrans.

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1 Une fois les autres tyrans vaincus, alors que s'enfuyait leur armée dont les Athéniens formaient la majeure partie, Thrasybule demande d'une voix forte pourquoi ils fuient le vainqueur plutôt que d'aider le vengeur de la liberté commune ? 2 Qu'ils se rappellent que cette armée était celle de leurs concitoyens, non pas celle des ennemis, et que lui-même n'avait pas pris les armes pour enlever quelque chose aux vaincus, mais pour leur rendre ce qui leur avait été enlevé : il faisait la guerre aux trente seigneurs, non à la cité. 3 Il leur rappelle ensuite leur parenté, les lois, les cultes, leurs biens communs, leur vieux compagnonnage d'armes au long de tant de guerres ; il les prie d'avoir pitié de leurs concitoyens exilés, même s'ils ont eux-mêmes tant de patience dans la servitude, de lui rendre sa patrie, de recevoir la liberté. 4 Ces paroles eurent tant d'effet que l'armée revenue dans la ville ordonna aux trente tyrans d'émigrer à Eleusis, après en avoir mis dix à leur place pour qu'ils gouvernent l'état. 5 Ces derniers, sans crainte malgré l'exemple de la domination précédente, s'engagèrent dans la même voie de cruauté. 6 Pendant que cela se passe, on annonce à Lacédémone que les Athéniens se sont enflammés pour la guerre ; pour l'étouffer, le roi Pausanias est envoyé, 7 et celui-ci, ému de pitié pour les exilés de la population rend leur patrie aux pitoyables citoyens et ordonne aux dix tyrans d'émigrer à Eleusis auprès des autres. 8 Comme la paix avait été décidée dans ces circonstances, soudain au bout de quelques jours les tyrans s'indignent de ce que les exilés aient été rétablis non moins que de ce qu'eux-mêmes aient été envoyés en exil, comme si, à la vérité, la liberté des autres était leur propre servitude, et ils déclarent la guerre aux Athéniens. 9 Mais, s'étant avancés pour parlementer dans l'idée qu'ils allaient reprendre leur pouvoir, ils sont pris au piège et massacrés en victimes sacrifiées à la paix. La population qu'ils avaient contrainte à émigrer est rappelée dans la ville. 10 Et ainsi la cité dispersée en mille morceaux est enfin reconstruite en un seul corps, 11 et de peur que quelque discorde ne naisse des actes antérieurs, tous s'engagent par serment à oublier les discordes 46. 12 Pendant ce temps, les Thébains et les Corinthiens envoient des ambassadeurs aux Lacédémoniens pour demander une part du butin qui avait été pris au cours d'une guerre commune et au péril commun. 13 Les ambassadeurs ayant essuyé un refus, les Thébains et les Corinthiens ne décident pas, certes, de faire ouvertement la guerre aux Lacédémoniens, mais, dans le secret de leur coeur, ils conçoivent une si grande colère que l'on pouvait comprendre que la guerre couvait 47.

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La guerre entre Artaxerxès II et Cyrus le Jeune 1 Il se trouve qu'à la même époque, le roi des Perses Darius meurt; il laissait deux fils Artaxerxès et Cyrus 48. 2 Il légua par testament à Artaxerxès le pouvoir royal, et à Cyrus les cités dont il était le gouverneur 49. 3 Mais la décision paternelle paraissait injuste à Cyrus; c'est pourquoi il préparait secrètement la guerre contre son frère 50. 4 Quand cela fut annoncé à Artaxerxès, il fit lier avec des chaînes d'or son frère convoqué auprès de lui, qui faisait l'innocent en dissimulant la guerre, et il l'aurait fait tuer si leur mère ne l'en avait empêché. 5 Donc, laissé libre de partir, Cyrus commence à préparer la guerre, non plus en cachette, mais aux yeux de tous, non plus avec dissimulation, mais en le proclamant ouvertement; il rassemble des troupes auxiliaires venues de partout. 6 Les Lacédémoniens, se souvenant que, au cours de la guerre contre Athènes, ils avaient été aidés énergiquement de son fait, décrètent l'envoi d'auxiliaires à Cyrus quand sa situation l'exigerait, 7 cherchant l'amitié de Cyrus, et, du côté d'Artaxerxès, au cas où il serait vainqueur, des excuses pour se faire pardonner, puisqu'ils n'avaient rien décrété ouvertement contre lui. 8 Mais comme au cours de la guerre le hasard du combat avait fait s'affronter les deux frères, Artaxerxès fut, le premier, blessé par son frère; 9 alors que la fuite de son cheval l'avait arraché au danger, Cyrus, pressé par la cohorte royale, est tué 51. C'est ainsi qu'Artaxerxès, vainqueur, est maître à la fois du butin de guerre et de l'armée de son frère. 10 Dans ce combat, Cyrus avait parmi ses troupes auxiliaires dix mille Grecs qui furent victorieux à l'aile où ils se trouvaient et qui, après la mort de Cyrus ne purent être vaincus par les armes par une si grande armée, ni être faits prisonniers par ruse; 11 et, revenant au milieu de tant de tribus indomptées et de peuples barbares, par un si long chemin, ils se défendirent grâce à leur valeur militaire jusqu'aux bornes de leur patrie 52.

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1   En fait, la double accusation contre Alcibiade : avoir participé à la mutilation des Hermès et avoir parodié les mystères d'Éleusis est antérieure au départ de la flotte athénienne pour la Sicile, vers le 1er juil. 415 a.C. L'Assemblée avait décidé l'arrestation des accusés, sauf celle d'Alcibiade qui ne devrait se justifier qu'après le retour de l'expédition dont il était l'un des trois chefs. L'affaire, extrêmement complexe est connue par Thucydide 6, 28-29 et le plaidoyer d'Andocide Sur les Mystères; le premier n'était pas à Athènes à l'époque, et le second était l'un des accusés. La Vie d'Alcibiade par Plutarque fournit quelques renseignements supplémentaires, puisés à d'autres sources.
 
2   La Salaminienne fut envoyée en Sicile pour ramener Alcibiade et quelques autres Athéniens, accusés avec lui selon la procédure d'eisaggelia. Le navire officiel arriva à Catane environ deux mois après le départ de la flotte athénienne du Pirée, et non deux ans après comme l'écrit Justin ; ces deux ans correspondent à la durée totale de la malencontreuse expédition de Sicile.
 
3   Cf. supra 4,4,4.
 
4   Alcibiade condamné à mort par contumace et ses biens furent confisqués.
 
5   Les sources divergent sur ce point : les imprécations décrétées devaient être prononcées, soit seulement par le clergé d'Éleusis (Nepos, Alc., 4,5 ; Diodore, 13, 69), soit par les prêtres de tous les cultes athéniens (Andocide, 4,51 : kai iereiV panteV kathrasanto), comme le dit Justin. Plutarque présente concuremment les deux versions (Alc., 22 et 33).
 
6   Alcibiade arrivé à Sparte pendant l'hiver 415/414, après un bref passage à Élis, puis à Argos. Son discours à l'Assemblée est recomposé par Thucydide (6, 89-93).
 
7   Darius II Ochos (424-404) "Nothos", un bâtard d'Artaxerxès Longuemain, qui était satrape d'Hyrcanie à la mort de son père et avait fait tuer un premier usurpateur, Sogdianos, bâtard d'Artaxerxès lui aussi.
 
8   Il y eut trois traités successifs avec les Lacédémoniens entre 412 et 411 a.C.
 
9   Au printemps de 412, Alcibiade partit avec une flotille commandée par Chalcideus, dont il prit ensuite le commandement après la mort de l'amiral, tué devant Milet ; il semble que les Spartiates désiraient surtout se débarasser de lui, après le scandale public de sa liaison avec Timaia, l'épouse d'Agis II (427-399 a.C.). Alcibiade avait été surpris sortant de chez la reine, lors du tremblement de terre de l'hiver précédent. Timaia donna naissance à Léotychidès (automne 412), qui fut écarté du trône pour bâtardise, au bénéfice de son oncle Agésilas.
 
10   Chios, Érythrées, Clazomènes, Téos, Milet et Lesbos, en 412 a.C.
 
11   L'ordre avait été transmis à Astyochos, alors à Milet avec Alcibiade (Thucydide, 8,45,1).
 
12   La source de Trogue Pompée serait ici Douris de Samos (cf. Plutarque, Alc. 32).
 
13   En 411 a.C. La tentative de changement d'alliance est développée par Thucydide (8,47-80).
 
14   Le gouvernement oligarchique (conseil des Quatre-Cents, créé en juin 411 a.C.) entame des négociations avec les Spartiates.
 
15   Les marins athéniens de la flotte basée à Samos, qui étaient restés fidèles au régime démocratique, élisent de nouveaux stratèges, dont Thrasybule, qui fait revenir d'exil et élire stratège Alcibiade.
 
16   En sept. 411 a.C. Une partie des oligarques s'enfuit à Décélie, les autres furent condamnés.
 
17   Expression impropre : si Mindare est bien le navarque de Sparte, le Perse Pharnabaze est satrape de Phrygie.
 
18   Victoire d'Abydos, oct. 411.
 
19   La bataille de Cysique, livrée sur mer, puis sur terre.
 
20   C'est le démagogue Cléophon qui fit repousser la proposition des Spartiates.
 
21   Destruction de Sélinonte par les Carthaginois en 409 a.C.
 
22   Alcibiade, élu stratège en son absence pour l'année 408/7, revint à Athènes en juin 408 a.C. après son expédition sur les côtes de Carie et de Samos.
 
23   Alcibiade est dit alors hgemwn autokratwr.
 
24   Alcibiade fut, entre autres, réhabilité par les prêtres d'Éleusis à qui il fit célébrer les mystères selon les anciens rites.
 
25   Lysandre, fils d'Aristocritos, est navarque en 408/407.
 
26   En fait, Cyrus le Jeune, fils de Darius II et de la reine Parysatis, reçut le titre de prince souverain et le commandement en chef des troupes d'Asie mineure, mais Tissaphernès resta satrape de Lydie jusqu'en 395 a.C.
 
27   Il y eut plusieurs batailles de suite au printemps 407 a.C., qui furent perdues par les Athéniens (Diodore, 13,73,3-5; Xénophon, Hell. 1,4,21-23; 1,5,11-14).
 
28   Conon avait été stratège en 414/3; il fut réélu en remplacement d'Alcibiade au cours des élections extraordinaires de 407 a.C.
 
29   Alcibiade se réfugia en Chersonèse de Thrace.
 
30   Bataille devant le port de Mytilène, suivie du blocus maritime d'Athènes.
 
31   Les Athéniens remportent alors une grande victoire aux îles Arginuses (août 406 a.C.).
 
32   Défaite athénienne d'Ægos Potamos en août 405 a.C.
 
33   Évagoras Ier, roi de Salamine de Chypre (411-374).
 
34   Justin a fait ici une coupure maladroite dans le texte de Trogue Pompée, qui devait parler des réactions d'Évagoras. La correction de bon sens des éditeurs depuis Ruehl (concedit Euagoram. Lysander autem,) ne se justifie pas paléographiquement.
 
35   Toutes les cités abandonnèrent Athènes, sauf Samos dont les citoyens reçurent en récompense la citoyenneté athénienne en 405 a.C.
 
36   Développement rhétorique classique, étayé par un rappel des événements de la seconde guerre médique que Justin a rapporté à la fin du livre II (12 et 15).
 
37   Siège d'Athènes pendant l'hiver 405-404 : les deux rois de Sparte, Agis II et Pausanias II, assiègent Athènes sur la terre ferme, tandis que Lysandre bloque la cité du côté de la mer.
 
38   Opinion de Corinthe et de Thèbes, selon Xénophon (Hell. 2,2,19; 3,5,8), de Lysandre lui-même selon Pausanias (3,8,6) et Diodore (15,63,1).
 
39   Il ne s'agit pas du premier exil de Denys le Jeune, tyran de Syracuse, qui prend place un demi siècle plus tard, mais d'un épisode de la tyrannie de son père, Denys l'Ancien, qui se retira un moment dans l'îlot d'Ortygie, sous la pression d'une révolte de mercenaires en 404 a.C.
 
40   Le corps civique a bien été réduit à trois mille citoyens par les Trente, mais la garde n'est que de trois cents hommes.
 
41   Garnison spartiate, commandée par l'harmoste Callibios.
 
42   Alcibiade fut assassiné en 404 a.C., sur l'ordre du satrape Pharnabaze. La demande en avait été faite par Critias, l'un des Trente, et appuyée par Lysandre.
 
43   Théramène fut condamné à boire la ciguë en oct. 404 a.C.
 
44   En nov. 404 a.C.
 
45   L'orateur Lysias, métèque d'Athènes, s'était réfugié à Mégare sous la tyrannie des Trente qui avait tué son frère Polémarque, et confisqué les biens de sa famille. Malgré les promesses de Thrasybule, Athènes n'accepta pas de donner le droit de cité aux métèques qui avaient aidé au rétablissement de la démocratie.
 
46   Décret d'amnistie.
 
47   Annonce de la guere de Corinthe (395-386 a.C.), qui voit l'alliance de Corinthe et de Thèbes avec Athènes et Argos, contre les Spartiates.
 
48   404 a.C. Artaxerxès II Mnemon était l'aîné, mais la reine Parysatis favorisait son fils cadet Cyrus.
 
49   Cf. supra, 5,5,1.
 
50   En fait, il avait tenté de le faire assassiner.
 
51   Bataille de Cunaxa en 401 a.C.
 
52   Les Grecs, commandés par Cheisophoros et Xénophon, qui le raconte dans son Anabase, passèrent par la vallée du Tigre et l'Arménie pour atteindre Trapézonte en mars 400 a.C.