B  I  B  L  I  O  T  H  E  C  A    A  U  G  U  S  T  A  N  A
           
  Iustinus
floruit ca. 350 p. Chr. n.
     
   


A b r é g é   d e s
« H i s t o i r e s   P h i l i p p i q u e s »
d e   T r o g u e   P o m p é e


P r é f a c e 1

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latin     1 Alors que beaucoup de Romains, et même des hommes de dignité consulaire, avaient composé en réunissant les faits et gestes des Romains une histoire dans une langue étrangère, le grec 2, un homme d'une éloquence antique, Trogue Pompée, soit pour rivaliser de gloire avec eux, soit parce que la diversité et la nouveauté de la tâche lui plaisaient, composa en langue latine une histoire de la Grèce et du monde entier, afin que, comme ce qui nous concernait pouvait être lu en grec, ce qui concernait les Grecs pût être lu également dans notre langue : il s'attaqua là, à coup sûr, à une entreprise qui demandait beaucoup de talent et de vigueur. 2 En effet, alors que la plupart des auteurs qui écrivent l'histoire d'un roi ou d'une cité 3 à la fois ont chacun l'impression que leur œuvre personnelle nécessite un travail ardu, est-ce que Pompée qui s'est attaqué au monde entier ne doit pas nous paraître d'une hardiesse herculéenne lui dont les livres embrassent l'histoire de tous les siècles, de tous les rois, de toutes les peuplades et de toutes les cités 4? 3 Et tout cela, dont les historiens grecs s'occupèrent en bonne intelligence les premiers, chacun selon sa convenance, en laissant de côté ce qui était sans profit, Pompée en fit une composition après l'avoir divisé selon les époques et ordonné selon l'enchaînement des faits. 4 Donc, de ces quarante-quatre volumes — c'est en effet le nombre qu'il a publié —, j'ai extrait, au cours des loisirs que nous passions 5 à Rome, ce qui était le plus digne d'être connu, et, ayant omis ce qui n'était ni attrayant à apprendre, ni indispensable comme exemple 6, j'ai fait un bref recueil, un florilège pour ainsi dire, afin que ceux qui avaient fait des études en grec l'aient pour se rafraîchir la mémoire, et que ceux qui n'ont pas fait ces études l'aient pour s'instruire. 5 Ce recueil, je te l'ai fait remettre, non pas tant pour t'apprendre quelque chose que pour que tu le corriges, en même temps que pour établir auprès de toi le bilan de mes loisirs, ces loisirs dont Caton 7 aussi pense qu'il faut rendre compte. 6 Il me suffit en effet, pour le présent, de ton jugement : auprès des générations à venir, quand la malveillance de l'esprit de dénigrement aura disparu, j'aurai un témoignage de mon activité.

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1   Selon certains auteurs, Justin aurait intercalé dans sa préface certains éléments d'une épître dédicatoire que Trogue Pompée aurait mise en tête de son œuvre (Seel, Die Praefatio..., p. 14-18 et Pompei Trogi Fragmenta, p. 15-18). Le tableau de l'annexe 2 montre quelles sont les phrases de la préface originale de Trogue Pompée que Justin, selon moi, aurait pu réutiliser. Cette reconstitution ne peut s'appuyer sur aucune preuve textuelle extérieure à la préface, elle est, comme telle, éminemment fragile.
 
2   Les premiers historiens romains furent, au IIIe s. a.C., des aristocrates qui écrivirent des Annales en grec, essentiellement pour des lecteurs grecs ou hellénophones : cette première annalistique, dite «sénatoriale», a créé une histoire nationale, à fondement semi légendaire, qui exaltait le rôle des grandes familles du temps et leur inventait au besoin des ancêtres. Les auteurs les plus connus sont le patricien Q. Fabius Pictor (c. 254-ap.216 a.C, le sénateur plébéien L. Cincius Alimentus (préteur en 211 a.C., et deux représentants de la famille patricienne des Cornelii Scipiones : P. Cornelius Scipio († c.170 a.C.), le fils de l'Africain, qui, flamine de Jupiter, ne fit pas de carrière, et le grand pontife P. Cornelius Scipio Nasica Corculum, prince du sénat en 147 a.C. Dans la génération qui suivit celle de Caton, le créateur de la prose latine, deux sénateurs choisirent encore le grec pour rédiger des Annales : le patricien A. Postumius Albinus, consul en 151 a.C. et le plébéien C. Acilius Glabrio, qui fut l'interprète de l'ambassade des philosophes athéniens à Rome en 155 a.C. (cf. mon livre, Histoire et politique à Rome, p. 58-64 et 68-69). Les œuvres de ces annalistes, presque entièrement perdues, ont servi de source aux historiens postérieurs, principalement les Grecs Polybe, Denys d'Halicarnasse, Plutarque, et le Latin Tite-Live.
 
3   Le populus est l'ensemble des citoyens d'une cité déterminée : c'est dans cette acception que Justin emploie le plus souvent le terme (cf. livres 18, 28, 32, 34, 36, 37, 38). Je pense qu'on a là une synecdoque, c'est pourquoi je traduis par cité.
 
4   Justin suit la distinction en trois types des organisations politiques habituelles chez les auteurs romains : les royaumes, les populations nomades ou semi-nomades vivant en clans et en tribus, et les citoyens des cités (cf. Salluste, Cat., 10 : ubi [...] reges magni bello domiti, nationes ferae et populi ingentes ui subacti...
 
5   Ce ne semble pas être un «nous» de modestie : le verbe uersabamur est immédiatement suivi par un autre verbe à la première personne, excerpsi ; la circonstance de composition de l'œuvre, indiquée par le membre de phrase per otium quo in Vrbe uersabamur, c'est à dire une période de loisirs passée à Rome, a été partagée par deux personnes au moins, qu'il faut sans doute identifier avec l'auteur (Trogue Pompée ou Justin ?) et son dédicataire.
 
6   Exemplum est pris ici à la fois au sens rhétorique, et au sens moral.
 
7   Caton l'Ancien est cité d'après Cicéron (Pro Cn. Plancio 66) : Cato...in principio scripsit Originum suum...clarorum uirorum atque magnorum non minus otii quam negotii rationem exstare oportere. L'aphorisme fut plus tard plaisamment détourné par Galba qui, au temps de son gouvernement d'Espagne, avait l'habitude de dire que nul n'était contraint de rendre compte de ses loisirs  (dicere solebat quod nemo rationem otii sui reddere cogeretur. Suétone, Galba, 9,4).