BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Christine de Pizan

vers 1364 - vers 1431

 

L'Avision de Christine

 

La tierce partie

 

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XXII

Encore de reconfort

 

Amie chiere par ce que dit tay me semble que assez doit souffire au propos que au premier ie promis te monstrer ton tort des grans reclaims que mas fais de tribulacions que tu dis avoir passees/ nestre si grandes que tu les poises/ et aussi que pour ton prouffit te sont permises se en toy ne tient/ Asses me semble tay prouve souffisamment mais sur le temps present ou quel tu dis encores durer tes infortunes ou tu ne vois ne cognois voye de relaschement Te respondray confondant pareillement tes oppinions en ce que tu ymagines

Et apres pour le temps avenir se croire me veulx tout ainsi comme le bon medecin quant il a cure son malade lui baille regisme pour preserver sa sante et adfin que il ne renchee te bailleray ordre et voye de estre conduite a la vraye felicite ou tout cuer humain doit tendre comme il nen soit point dautre/ Et premierement pour ce que tu ne cognois ton estat le te fere cognoistre te feray une demande/ Car par ce que de toy entens tu ne te tiens mie contens de celle porcion que tu as de biens/ Et test avis que assez dautres habondent en superfluitez de choses dont escharcete as et souffraitte si te demande se tu cognois homme ou femme soit prince princesse ou autre des plus remplis des biens de fortune soit en seigneurie estas honneurs et autres dignettes je te parle de la vie des mondains et en reserve les speculans nobles de entendement que tu voulsisses avoir changie ton simple estat et maniere de vivre/ la voulente que tu as et lamour et delit de estude que tu prens a ta vie solitaire/ pour avoir la cure et charge de tant de devers faisselz/ Et dame de conscience et lardeur de convoitise et tout tel courage comme a le plus eureux et fust meismes converty ton corps foible et femenin en homme pour estre transmuee de condicions et du tout en cellui ou celle a qui tu reputes es biens mondains fortune plus propice Adonc respondis a la dame honnouree. Dame a quoy me fais tu ceste demande ne sces tu que convoitise tant ne me suppedite que pour tous les biens de fortune voulsisse avoir changie mon estre a cellui dun autre pour toutes ses richesces. O fole et comment puet estre que apres telle sentence tu te reputes mal eureuse/ Et puis que mieulx te souffist ton estat que cellui de un tres poissant riche ne feroit pour le laisser donc te reputes tu plus riche Cest assavoir plus eureuse que le plus riche qui soit tant que touchent ses richecces. Car comme toute choses tende tousiours a sa perfeccion se tu reputoies le plus riche plus parfaict que toy tu vouidroies doncques ton estre avoir au sien changie/ Et ainsi peus tu veoir que le mal ou le bien que les gens ont/ leur vient/ par cuidier et par opinion et non mie des choses/ Car cellui est riche qui plus ne convoite Et cellui est pouvre qui art en desir

Amie chiere cy nas pas mauvaise cause/ or te souffise doncques lestat ou dieux ta appellee/ Et de ce que tu te complains de la charge de pluseurs parens que il te fault avoir/ prens la en pacience et fay ton devoir, car tout est pour ton merite/ et te resiouis en ce que ilz sont bons/ Et espere en dieu comme dit le psalmiste et fais bien. Car il ne te fauldra ia nature est de pou soustenue qui vit a la neccessite de nature il se sauve/ Mais qui vit selon les superfluitez de delices il se pert et dampne et accourse ses iours.