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BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

François Villon

1431 - vers 1470

 

Le Testament

 

vers 1461

 

Texte:

François Villon, Œuvres

Édition critique avec notices et glossaire

par Louis Thuasne, Paris: Auguste Picard 1923

Fac-similé: Internet Archive

Le Testament second: Fac-similé du Ms. de Stockholm

 

__________________________________________________________________________________

 

 

Ballades:

Ballade des dames du temps jadis

Ballade des seigneurs du temps jadis

Ballade en vieil langage françois

Les regrets de la belle Heaulmière

Ballade de la Belle Heaulmière aux filles de joie

Double ballade sur le mesme propos

Ballade pour prier Nostre Dame

Ballade à s'amie

Lay ou rondeau

Ballade pour Jean Cotart

Ballade pour Robert d'Estouteville

Ballade des langues ennuieuses

Les Contredits de Franc Gontier

Ballade des femmes de Paris

Ballade de la Grosse Margot

Belle leçon aux enfants perdus

Ballade de bonne doctrine

Chanson

Épitaphe

Verset

Balade de mercy

Ballade de conclusion

 

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Le Testament

 

Édition 1489, fol. 1v (BNF Gallica)

 

 

I

En l'an de mon trentiesme aage,

Que toutes mes hontes j'eus beues,

Ne du tout fol, ne du tout sage,

4

Non obstant maintes peines eues,

Lesquelles j'ay toutes receues

Soubz la main Thibault d'Auxigny...

S'evesque il est, seignant les rues,

8

Qu'il soit le mien je le regny!

 

 

II

Mon seigneur n'est ne mon evesque;

Soubz luy ne tiens si n'est en friche;

Foy ne luy doy n'ommage avecque;

12

Je ne suis son serf ne sa biche.

Peu m'a d'une petite miche

Et de froide eaue tout ung esté.

Large ou estroit, moult me fut chiche:

16

Tel luy soit Dieu qu'il m'a esté!

 

III

Et s'aucun me vouloit reprendre

Et dire que je le mauldis,

Non fais, se bien le scet comprendre,

20

En riens deluy je ne mesdis.

Vecy tout le mal que j'en dis:

S'il m'a esté misericors,

Jhesus, le roy de paradis,

24

Tel luy soit a l'ame et au corps!

 

IV

Et s'este m'a dur et cruel

Trop plus que cy ne le raconte,

Je vueil que le Dieu eternel

28

Luy soit donc semblable a ce compte!

Et l'Eglise nous dit et compte

Que prions pour noz ennemis.

Je vous diray: «J'ay tort et honte,

32

Quoy qu'il m'ait fait, a Dieu remis!»

 

V

Si prieray pour luy de bon cuer,

Par l'ame du bon feu Cotart!

Mais quoy! ce sera donc par cuer,

36

Car de lire je suis fetart.

Priere en feray de Picart;

S'il ne le scet, voise l'aprendre,

S'il m'en croit, ains qu'il soit plus tart,

40

A Douai ou a l'Isle en Flandre!

 

VI

Combien, se ouïr veult qu'on prie

Pour luy, foy que doy mon baptesme!

Obstant qu'a chascun ne le crie,

44

Il ne fauldra pas a son esme.

Ou Psaultier prens, quant suis a mesme,

Qui n'est de beuf ne cordouan,

Le verselet escript septiesme

48

Du psëaulme Deus laudem.

 

VII

Si prie au benoist fils de Dieu,

Qu'a tous mes besoings je reclame,

Que ma povre priere ait lieu

52

Vers luy, de qui tiens corps et ame,

Qui m'a preservé de maint blasme

Et franchy de vile puissance,

Loué soit il, et Nostre Dame,

56

Et Loÿs, le bon roy de France!

 

VIII

Auquel doint Dieu l'eur de Jacob

Et de Salmon l'onneur et gloire;

Quant de proesse, il en a trop,

60

De force aussi, par m'ame, voire!

En ce monde cy transitoire,

Tant qu'il a de long et de lé,

Affin que de luy soit memoire,

64

Vivre autant que Mathusalé!

 

IX

Et douze beaux enfans, tous masles,

Voire de son chier sang royal,

Aussi preux que fut le grant Charles,

68

Conceus en ventre nupcial,

Bons comme fut sainct Marcial!

Ainsi enpreigne au feu Dauphin!

Je ne luy souhaite autre mal,

72

Et puis paradis a la fin.

 

X

Pour ce que foible je me sens

Trop plus de biens que de santé,

Tant que je suis en mon plain sens,

76

Si peu que Dieu m'en a preste,

Car d'autre ne l'ay emprunté,

J'ay ce Testament tres estable

Faict, de derniere voulenté,

80

Seul pour tout et irrevocable.

 

XI

Escript l'ay l'an soixante et ung

Que le bon roy me delivra

De la dure prison de Mehun,

84

Et que vie me recouvra,

Dont suis, tant que mon corps vivra,

Tenu vers luy m'umilier,

Ce que feray tant qu'il mourra:

88

Bienfait ne se doit oublier.

 

XII

Or est vray qu'apres plainz ei pleurs

Et angoisseux gemissemens,

Aprés tristesses et douleurs,

92

Labeurs et griefz cheminemens,

Travail mes lubres sentemens,

Esguisez comme une pelote,

M'ouvrit plus que tous les commens

96

D'Averroys sur Aristote.

 

XIII

Combien qu'au plus fort de mes maulx,

En cheminant sans croix ne pile,

Dieu, qui les pelerins d'Esmaus

100

Conforta, ce dit l'Evangile,

Me monstra une bonne ville

Et pourveut du don d'esperance;

Combien que le pecheur soit vile,

104

Riens ne hayt que perseverance.

 

XIV

Je suys pecheur, je le sçay bien;

Pourtant ne veult pas Dieu ma mort,

Mais convertisse et vive en bien,

108

Et tout autre que pechié mort.

Combien qu'en pechié soye mort,

Dieu vit, et sa miséricorde,

Se conscience me remort,

112

Par sa grace pardon m'accorde.

 

XV

Et, comme le noble Romant

De la Rose dit et confesse

En son premier commencement

116

Qu'on doit jeune cuer en jeunesse,

Quant on le voit viel en viellesse,

Excuser, helas! il dit voir.

Ceulx donc qui me font telle presse

120

En meurté ne me vouldroient veoir.

 

XVI

Se, pour ma mort, le bien publique

D'aucune chose vaulsist mieulx,

A mourir comme ung homme inique

124

Je me jugasse, ainsi m'aist Dieux!

Griefz ne faiz a jeune n'a vieulx,

Soie sur piez ou soie en biere:

Les mons ne bougent de leurs lieux

128

Pour ung povre, n'avant n'arriere.

 

XVII

Ou temps qu'Alixandre regna,

Ung homs nommé Diomedes

Devant luy on luy amena,

132

Engrillonné poulces et des

Comme ung larron, car il fut des

Escumeurs que voions courir;

Si fut mis devant ce cades,

136

Pour estre jugié a mourir.

 

XVIII

L'empereur si l'araisonna:

«Pour quoy es tu larron de mer?»

L'autre responce luy donna:

140

«Pour quoy larron me faiz nommer?

Pour ce qu'on me voit escumer

En une petiote fuste?

Se comme toy me peusse armer,

144

Comme toy empereur je feusse.

 

XIX

«Mais que veulx tu? De ma fortune,

Contre qui ne puis bonnement,

Qui si faulcement me fortune,

148

Me vient tout ce gouvernement.

Excusez moy aucunement

Et sachiez qu'en grant povreté

(Ce mot se dit communement)

152

Ne gist pas grande loyauté.»

 

XX

Quant l'empereur ot remiré

De Diomedes tout le dit:

«Ta fortune je te mueré

156

Mauvaise en bonne», si luy dit.

Si fist il. Onc puis ne mesdit

A personne, mais fut vray homme.

Valere pour vray le bauldit,

160

Qui fut nommé le Grant a Romme.

 

XXI

Se Dieu m'eust donné rencontrer

Ung autre piteux Alixandre

Qui m'eust fait en bon eur entrer,

164

Et lors qui m'eust veu condescendre

A mal, estre ars et mis en cendre

Jugié me fusse de ma voix.

Nécessité fait gens mesprendre

168

Et fain saillir le loup du bois.

 

XXII

Je plains le temps de ma jeunesse,

(Ouquel j'ay plus qu'autre galé

Jusque a l'entree de viellesse),

172

Qui son partement m'a celé.

Il ne s'en est a pié alé

N'a cheval: helas! comment don?

Soudainement s'en est volé

174

Et ne m'a laissié quelque don.

 

XXIII

Alé s'en est, et je demeure,

Povre de sens et de savoir,

Triste, failly, plus noir que meure,

180

Qui n'ay cens, rente, ne avoir;

Des miens le mendre, je dy voir,

De me desavouer s'avance,

Oubliant naturel devoir

184

Par faulte d'ung peu de chevance.

 

XXIV

Si ne crains avoir despendu

Par friander ne par leschier;

Par trop amer n'ay riens vendu

188

Qu'amis me puissent reprouchier,

Au moins qui leur couste moult chier.

Je le dy et ne croy mesdire;

De ce je me puis revenchier:

192

Qui n'a meffait ne le doit dire.

 

XXV

Bien est verté que j'ay amé

Et ameroie voulentiers;

Mais triste cuer, ventre affamé

196

Qui n'est rassasié au tiers,

M'oste des amoureux sentiers.

Au fort, quelqu'ung s'en recompence,

Qui est remply sur les chantiers;

200

Car la dance vient de la pance.

 

XXVI

Hé Dieu! se j'eusse estudié

Ou temps de ma jeunesse folle,

Et a bonnes meurs dédié,

204

J'eusse maison et couche molle.

Mais quoy? je fuyoie l'escolle,

Comme fait le mauvais enfant...

En escripvant ceste parolle,

208

A peu que le cuer ne me fent.

 

XXVII

Le dit du Sage trop le feiz

Favorable, (bien en puis mais!)

Qui dit: «Esjoÿs toy, mon filz,

212

En ton adolescence.» Mais

Ailleurs sert bien d'ung autre mes,

Car «jeunesse et adolescence»,

C'est son parler, ne moins ne mais,

216

«Ne sont qu'abus et ignorance.»

 

XXVIII

«Mes jours s'en sont alez errant

Comme,» dit Job, «d'une touaille

Sont les filetz, quant tisserant

220

En son poing tient ardente paille.»

Lors, s'il y a nul bout qui saille,

Soudainement il le ravit.

Si ne crains plus que rien m'assaille,

224

Car a la mort tout s'assouvit.

 

XXIX

Ou sont les gracieux galans

Que je suivoye ou temps jadis,

Si bien chantans, si bien parlans,

228

Si plaisans en faiz et en dis?

Les aucuns sont mors et roidis,

D'eulx n'est il plus riens maintenant:

Repos aient en paradis,

232

Et Dieu saulve le remenant!

 

XXX

Et les autres sont devenus,

Dieu mercy! grans seigneurs et maistres;

Les autres mendient tous nus

236

Et pain ne voient qu'aux fenestres;

Les autres sont entrez en cloistres

De Celestins et de Chartreux,

Botez, housez com pescheurs d'oistres:

240

Vez la l'estât divers d'entre eux.

 

XXXI

Aux grans maistres doint Dieu bien faire,

Vivans en paix et en requoy;

En eulx il n'y a que refaire,

244

Si s'en fait bon taire tout quoy.

Mais aux povres qui n'ont de quoy,

Comme moy, doint Dieu patience!

Aux autres ne fault qui ne quoy,

248

Car assez ont pain et pitance.

 

XXXII

Bons vins ont, souvent embrochiez,

Saulces, brouetz et gros poissons;

Tartes, flaons, oefz fritz et pochiez,

252

Perduz et en toutes façons.

Pas ne ressemblent les maçons

Que servir fault a si grant peine:

Ilz ne veulent nuls eschançons,

256

De soy verser chascun se peine.

 

XXXIII

En cest incident me suis mis

Qui de riens ne sert a mon fait;

Je ne suis juge, ne commis

260

Pour pugnir n'absoudre meffait:

De tous suis le plus imparfait,

Loué soit le doulx Jhesucrist!

Que par moy leur soit satisfait;

264

Ce que j'ay escript est escript.

 

XXXIV

Laissons le moustier ou il est;

Parlons de chose plus plaisante:

Ceste matiere a tous ne plaist,

268

Ennuyeuse est et desplaisante.

Povreté, chagrine et dolente,

Tousjours despiteuse et rebelle,

Dit quelque parolle cuisante;

272

S'elle n'ose, si le pense elle.

 

XXXV

Povre je suis de ma jeunesse,

De povre et de petite extrace.

Mon pere n'ot oncq grant richesse,

276

Ne son ayeul, nommé Orace.

Povreté tous nous suit et trace.

Sur les tombeaulx de mes ancestres

Les ames desquelz Dieu embrasse!

280

On n'y voit couronnes ne ceptres.

 

XXXVI

De povreté me guementant,

Souventesfois me dit le cuer:

«Homme, ne te doulouse tant

284

Et ne demaine tel douleur,

Se tu n'as tant qu'eust Jaques Cuer:

Mieulx vault vivre soubz gros bureau

Povre, qu'avoir esté seigneur

288

Et pourrir soubz riche tombeau!»

 

XXXVII

Qu'avoir esté seigneur!... Que dis?

Seigneur, las! et ne l'est il mais?

Selon les davitiques dis

292

Son lieu ne congnoistra jamais.

Quant du surplus, je m'en desmetz:

Il n'appartient a moy, pécheur;

Aux theologiens le remetz,

296

Car c'est office de prescheur.

 

XXXVIII

Si ne suis, bien le considere,

Filz d'ange portant dyademe

D'estoille ne d'autre sidere.

300

Mon pere est mort, Dieu en ait l'ame!

Quant est du corps, il gist soubz lame...

J'entens que ma mere mourra,

– Et le scet bien, la povre femme, –

304

Et le filz pas ne demourra.

 

XXXIX

Je congnois que povres et riches,

Sages et folz, prestres et laiz,

Nobles, villains, larges et chiches,

308

Petiz et grans, et beaulx et laiz,

Dames a rebrassez colletz,

De quelconque condicion,

Portans atours et bourreletz,

312

Mort saisit sans excepcion.

 

XL

Et meure Paris ou Helaine,

Quiconques meurt, meurt a douleur

Telle qu'il pert vent et alaine;

316

Son fiel se creve sur son cuer,

Puis sue, Dieu scet quel sueur!

Et n'est qui de ses maulx l'alege:

Car enfant n'a, frere ne seur,

320

Qui lors voulsist estre son plege.

 

XLI

La mort le fait blesmir, pallir,

Le nez courber, les vaines tendre,

Le col enfler, la chair mollir,

324

Joinctes et nerfs croistre et estendre.

Corps femenin, qui tant es tendre,

Poly, souef, si précieux,

Te fauldra il ces maulx attendre?

328

Ouy, ou tout vif aler es cieulx.

 

BALADE

[Balade des dames du temps jadis.]

Dictes moy ou, n'en quel pays,

Est Flora la belle Rommaine;

Archipiada, ne Thaïs,

332

Qui fut sa cousine germaine;

Echo, parlant quant bruyt on maine

Dessus riviere ou sus estan,

Qui beaulté ot trop plus qu'umaine?

336

Mais ou sont les neiges d'antan?

 

Ou est la tres sage Heloÿs,

Pour qui chastré fut et puis moyne

Pierre Esbaillart a Saint Denis?

340

Pour son amour ot ceste essoyne.

Semblablement, ou est la royne

Qui commanda que Buridan

Fust gecté en ung sac en Saine?

344

Mais ou sont les neiges d'antan?

 

La royne Blanche comme lis

Qui chantoit a voix de seraine,

Berte au grant pié, Bietris, Alis,

348

Haremburgis qui tint le Maine,

Et Jehanne, la bonne Lorraine,

Qu'Englois brulerent a Rouan;

Ou sont ilz, Vierge souveraine?

352

Mais ou sont les neiges d'antan?

 

Prince, n'enquerez de sepmaine

Ou elles sont, ne de cest an,

Que ce reffrain ne vous remaine:

356

Mais ou sont les neiges d'antan?

 

AUTRE BALADE

[Balade des seigneurs du temps jadis.]

Qui plus, ou est le tiers Calixte,

Dernier decedé de ce non,

Qui quatre ans tint le papaliste?

360

Alphonce le roy d'Aragon,

Le gracieux duc de Bourbon,

Et Artus le duc de Bretaigne,

Et Charles septiesme le bon?

364

Mais ou est le preux Charlemaigne?

 

Semblablement, le roy Scotiste

Qui demy face ot, ce dit on,

Vermeille comme une amatiste

368

Depuis le front jusqu'au menton?

Le roy de Chippre de renon,

Helas! et le bon roy d'Espaigne

Duquel je ne sçay pas le nom?

372

Mais ou est le preux Charlemaigne?

 

D'en plus parler je me desiste;

Le monde n'est qu'abusion.

Il n'est qui contre mort resiste

376

Ne qui treuve provision.

Encor fais une question:

Lancelot le roy de Behaigne,

Ou est il? Ou est son tayon?

380

Mais ou est le preux Charlemaigne?

 

Ou est Claquin le bon Breton?

Ou le conte Daulphin d'Auvergne

Et le bon feu duc d'Alençon?

384

Mais ou est le preux Charlemaigne?

 

AUTRE BALADE

[Balade en vieil langage françoys.]

Car, ou soit ly sains apostolles,

D'aubes vestus, d'amys coeffez,

Qui ne saint fors saintes estolles

388

Dont par le col prent ly mauffez

De mal talant tout eschauffez,

Aussi bien meurt que filz, servans,

De ceste vie cy bouffez:

392

Autant en emporte ly vens.

 

Voire, ou soit de Constantinobles

L'emperieres au poing dorez,

Ou de France ly roy tres nobles

396

Sur tous autres roys decorez,

Qui pour ly grans Dieux aourez

Bastist eglises et couvens,

S'en son temps il fut honnourez,

400

Autant en emporte ly vens.

 

Ou soit de Vienne et de Grenobles

Ly Dauphins, ly preux, ly senez,

Ou de Digon, Salins et Doles

404

Ly sires et ly filz ainsnez,

Ou autant de leurs gens privez,

Heraulx, trompettes, poursuivans,

Ont ilz bien bouté soubz le nez?

408

Autant en emporte ly vens.

 

Princes a mort sont destinez,

Et tous autres qui sont vivans:

S'ilz en sont courciez n'atainez,

412

Autant en emporte ly vens.

 

XLII

Puis que papes, roys, filz de roys

Et conceus en ventres de roynes,

Sont ensevelis mors et frois,

416

En autruy mains passent leurs regnes,

Moy, povre mercerot de Renes,

Mourray je pas? Ouy, se Dieu plaist;

Mais que j'aye fait mes estrenes,

420

Honneste mort ne me desplaist.

 

XLIII

Ce monde n'est perpetuel,

Quoy que pense riche pillart:

Tous sommes soubz mortel coutel.

424

Ce confort prens, povre viellart,

Lequel d'estre plaisant raillart

Ot le bruit, lorsque jeune estoit,

Qu'on tendroit a fol et paillart,

428

Se, viel, a railler se mettoit.

 

XLIV

Or luy convient il mendier,

Car a ce force le contraint.

Regrete huy sa mort, et hier;

432

Tristesse son cuer si estraint,

Se, souvent, n'estoit Dieu qu'il craint,

Il feroit ung horrible fait;

Et advient qu'en ce Dieu enfraint,

436

Et que luy mesmes se deffait.

 

XLV

Car s'en jeunesse il fut plaisant,

Ores plus riens ne dit qui plaise.

Tousjours viel singe est desplaisant,

440

Moue ne fait qui ne desplaise;

S'il se taist, affin qu'il complaise,

Il est tenu pour fol recreu;

S'il parle, on luy dit qu'il se taise,

444

Et qu'en son prunier n'a pas creu.

 

XLVI

Aussi ces povres fameletes

Qui vielles sont et n'ont de quoy,

Quant ilz voient ces pucelletes

448

Emprunter elles a requoy,

Ilz demandent a Dieu pour quoy

Si tost naquirent, n'a quel droit.

Nostre Seigneur se taist tout quoy,

452

Car au tancer il le perdroit.

 

[Les regrets de la belle Heaulmiere.]

Advis m'est que j'oy regreter

La belle qui fut hëaulmiere,

Soy jeune fille soushaiter

456

Et parler en telle maniere:

«Ha! viellesse felonne et fiere,

Pour quoy m'as si tost abatue?

Qui me tient que je ne me fiere,

460

Et qu'a ce coup je ne me tue?

 

«Tollu m'as la haulte franchise

Que beaulté m'avoit ordonné

Sur clers, marchans et gens d'Eglise:

464

Car lors il n'estoit homme né

Qui tout le sien ne m'eust donné,

Quoy qu'il en fust des repentailles,

Mais que luy eusse abandonné

468

Ce que reffusent truandailles.

 

«A maint homme l'ay reffusé,

Qui n'estoit a moy grant sagesse,

Pour l'amour d'ung garçon rusé,

472

Auquel j'en feiz grande largesse.

A qui que je feisse finesse,

Par m'ame, je l'amoye bien!

Or ne me faisoit que rudesse,

476

Et ne m'amoit que pour le mien.

 

«Sy ne me sceust tant detrayner,

Fouler aux piez, que ne l'aymasse;

Et m'eust il fait les rains trayner,

480

S'il m'eust dit que je le baisasse,

Que tous mes maulx je n'oubliasse!

Le glouton, de mal entechié,

M'embrassoit... J'en suis bien plus grasse!

484

Que m'en reste il? Honte et pechié.

 

«Or est il mort, passé trente ans,

Et je remains vielle, chenue.

Quant je pense, lasse! au bon temps,

488

Quelle fus, quelle devenue;

Quant me regarde toute nue,

Et je me voy si tres changiee,

Povre, seiche, megre, menue,

492

Je suis presque toute enragiee.

 

«Qu'est devenu ce front poly,

Ces cheveulx blons, sourcilz voultiz,

Grant entroeil, le regart joly,

496

Dont prenoie les plus soubtilz;

Ce beau nez droit, grant ne petiz,

Ces petites joinctes oreilles,

Menton fourchu, cler vis traictiz,

500

Et ces belles levres vermeilles?

 

«Ces gentes espaules menues,

Ces bras longs et ces mains traictisses,

Petiz tetins, hanches charnues,

504

Eslevees, propres, faictisses

A tenir amoureuses lisses;

Ces larges rains, ce sadinet

Assis sur grosses fermes cuisses,

508

Dedens son joly jardinet?

 

«Le front ridé, les cheveux gris,

Les sourcilz cheus, les yeuls estains,

Qui faisoient regars et ris

512

Dont mains marchans furent attains;

Nez courbes de beaulté loingtains,

Oreilles pendantes, moussues,

Le vis pally, mort et destains,

516

Menton froncé, levres peaussues...

 

«C'est d'umaine beaulté l'issue!

Les bras cours et les mains contraites,

Des espaules toute bossue;

520

Mamelles, quoy? toutes retraites;

Telles les hanches que les tettes;

Du sadinet, fy! Quant des cuisses,

Cuisses ne sont plus, mais cuissettes

524

Grivelees comme saulcisses.

 

«Ainsi le bon temps regretons

Entre nous, povres vielles sottes.

Assises bas, a crouppetons,

528

Tout en ung tas comme pelottes,

A petit feu de chenevottes

Tost allumees, tost estaintes;

Et jadis fusmes si mignottes!...

532

Ainsi enprent a mains et maintes.»

 

BALADE

[La belle Heaulmiere aux filles de joie.]

«Or y pensez, belle Gantiere

Qui m'escoliere souliez estre,

Et vous, Blanche la Savetiere,

536

Or est il temps de vous congnoistre.

Prenez a destre et a senestre;

N'espargnez homme, je vous prie:

Car vielles n'ont ne cours ne estre,

540

Ne que monnoye qu'on descrie.

 

«Et vous, la gente Saulciciere

Qui de dancier estes adestre,

Guillemette la Tappiciere,

544

Ne mesprenez vers vostre maistre:

Tost vous fauldra clorre fenestre,

Quand devendrez vielle, flestrie,

Plus ne servirez qu'ung viel prestre,

548

Ne que monnoye qu'on descrie.

 

«Jehanneton la Chapperonniere,

Gardez qu'amy ne vous empestre;

Et Katherine la Bourciere,

552

N'envoyez plus les hommes paistre:

Car qui belle n'est ne perpetre

Leur maie grace, mais leur rie.

Laide viellesse amour n'impetre,

556

Ne que monnoye qu'on descrie.

 

«Filles, vueillez vous entremettre

D'escouter pour quoy pleure et crie:

Pour ce que je ne me puis mettre,

560

Ne que monnoye qu'on descrie.»

 

XLVII

Ceste leçon icy leur baille

La belle et bonne de jadis.

Bien dit ou mal, vaille que vaille,

564

Enregistrer j'ay faict ces dis

Par mon clerc Fremin l'estourdis,

Aussi rassis que je puis estre.

S'il me desment, je le mauldis:

568

Selon le clerc est deu le maistre.

 

XLVIII

Si aperçoy le grant dangier

Ouquel homme amoureux se boute;

Et qui me vouldroit laidangier

572

De ce mot, en disant: «Escoute!

Se d'amer t'estrange et reboute

Le barat de celles nommees,

Tu fais une bien folle doubte,

576

Car ce sont femmes diffamees.

 

XLIX

«S'ilz n'ayment fors que pour l'argent,

On ne les ayme que pour l'eure;

Rondement ayment toute gent,

580

Et rient lors que bource pleure.

De celles cy n'est qui ne queure;

Mais en femmes d'onneur et nom

Franc homme, si Dieu me sequeure,

584

Se doit emploier; ailleurs, non.»

 

L

Je prens qu'aucun dye cecy,

Si ne me contente il en rien.

En effect, il conclut ainsy,

588

Et je le cuide entendre bien,

Qu'on doit amer en lieu de bien:

Assavoir mon se ces fillettes

Qu'en parolles toute jour tien

592

Ne furent ilz femmes honnestes?

 

LI

Honnestes? si furent vraiement,

Sans avoir reproches ne blasmes.

Si est vray qu'au commencement

596

Une chascune de ces femmes

Lors prindrent, ains qu'eussent diffames,

L'une ung clerc, ung lay, l'autre ung moine,

Pour estaindre d'amours les flammes

600

Plus chauldes que feu Saint Anthoine.

 

LII

Or firent selon le Decret

Leurs amys, et bien y appert;

Ilz amoient en lieu secret,

604

Car autre qu'eulx n'y avoit part.

Toutesfois, ceste amour se part:

Car celle qui n'en avoit qu'un

D'iceluy s'eslongne et despart,

608

Et aime mieulx amer chascun.

 

LIII

Qui les meut a ce? J'ymagine,

Sans l'onneur des dames blasmer,

Que c'est nature femenine

612

Qui tout vivement veult amer.

Autre chose n'y sçay rimer,

Fors qu'on dit a Rains et a Trois,

Voire a l'Isle et a Saint Omer,

616

Que six ouvriers font plus que trois.

 

LIV

Or ont ces folz amans le bont,

Et les dames prins la volee;

C'est le droit loyer qu'amours ont:

620

Toute foy y est violee,

Quelque doulx baiser n'acolee.

«De chiens, d'oyseaulx, d'armes, d'amours,»

Chascun le dit a la volee,

624

«Pour une joye cent doulours.»

 

[Double ballade]

Pour ce, amez tant que vouldrez,

Suyvez assemblees et festes.

En la fin ja mieulx n'en vauldrez

628

Et si n'y romprez que vos testes;

Folles amours font les gens bestes:

Salmon en ydolatria,

Samson en perdit ses lunettes.

632

Bien heureux est qui riens n'y a!

 

Orpheüs, le doux menestrier,

Jouant de fleustes et musettes,

En fut en dangier du murtrier

636

Chien Cerberus a quatre testes;

Et Narcisus, le bel honnestes,

En ung parfont puis se noya

Pour l'amour de ses amourettes.

640

Bien heureux est qui riens n'y a!

 

Sardana, le preux chevalier,

Qui conquist le regne de Cretes,

En voulut devenir mouiller

644

Et filer entre pucelletes;

David le roy, sage prophetes,

Crainte de Dieu en oublia,

Voyant laver cuisses bien faites.

648

Bien heureux est qui riens n'y a!

 

Amon en voult deshonnourer,

Faignant de mengier tartelettes,

Sa seur Thamar et desflourer,

652

Qui fut inceste deshonnestes;

Herodes, pas ne sont sornettes,

Saint Jehan Baptiste en decola

Pour dances, saulx et chansonnettes.

656

Bien heureux est qui riens n'y a!

 

De moy, povre, je vueil parler:

J'en fus batu comme a ru telles,

Tout nu, ja ne le quiers celer.

660

Qui me feist maschier ces groselles,

Fors Katherine de Vauselles?

Noel le tiers est qui fut la.

Mitaines a ces nopces telles...

664

Bien heureux est qui riens n'y a!

 

Mais que ce jeune bacheler

Laissast ces jeunes bachelettes?

Non! et le deust on vif brusler

668

Comme ung chevaucheur d'escouvettes.

Plus doulces luy sont que civettes;

Mais toutesfoys fol s'y fya:

Soient blanches, soient brunettes,

672

Bien heureux est qui riens n'y a!

 

LV

Se celle que jadis servoie

De si bon cuer et loyaument,

Dont tant de maulx et griefz j'avoie,

676

Et souffroie tant de torment,

Se dit m'eust, au commencement.

Sa voulenté (mais nennil, las!),

J'eusse mis paine aucunement

680

De moy retraire de ses las.

 

LVI

Quoy que je luy voulsisse dire,

Elle estoit preste d'escouter

Sans m'acorder ne contredire;

684

Qui plus, me souffroit acouter

Joignant d'elle pres m'accouter,

Et ainsi m'aloit amusant,

Et me souffroit tout raconter;

688

Mais ce n'estoit qu'en m'abusant.

 

LVII

Abusé m'a et fait entendre

Tousjours d'ung que ce fut ung aultre;

De farine, que ce fust cendre;

692

D'ung mortier, ung chappeau de faultre;

De viel machefer que fust peaultre;

D'ambesas, que ce fussent ternes;

(Tousjours trompeur autruy engaultre

696

Et rent vecies pour lanternes)

 

LVIII

Du ciel, une paelle d'arain;

Des nues, une peau de veau;

Du matin, qu'estoit le serain;

700

D'ung trongnon de chou, ung naveau;

D'orde cervoise, vin nouveau;

D'une truie, ung molin a vent;

Et d'une hart, ung escheveau;

704

D'ung gras abbé, ung poursuyvant!

 

LIX

Ainsi m'ont amours abusé

Et pourmené de l'uys au pesle.

Je croy qu'omme n'est si rusé,

708

Fust fin comme argent de coepelle,

Qui n'y laissast linge, drappelle;

Mais qu'il fust ainsi manyé

Comme moy, qui partout m'appelle

712

L'amant remys et regnyé.

 

LX

Je regnie Amours et despite

Et deffie a feu et a sang.

Mort par elle me précipite,

716

Et ne leur en chault pas d'ung blanc.

Ma vielle ay mys soubz le banc;

Amans je ne suyvray jamais:

Se jadis je fus de leur ranc,

720

Je desclare que n'en suis mais.

 

LXI

Car j'ay mys le plumail au vent,

Or le suyve qui a attente.

De ce me tais doresnavant,

724

Car poursuivre vueil mon entente.

Et s'aucun m'interroge ou tente

Comment d'Amours j'ose mesdire,

Ceste parolle le contente:

728

«Qui meurt, a ses hoirs doit tout dire.»

 

LXII

Je congnois approcher ma seuf;

Je crache blanc comme coton

Jacopins gros comme ung esteuf.

732

Qu'est ce a dire? que Jehanneton

Plus ne me tient pour valeton,

Mais pour ung viel usé roquart:

De viel porte voix et le ton,

736

Et ne suys qu'ung jeune coquart.

 

LXIII

Dieu mercy et Tacque Thibault,

Qui tant d'eaue froide m'a fait boire,

Mis en bas lieu, non pas en hault,

740

Mengier d'angoisse mainte poire,

Enferré... Quant j'en ay memoire,

Je pry pour luy et reliqua,

Que Dieu luy doint, et voire, voire!

744

Ce que je pense... et cetera.

 

LXIV

Toutesfois, je n'y pense mal

Pour luy, ne pour son lieutenant,

Aussi pour son official.

748

Qui est plaisant et advenant;

Que faire n'ay du remenant,

Mais du petit maistre Robert:

Je les ayme tout d'ung tenant

752

Ainsi que fait Dieu le Lombart.

 

LXV

Si me souvient bien, Dieu mercis.

Que je feis a mon partement

Certains laiz, l'an cinquante six,

756

Qu'aucuns, sans mon consentement,

Voulurent nommer Testament;

Leur plaisir fut et non le mien.

Mais quoy? on dit communement

760

Qu'ung chascun n'est maistre du sien.

 

LXVI

Pour les revoquer ne le dis,

Et y courust toute ma terre;

De pitié ne suis refroidis

764

Envers le Bastart de la Barre:

Parmi ses trois gluyons de ferre,

Je luy donne mes vielles nattes;

Bonnes seront pour tenir serre,

768

Et soy soustenir sur ses pattes.

 

LXVII

S'ainsi estoit qu'aucun n'eust pas

Receu les laiz que je luy mande,

J'ordonne qu'apres mon trespas

772

A mes hoirs en face demande.

Mais qui sont ils? S'on le demande:

Moreau, Provins, Robin Turgis.

De moy, dictes que je leur mande,

776

Ont eu jusqu'au lit ou je gis.

 

LXVIII

Somme, plus ne diray qu'ung mot,

Car commencer vueil a tester:

Devant mon clerc Fremin qui m'ot,

780

S'il ne dort, je vueil protester

Que n'entens homme detester

En ceste presente ordonnance,

Et ne la vueil magnifester

784

Si non ou royaume de France.

 

LXIX

Je sens mon cuer qui s'affoiblit

Et plus je ne puis papier.

Fremin, sié toy pres de mon lit,

788

Que l'on ne me viengne espier;

Prens encre tost, plume et papier;

Ce que nomme escry vistement,

Puis fay le partout coppier;

792

Et vecy le commancement.

 

LXX

Ou nom de Dieu, Pere eternel,

Et du Filz que Vierge parit,

Dieu au Pere coeternel,

796

Ensemble et le Saint Esperit,

Qui sauva ce qu'Adam perit,

Et du pery pare les cieulx...

Qui bien ce croit, peu ne merit,

800

Gens mors estre faiz petiz dieux.

 

LXXI

Mors estoient, et corps et ames,

En dampnee perdicion,

Corps pourris et ames en flammes,

804

De quelconque condicion.

Toutesfois, fais excepcion

Des patriarches et prophetes;

Car, selon ma concepcion,

808

Oncques grant chault n'eurent aux fesses.

 

LXXII

Qui me diroit: «Qui te fait metre

Si tres avant ceste parolle,

Qui n'es en theologie niaistre?

812

A toy est presumpcion folle!»

C'est de Jhesus la parabolle

Touchant le Riche ensevely

En feu, non pas en couche molle,

816

Et du Ladre de dessus ly.

 

LXXIII

Se du Ladre eust veu le doit ardre,

Ja n'en eust requis refrigere,

N'au bout d'icelluy doit aherdre,

820

Pour refreschir sa maschouere.

Pyons y feront mate chiere,

Qui boyvent pourpoint et chemise.

Puis que boiture y est si chiere,

824

Dieu nous en gart, bourde jus mise!

 

LXXIV

Ou nom de Dieu, comme j'ay dit,

Et de sa glorieuse Mere,

Sans pechié soit parfait ce dit

828

Par moy, plus megre que chimere;

Se je n'ay eu fievre effimere,

Ce m'a fait divine clemence;

Mais d'autre dueil et perte amere

832

Je me tais, et ainsi commence.

 

LXXV

Premier, je donne ma povre ame

A la benoiste Trinité,

Et la commande a Nostre Dame,

836

Chambre de la divinité,

Priant toute la charité

Des dignes neuf Ordres des cieulx

Que par eulx soit ce don porté

840

Devant le trosne precieux.

 

LXXVI

Item, mon corps j'ordonne et laisse

A nostre grant mere la terre;

Les vers n'y trouveront grant gresse.

844

Trop luy a fait fain dure guerre.

Or luy soit delivré grant erre:

De terre vint, en terre tourne;

Toute chose, se par trop n'erre,

848

Voulentiers en son lieu retourne.

 

LXXVII

Item, et a mon plus que pere,

Maistre Guillaume de Villon,

Qui esté m'a plus doulx que mere

852

A enfant levé de maillon:

Degeté m'a de maint bouillon,

Et de cestuy pas ne s'esjoye,

Si luy requier a genouillon

856

Qu'il m'en laisse toute la joye;

 

LXXVIII

Je luy donne ma librairie,

Et le Romant du Pet au Deable,

Lequel maistre Guy Tabarie

860

Grossa, qui est homs veritable.

Par cayers est soubz une table;

Combien qu'il soit rudement fait,

La matiere est si tres notable

864

Qu'elle amende tout le mesfait.

 

LXXIX

Item, donne a ma povre mere

Pour saluer nostre Maistresse,

Qui pour moy ot douleur amere,

868

Dieu le scet, et mainte tristesse:

Autre chastel n'ay, ne fortresse,

Ou me retraye corps et ame,

Quant sur moy court male destresse.

872

Ne ma mere, la povre femme!

 

BALADE

[Balade pour prier Nostre Dame.]

Dame du ciel, regente terrienne,

Emperiere des infernaux palus,

Recevez moy, vostre humble chrestienne,

Que comprinse soye entre vos eslus,

877

Ce non obstant qu'oncques rien ne valus,

Les biens de vous, ma Dame et ma Maistresse,

Sont trop plus grans que ne suis pecheresse,

Sans lesquelz biens ame ne peut merir

N'avoir les cieulx, je n'en suis jangleresse:

882

En ceste foy je vueil vivre et mourir.

 

A vostre Filz dictes que je suis sienne;

De luy soyent mes pechiez abolus:

Pardonne moy comme a l'Egipcienne,

Ou comme il feist au clerc Theophilus;

887

Lequel par vous fut quitte et absolus,

Combien qu'il eust au deable fait promesse.

Preservez moy de faire jamais ce,

Vierge portant, sans rompure encourir,

Le sacrement qu'on celebre a la messe.

892

En ceste foy je vueil vivre et mourir.

 

Femme je suis povrette et ancïenne,

Qui riens ne sçay; oncques lettre ne lus.

Au moustier voy, dont suis paroissienne,

Paradis paint ou sont harpes et lus,

897

Et ung enfer ou dampnez sont boullus:

L'ung me fait paour, l'autre joye et liesse.

La joye avoir me fay, haulte Deesse,

A qui pecheurs doivent tous recourir,

Comblez de foy, sans fainte ne paresse.

902

En ceste foy je vueil vivre et mourir.

 

Vous portastes, Vierge, digne princesse,

Iesus regnant qui n'a ne fin ne cesse.

905

Le Tout Puissant, prenant nostre foiblesse,

Laissa les cieulx et nous vint secourir,

Offrit a mort sa tres chiere jeunesse;

Nostre Seigneur tel est, tel le confesse.

909

En ceste foy je vueil vivre et mourir.

 

LXXX

Item, m'amour, ma chiere rose,

Ne luy laisse ne cuer ne foye:

Elle ameroit mieulx autre chose,

913

Combien qu'elle ait assez monnoye.

Quoy? une grant bource de soye,

Plaine d'escuz, parfonde et large:

Mais pendu soit il, que je soye,

917

Qui luy laira escu ne targe.

 

LXXXI

Car elle en a, sans moy, assez.

Mais de cela il ne m'en chault;

Mes plus grans dueilz en sont passez,

921

Plus n'en ay le croppion chault.

Si m'en desmetz aux hoirs Michault,

Qui fut nommé le Bon Fouterre.

Priez pour luy, faictes ung sault:

925

A Saint Satur gist, soubz Sancerre.

 

LXXXII

Ce non obstant, pour m'acquitter

Envers Amours, plus qu'envers elle,

Car oncques n'y peuz acquester

929

D'espoir une seule estincelle;

(Je ne sçay s'a tous si rebelle

A esté, ce m'est grant esmoy:

Mais, par sainte Marie la belle!

933

Je n'y voy que rire pour moy),

 

LXXXIII

Ceste balade luy envoye

Qui se termine tout par R.

Qui luy portera? Que je voye:

937

Ce sera Pernet de la Barre,

Pourveu, s'il rencontre en son erre

Ma damoiselle au nez tortu,

Il luy dira, sans plus enquerre:

941

«Orde paillarde, dont viens tu?»

 

BALADE

[Balade a s'amye.]

Faulse beaulté qui tant me couste chier,

Rude en efFect, ypocrite doulceur,

Amour dure plus que fer a maschier,

945

Nommer que puis de ma deffaçon seur,

Cherme felon, la mort d'ung povre cuer,

Orgueil mussié qui gens met au mourir,

Yeulx sans pitié! ne veult droit de rigueur,

949

Sans empirer, ung povre secourir?

 

Mieulx m'eust valu avoir esté serchier

Ailleurs secours, c'eust esté mon honneur;

Riens ne m'eust sceu hors de ce fait haschier.

953

Trotter m'en fault en fuyte et deshonneur.

Haro, haro, le grant et le mineur!

Et qu'est ce cy? mourray sans coup ferir?

Ou Pitié veult, selon ceste teneur,

957

Sans empirer, ung povre secourir?

 

Vng temps vendra qui fera dessechier,

Jaunir, flestrir vostre espanye fleur;

Je m'en risse, se tant peusse maschier

961

Lors; mais nennil, ce seroit donc folcur:

Las! viel seray; vous, laide, sans couleur;

Or buvez fort, tant que ru peut courir;

Ne donnez pas a tous ceste douleur,

965

Sans empirer, ung povre secourir.

 

Prince amoureux, des amans le greigneur,

Vostre mal gré ne vouldroye encourir,

Mais tout franc cuer doit, par Nostre Seigneur,

969

Sans empirer, ung povre secourir.

 

LXXXIV

Item, a maistre Ythier Marchant,

Auquel mon branc laissay jadis,

Donne, mais qu'il le mette en chant,

973

Ce lay contenant des vers dix,

Et, au luz, ung De profundis

Pour ses anciennes amours

Desquelles le nom je ne dis,

977

Car il me hairoit a tous jours.

 

LAY

[Rondeau.]

Mort, j'appelle de ta rigueur,

Qui m'as ma maistresse ravie,

980

Et n'es pas encore assouvie

Se tu ne me tiens en langueur:

One puis n'eus force ne vigueur;

Mais que te nuysoit elle en vie,

984

Mort?

 

Deux estions et n'avions qu'ung cuer;

S'il est mort, force est que devie,

Voire, ou que je vive sans vie

Comme les images, par cuer,

989

Mort!

 

LXXXV

Item, a maistre Jehan Cornu

Autre nouveau lais luy vueil faire.

Car il m'a tous jours secouru

993

A mon grant besoing et affaire:

Pour ce, le jardin luy transfere

Que maistre Pierre Baubignon

M'arenta, en faisant refaire

997

L'uys, et redrecier le pignon.

 

LXXXVI

Par faulte d'ung uys, j'y perdis

Ung grez et ung manche de houe.

Alors huit faulcons, non pas dix,

1001

N'y eussent pas prins une aloue.

L'ostel est seur, mais qu'on le cloue.

Pour enseigne y mis ung havet;

Qui que l'ait prins, point ne m'en loue:

1005

Sanglante nuyt et bas chevet!

 

LXXXVII

Item, et pour ce que la femme

De maistre Pierre Saint Amant

(Combien, se coulpe y a a l'ame,

1009

Dieu luy pardonne doulcement!)

Me mist ou ranc de caÿmant,

Pour le Cheval Blanc qui ne bouge

Luy changay a une jument,

1013

Et la Mule a ung asne rouge.

 

LXXXVIII

Item, donne a sire Denis

Hesselin, esleu de Paris,

Quatorze muys de vin d'Aulnis

1017

Prins sur Turgis a mes perils.

S'il en buvoit tant que peris

En fust son sens et sa raison,

Qu'on mette de l'eaue es barils:

1021

Vin pert mainte bonne maison.

 

LXXXIX

Item, donne a mon advocat,

Maistre Guillaume Charruau,

(Quoy que Marchant l'ot par estat)

1025

Mon branc... je me tais du fourreau.

Il aura avecung rëau

En change, affin que sa bource enfle,

Prins sur la chaussee et carreau

1029

De la grant cousture du Temple.

 

XC

Item, mon procureur Fournier

Aura pour toutes ses corvees

(Simple sera de l'espargnier)

1033

En ma bource quatre havees,

Car maintes causes m'a sauvees,

Justes, ainsi Jhesu Christ m'aide!

Comme telles se sont trouvees;

1037

Mais bon droit a bon mestier d'aide.

 

XCI

Item, je donne a maistre Jaques

Raguier le Grant Godet de Greve,

1040

Pourveu qu'il paiera quatre plaques,

(Deust il vendre, quoy qu'il luy griefve,

Ce dont on cueuvre mol et greve,

Aler sans chausses, en eschapin),

Se sans moy boit, assiet ne lieve,

1045

Au trou de la Pomme de Pin.

 

XCII

Item, quant est de Merebeuf

Et de Nicolas de Louviers,

Vache ne leur donne ne beuf,

1049

Car vachiers ne sont ne bouviers,

Mais gens a porter espreviers

– Ne cuidez pas que je me joue –

Pour prendre perdris et plouviers,

1053

Sans faillir, sur la Machecoue.

 

XCIII

Item, viengne Robin Turgis

A moy, je luy paieray son vin;

Combien, s'il treuve mon logis,

1057

Plus fort sera que le devin.

Le droit luy donne d'eschevin,

Que j'ay comme enfant de Paris:

Se je parle ung peu poictevin,

1061

Ice m'ont deux dames apris.

 

XCIV

Elles sont tres belles et gentes,

Demourans a Saint Generou

Pres Saint Julien de Voventes,

1065

Marche de Bretaigne ou Poictou.

Mais i ne di proprenient ou

Yquelles passent tous les jours;

M'arme! i ne seu mie si fou,

1069

Car i vueil celer mes amours.

 

XCV

Item, a Jehan Raguier je donne,

Qui est sergent, voire des Douze,

Tant qu'il vivra, ainsi l'ordonne,

1073

Tous les jours une tallemouse,

Pour bouter et fourrer sa mouse,

Prinse a la table de Bailly;

A Maubué sa gorge arrouse,

1077

Car au mengier n'a pas failly.

 

XCVI

Item, et au Prince des Sotz

Pour ung bon sot Michault du Four,

Qui a la fois dit de bons motz

1081

Et chante bien «Ma doulce amour!»

Je lui donne avec le bonjour;

Brief, mais qu'il fust ung peu en point,

Il est ung droit sot de séjour,

1085

Et est plaisant ou il n'est point.

 

XCVII

Item, aux Unze Vins Sergens

Donne, car leur fait est honneste

Et sont bonnes et doulces gens,

1089

Denis Richier et Jehan Vallette,

A chascun une grant cornette

Pour pendre a leurs chappeaulx de faultres;

J'entens a ceulx a pié, hohette!

1093

Car je n'ay que faire des autres.

 

XCVIII

De rechief donne a Perrenet,

J'entens le Bastart de la Barre,

Pour ce qu'il est beau filz et net,

En son escu, en lieu de barre,

Trois dez plombez, de bonne quarre,

Et ung beau joly jeu de cartes.

Mais quoy! s'on l'oyt vessir ne poirre,

1101

En oultre aura les fievres quartes.

 

XCIX

Item, ne vueil plus que Cholet

Dolle, trenche, douve ne boise,

Relie broc ne tonnelet,

1105

Mais tous ses oustilz changier voise

A une espee lyonnoise,

Et retiengne le hutinet:

Combien qu'il n'ayme bruyt ne noise,

1109

Si luy plaist il ung tantinet.

 

C

Item, je donne a Jehan le Lou,

Homme de bien et bon marchant.

Pour ce qu'il est linget et flou,

1113

Et que Cholet est mal serchant,

Ung beau petit chiennet couchant

Qui ne laira poullaille en voye,

Ung long tabart et bien cachant

1117

Pour les mussier, qu'on ne les voye.

 

CI

Item, a l'Orfevre de bois.

Donne cent clouz, queues et testes,

De gingembre sarrazinois,

1121

Non pas pour acouppler ses boetes,

Mais pour conjoindre culz et coetes,

Et couldre jambons et andoulles,

Tant que le lait en monte aux tettes

1125

Et le sang en devalle aux coulles.

 

CII

Au cappitaine Jehan Riou,

Tant pour luy que pour ses archiers,

Je donne six hures de lou,

1129

Qui n'est pas viande a porchiers,

Prins a gros mastins de bouchiers,

Et cuites en vin de buffet.

Pour mengier de ces morceaulx chiers,

1133

On en feroit bien ung malfait.

 

CIII

C'est viande ung peu plus pesante

Que duvet n'est, plume, ne liege;

Elle est bonne a porter en tente,

1137

Ou pour user en quelque siege.

S'ilz estoient prins a ung piege,

Que ces mastins ne sceussent courre,

J'ordonne, moy qui suis son miege,

1141

Que des peaulx, sur l'yver, se fourre.

 

CIV

Item, a Robinet Trascaille,

Qui en service s'est bien fait,

A pié ne va comme une caille,

1145

Mais sur roncin gros et reffait,

Je lui donne, de mon buffet.

Une jatte qu'emprunter n'ose;

Si aura mesnage parfait:

1149

Plus ne luy faloit autre chose.

 

CV

Item, donne a Perrot Girart,

Barbier juré du Bourg la Royne,

Deux bacins et ung coquemart,

1153

Puis qu'a gaignier met telle paine.

Des ans y a demy douzaine

Qu'en son hostel de cochons gras

M'apastela une sepmaine,

1157

Tesmoing l'abesse de Pourras.

 

CVI

Item, aux Freres mendians.

Aux Devotes et aux Beguines,

Tant de Paris que d'Orleans,

1161

Tant Turlupins que Turlupines,

De grasses souppes jacopines

Et flaons leur fais oblacion;

Et puis apres, soubz les courtines,

1165

Parler de contemplacion.

 

CVII

Si ne suis je pas qui leur donne,

Mais de tous enfans sont les meres,

Et Dieu, qui ainsi les guerdonne,

1169

Pour qui seuffrent paines ameres.

Il faut qu'ilz vivent, les beaulx peres,

Et mesmement ceulx de Paris.

S'ilz font plaisir a nos commeres,

1173

Ilz ayment ainsi leurs maris.

 

CVIII

Quoy que maistre Jehan de Poullieu

En voulsist dire et reliqua.

Contraint et en publique lieu,

1177

Honteusement s'en revoqua.

Maistre Jehan de Mehun s'en moqua

De leur façon; si fist Mathieu:

Mais on doit honnorer ce qu'a

1181

Honnoré l'Eglise de Dieu.

 

CIX

Si me soubmectz, leur serviteur,

En tout ce que puis faire et dire,

A les honnorer de bon cuer

1185

Et obeïr, sans contredire;

L'omme bien fol est d'en mesdire,

Car, soit a part ou en preschier

Ou ailleurs, il ne fault pas dire

1189

Se gens sont pour eux revenchier.

 

CX

Item, je donne a frere Baude,

Demeurant en l'ostel des Carmes,

Portant chiere hardie et baude,

1193

Une salade et deux guysarmes,

Que de Tusca et ses gens d'armes

Ne lui riblent sa caige vert.

Viel est: s'il ne se rent aux armes,

1197

C'est bien le deable de Vauvert.

 

CXI

Item, pour ce que le scelleur

Maint estront de mouche a maschié,

Donne, car homme est de valeur.

1201

Son sceau davantage crachié,

Et qu'il ait le poulce escachié

Pour tout empreindre a une voye;

J'entens celuy de l'Eveschié,

1205

Car les aultres, Dieu les pourvoye!

 

CXII

Quant des auditeurs messeigneurs,

Leur granche ilz auront lambroissee;

Et ceulx qui ont les culz rongneux,

1209

Chascun une chaire percee;

Mais qu'a la petite Macee

D'Orleans, qui ot ma sainture,

L'amende soit bien hault tauxee:

1213

Elle est une mauvaise ordure.

 

CXIII

Item, donne a maistre François,

Promoteur, de la Vacquerie

Ung hault gorgerin d'Escossois,

Toutesfois sans orfaverie;

Car, quant receut chevallerie,

Il maugrea Dieu et saint George.

Parler n'en oit qui ne s'en rie,

Comme enragié, a plaine gorge.

 

CXIV

Item, a maistre Jehan Laurens,

Qui a les povres yeulx si rouges

Par le pechié de ses parens

1225

Qui burent en barilz et courges,

Je donne l'envers de mes bouges

Pour tous les matins les torchier:

S'il fut arcevesque de Bourges,

1229

Du cendal eust, mais il est chier.

 

CXV

Item, a maistre Jehan Cotart,

Mon procureur en court d'Eglise,

Devoye environ ung patart

1233

(Car a present bien m'en advise)

Quant chicaner me feist Denise,

Disant que l'avoye mauldite:

Pour son ame, qu'es cieulx soit mise,

1237

J'ay ceste oroison cy escripte.

 

BALADE

[Balade et oraison.]

Pere Noé, qui plantastes la vigne,

Vous aussi, Loth, qui beustes ou rochier,

Par tel party qu'Amours, qui gens engigne,

1241

De voz filles si vous feist approuchier

(Pas ne le dy pour le vous reprouchier),

Archetriclin, qui bien sceustes cest art,

Tous trois vous pry qu'o vous vueillez perchier

1245

L'ame du bon feu maistre Jehan Cotart.

 

Jadis extraict il fut de vostre ligne,

Luy qui buvoit du meilleur et plus chier,

Et ne deust il avoir vaillant ung pigne;

1249

Certes, sur tous, c'estoit ung bon archier:

On ne luy sceut pot des mains arrachier;

De bien boire oncques ne fut fetart.

Nobles seigneurs, ne souffrez empeschier

1253

L'ame du bon feu maistre Jehan Cotart!

 

Comme homme beu qui chancelle et trepigne

L'ay veu souvent, quant il s'aloit couchier;

Et une fois il se feist une bigne,

1257

Bien m'en souvient, a l'estal d'ung bouchier.

Brief, on neust sceu en ce monde serchier

Meilleur pyon, pour boire tost et tart.

Faictes entrer quant vous orrez huchier

1261

L'ame du bon feu maistre Jehan Cotart!

 

Prince, il n'eust sceu jusqu'a terre crachier;

Toujours crioit: «Haro, la gorge m'art!»

Et si ne sceust oncq sa seuf estanchier

1265

L'ame du bon feu maistre Jehan Cotart.

 

CXVI

Item, vueil que le jeune Marle

Desormais gouverne mon change,

Car de changier envys me mesle,

1269

Pourveu que tousjours baille en change,

Soit a privé soit a estrange,

Pour trois escus six brettes targes,

Pour deux angeloz ung grant ange:

1273

Car amans doivent estre larges.

 

CXVII

Item, j'ay sceu, en ce voyage,

Que mes trois povres orphelins

Sont creus et deviennent en aage,

1277

Et n'ont pas testes de belins,

Et qu'enfans d'icy a Salins

N'a mieulx sachans leur tour d'escolle:

Or, par l'ordre des Mathelins,

1281

Telle jeunesse n'est pas folle.

 

CXVIII

Si vueil qu'ilz voisent a l'estude;

Ou? sur maistre Pierre Richier.

Le Donat est pour eulx trop rude:

1285

Ja ne les y vueil empeschier.

Ils sauront, je l'ayme plus chier,

Ave salus, tibi decus,

Sans plus grans lettres enserchier:

1289

Tousjours n'ont pas clers l'audessus.

 

CXIX

Cecy estudient, et ho!

Plus proceder je leur deffens.

Quant d'entendre le grant Credo,

1293

Trop fort il est pour telz enfans.

Mon long tabart en deux je fens;

Si vueil que la moitié s'en vende

Pour leur en acheter des flaons,

1297

Car jeunesse est ung peu friande.

 

CXX

Et vueil qu'ilz soient informez

En meurs, quoy que couste bature;

Chapperons auront enfermez,

1301

Et les poulces sur la sainture;

Humbles a toute creature,

Disans: «Han? Quoy? Il n'en est rien!»

Si diront gens, par adventure:

1305

«Vecy enfans de lieu de bien!»

 

CXXI

Item, et mes povres clergons,

Auxquelz mes tiltres resigné,

Beaulx enfans et droiz comme jons

1309

Les voyant, m'en dessaisiné;

Sans recevoir leur assigné,

Seur comme qui l'auroit en paulme,

A ung certain jour consigné,

1313

Sur l'ostel de Gueuldry Guillaume.

 

CXXII

Quoy que jeunes et esbatans

Soient, en riens ne me desplaist:

Dedens trente ans ou quarante ans

1317

Bien autres seront, se Dieu plaist.

Il fait mal qui ne leur complaist;

Ilz sons tres beaulx enfans et gens;

Et qui les bat ne fiert, fol est,

1321

Car enfans si deviennent gens.

 

CXXIII

Les bources des Dix et Huit Clers

Auront; je m'y vueil traveillier:

Pas ilz ne dorment comme loirs

1325

Qui trois mois sont sans resveillier.

Au fort, triste est le sommeillier

Qui fait aisier jeune en jeunesse,

Tant qu'en fin lui faille veillier,

1329

Quant reposer deust en viellesse.

 

CXXIV

Si en escrips au collateur

Lettres semblables et pareilles:

Or prient pour leur bienfacteur,

1333

Ou qu'on leur tire les oreilles.

Aucunes gens ont grans merveilles

Que tant m'encline vers ces deux;

Mais, foy que doy festes et veilles,

1337

Oncques ne vy les meres d'eulx!

 

CXXV

Item, donne a Michault Culdoe

Et a sire Chariot Taranne

Cent solz (s'ilz demandent: «Prins ou?»

1341

Ne leur chaille: ilz vendront de manne)

Et unes houses de basanne,

Autant empeigne que semelle,

Pourveu qu'ilz me salueront Jehanne,

1345

Et autant une autre comme elle.

 

CXXVI

Item, au seigneur de Grigny,

Auquel jadis laissay Vicestre,

Je donne la tour de Billy,

1349

Pourveu, se huys y a ne fenestre

Qui soit ne debout ne en estre,

Qu'il mette tres bien tout a point.

Face argent a destre a senestre:

1353

Il m'en fault, et il n'en a point.

 

CXXVII

Item, a Thibault de la Garde...

Thibault? je mens, il a nom Jehan.

Que luy donray je, que ne perde?

1357

(Assez ay perdu tout cest an;

Dieu y vueille pourveoir, amen!)

Le Barillet, par m'ame, voire!

Genevoys est plus ancïen

1361

Et plus beau nez a pour y boire.

 

CXXVIII

Item, je donne a Basennier,

Notaire et greffier criminel,

De giroffle ung plain pannier

1365

Prins sur maistre Jehan de Ruel,

Tant a Mautaint, tant a Rosnel,

Et, avec ce don de giroffle,

Servir de cuer gent et ysnel

1369

Le seigneur qui sert saint Cristofle

 

CXXIX

Auquel ceste balade donne

Pour sa dame, qui tous bien a.

S'Amours ainsi tous ne guerdonne,

1373

Je ne m'esbahis de cela,

Car au Pas conquester l'ala

Que tint Regnier, roy de Cecille,

Ou si bien fist et peu parla

1377

Qu'onques fist Hector ne Troïlle.

 

BALADE

[Balade pour Robert d'Estouteville.]

Au point du jour, que l'esprevier s'esbat,

Meu de plaisir et par noble coustume,

(Bruyt la mauviz et de joye s'esbat),

1381

Reçoit son past et se joinct a la plume,

Offrir vous vueil, ad ce desir m'alume,

Ioyeusement ce qu'aux amans bon semble.

Sachiez qu'Amours l'escript en son volume,

1385

Et c'est la fin pour quoy sommes ensemble.

 

Dame serez de mon cuer, sans debat,

Entierement, jusques mort me consume.

Laurier souef qui pour mon droit combat,

1389

Olivier franc, m'ostant toute amertune;

Raison ne veult que je desacoustume,

Et en ce vueil avec elle m'assemble.

De vous servir, mais que m'y acoustume;

1393

Et c'est la fin pour quoy sommes ensemble.

 

Et qui plus est, quant dueil sur moy s'embat,

Par Fortune qui souvent si se fume,

Vostre doulx oeil sa malice rabat,

1397

Ne mais ne mains que le vent fait la plume.

Si ne pers pas la graine que je sume

En vostre champ, quant le fruit me ressemble.

Dieu m'ordonne que le fouysse et fume;

1401

Et c'est la fin pour quoy sommes ensemble.

 

Princesse, oyez ce que cy vous resume:

Que le mien cuer du vostre desassemble

Ja ne sera: tant de vous en presume;

1405

Et c'est la fin pour quoy sommes ensemble.

 

CXXX

Item, a sire Jehan Perdrier,

Riens, n'a Françoys, son secont frere.

Si m'ont voulu tous jours aidier,

1409

Et de leurs biens faire confrere;

Combien que François, mon compere,

Langues cuisans, flambans et rouges,

My commandement my priere,

1413

Me recommanda fort a Bourges.

 

CXXXI

Si alé veoir en Taillevant,

Ou chapitre de fricassure,

Tout au long, derriere et devant,

1417

Lequel n'en parle jus ne sure.

Mais Macquaire, je vous asseure,

A tout le poil cuisant ung deable,

Affin que sentist bon l'arseure,

1421

Ce recipe m'escript, sans fable.

 

BALADE

[Ballade des langues ennuieuses.]

En realgar, en arsenic rochier;

En orpiment, en salpestre et chaulx vive;

En plomb boullant pour mieulx les esmorchier;

En suif et poix, destrempez de lessive

1426

Faicte d'estrons et de pissat de juifve;

En lavailles de jambes a meseaulx;

En racleure de piez et viels houseaulx;

En sang d'aspic et drogues venimeuses;

En fiel de loups, de regnars et blereaulx

1431

Soient frittes ces langues envieuses!

 

En cervelle de chat qui hayt peschier,

Noir, et si viel qu'il n'ait dent en gencive;

D'ung viel mastin, qui vault bien aussi chier,

Tout enragié, en sa bave et salive;

1436

En l'escume d'une mule poussive

Detrenchiee menu a bons ciseaulx;

En eaue ou ratz plongent groings et museaulx,

Raines, crappaulx et bestes dangereuses,

Serpens, lesars et telz nobles oyseaulx,

1441

Soient frittes ces langues envieuses!

 

En sublimé, dangereux a touchier;

Et ou nombril d'une couleuvre vive;

En sang qu'on voit es palletes sechier

Sur ces barbiers, quant plaine lune arrive,

1446

Dont l'ung est noir, l'autre plus vert que cive;

En chancre et fiz, et en ces ors cuveaulx

Ou nourrisses essangent leurs drapeaulx;

En petiz boings de filles amoureuses

(Qui ne m'entent n'a suivy les bordeaulx)

1451

Soient frittes ces langues envieuses!

 

Prince, passez tous ces frians morceaulx,

S'estamine, sacs n'avez, ou bluteaulx,

Parmy le fons d'unes brayes breneuses;

Mais, par avant, en estrons de pourceaulx

1456

Soient frittes ces langues envieuses!

 

CXXXII

Item, a maistre Andry Courault,

Les contrediz Franc Gontier mande:

Quant du tirant séant en hault,

1460

A cestuy la riens ne demande.

Le Sage ne veult que contende

Contre puissant povre homme las,

Affin que ses filez ne tende,

1464

Et que ne trebuche en ses las.

 

CXXXIII

Gontier ne crains: il n'a nuls hommes,

Et mieulx que moy n'est hérité;

Mais en ce debat cy nous sommes,

1468

Car il loue sa povreté,

(Estre povre yver et esté!)

Et a felicité repute

Ce que tiens a maleureté.

1472

Lequel a tort? Or en dispute.

 

BALADE

[Les contredis de Franc Gontier.]

Sur mol duvet assis, ung gras chanoine,

Lez ung brasier, en chambre bien natee,

A son costé gisant dame Sidoine,

Blanche, tendre, polie et attintee:

1477

Boire ypocras, a jour et a nuytee,

Rire, jouer, mignonner et baisier,

Et nu a nu, pour mieulx des corps s'aisier.

Les vy tous deux, par ung trou de mortaise:

Lors je congneus que, pour dueil appaisier,

1482

Il n'est tresor que de vivre a son aise.

 

Se Franc Gontier et sa compaigne Helaine

Eussent ceste doulce vie hantee,

D'oignons, civotz, qui causent forte alaine,

N'acontassent une bise tostee.

1487

Tout leur mathon, ne toute leur potee,

Ne prise ung ail, je le dy sans noysier.

S'ilz se vantent couchier soubz le rosier,

Lequel vault mieulx? Lit costoyé de chaise?

Qu'en dites vous? Faut il a ce musier?

1492

Il n'est tresor que de vivre a son aise.

 

De gros pain bis vivent, d'orge, d'avoine,

Et boivent eaue tout au long de l'annee.

Tous les oyseaulx d'icy en Babiloine

A tel escot une seule journee

1497

Ne me tendroient, non une matinee.

Or s'esbate, de par Dieu, Franc Gontier,

Helaine o luy, soubz le bel aiglentier:

Se bien leur est, cause n'ay qu'il me poise;

Mais, quoy que soit du laboureux mestier,

1502

Il n'est tresor que de vivre a son aise.

 

Prince, jugiez, pour tous nous accorder.

Quant est de moy, mais qu'a nul n'en desplaise,

Petit enfant, j'ay ouÿ recorder:

1506

Il n'est tresor que de vivre a son aise.

 

CXXXIV

Item, pour ce que scet sa Bible

Ma damoiselle de Bruieres,

Donne preschier lors l'Evangile

1510

A elle et a ses bachelieres,

Pour retraire ces villotieres

Qui ont le bec si affilé,

Mais que ce soit hors cymetieres,

1514

Trop bien au Marchié au filé.

 

BALADE

[Balade des femmes de Paris.]

Quoy qu'on tient belles langagieres

Florentines, Venicïennes,

Assez pour estre messagieres,

1518

Et mesmement les anciennes;

Mais, soient Lombardes, Rommaines,

Genevoises, a mes perilz,

Pimontoises, Savoisiennes,

1522

Il n'est bon bec que de Paris.

 

De tres beau parler tiennent chaieres,

Ce dit on, les Neapolitaines,

Et sont tres bonnes caquetieres

1526

Allemandes et Pruciennes;

Soient Grecques, Egipciennes,

De Hongrie ou d'autre pays,

Espaignolles ou Cathelennes,

1530

Il n'est bon bec que de Paris.

 

Brettes, Suysses, n'y sçavent guieres,

Gasconnes, n'aussi Toulousaines:

De Petit Pont deux harengieres

1534

Les concluront, et les Lorraines,

Engloises et Calaisiennes,

(Ay je beaucoup de lieux compris?)

Picardes de Valenciennes;

1538

Il n'est bon bec que de Paris.

 

Prince aux dames Parisiennes

De beau parler donnez le pris;

Quoy qu'on die d'Italiennes,

1542

Il n'est bon bec que de Paris.

 

CXXXV

Regarde m'en deux, trois, assises

Sur le bas du ply de leurs robes,

En ces moustiers, en ces eglises;

1546

Tire toy pres, et ne te hobes;

Tu trouveras la que Macrobes

Oncques ne fist tels jugemens.

Entens; quelque chose en desrobes:

1550

Ce sont tres beaulx enseignemens.

 

CXXXVI

Item, et au mont de Montmartre,

Qui est ung lieu moult ancïen,

Je luy donne et adjoings le tertre

1554

Qu'on dit le mont Valerien;

Et, oultre plus, ung quartier d'an

Du pardon qu'apportay de Romme:

Si ira maint bon crestien

1558

En l'abbaye ou il n'entre homme.

 

CXXXVII

Item, varletz et chamberieres

De bons hostelz (riens ne me nuit)

Feront tartes, flaons et goyeres,

1562

Et grant rallias a mynuit:

Riens n'y font sept pintes ne huit,

Tant que gisent seigneur et dame:

Puis après, sans mener grant bruit,

1566

Je leur ramentoy le jeu d'asne.

 

CXXXVIII

Item, et a filles de bien.

Qui ont peres, meres et antes,

Par m'ame! je ne donne rien,

1570

Car j'ay tout donné aux servantes.

Si fussent ilz de peu contentes:

Grant bien leur fissent mains lopins

Aux povres filles endrementes,

1574

Qui se perdent aux Jacopins,

 

CXXXIX

Aux Celestins et aux Chartreux:

Quoy que vie mainent estroite,

Si ont ilz largement entre eulx

1578

Dont povres filles ont souffrete;

Tesmoing Jaqueline et Perrette

Et Ysabeau qui dit: «Enné!»;

Puis qu'ilz en ont telle disette,

1582

A paine en seroit on dampné.

 

CXL

Item, a la Grosse Margot,

Tres doulce face et pourtraicture,

Foy que doy brulare bigod,

1586

Assez devote creature;

Je l'aime de propre nature,

Et elle moy, la doulce sade:

Qui la trouvera d'aventure,

1590

Qu'on luy lise ceste balade.

 

 

BALADE

[Balade de la Grosse Margot.]

Se j'ayme et sers ma dame de bon het.

M'en devez vous tenir ne vil ne sot?

Elle a en soy des biens a fin souhet.

Pour son amour sains bouclier et passot;

1595

Quant viennent gens, je cours et happe ung pot,

Au vin m'en voys, sans demener grant bruit;

Je leur tens eaue, frommage, pain et fruit.

S'ilz paient bien, je leur dis «bene stat;

Retournez cy, quant vous serez en ruit,

1600

En ce bordeau ou tenons nostre estat!»

 

Mais adoncques il y a grant deshet,

Quant sans argent s'en vient couchier Margot;

Veoir ne la puis, mon cuer a mort la het.

Sa robe prens, demy saint et surcot,

1605

Si luy jure qu'il tendra pour l'escot.

Par les costés se prent cest Antecrist;

Crie, et jure par la mort Jhesucrit

Que non sera. Lors j'empongne ung esclat;

Dessus son nez luy en fais ung escript,

1610

En ce bordeau ou tenons notre estat.

 

Puis paix se fait, et me lasche ung gros pet,

Plus enflee qu'ung vlimeux escarbot.

Riant m'assiet son poing sur mon sommet,

Go, go! me dit, et me fiert le jambot...

1615

Tous deux yvres, dormons comme ung sabot.

Et, au resveil, quant le ventre luy bruit,

Monte sur moy, que ne gaste son fruit.

Soubz elle geins, plus qu'un aiz me fait plat;

De paillarder tout elle me destruit,

1620

En ce bordeau ou tenons nostre estat.

 

Vente, gresle, gelle, j'ay mon pain cuit.

Ie suis paillart, la paillarde me suit.

1623

Lequel vault mieulx? Chascun bien s'entresuit.

L'ung l'autre vault; c'est a mau rat mau chat.

Ordure amons, ordure nous assuit;

Nous deffuyons honneur, il nous defluit,

1627

En ce bordeau ou tenons nostre estat.

 

CXLI

Item, a Marion l'Ydolle

Et la grant Jehanne de Bretaigne

Donne tenir publique escolle

1631

Ou l'escollier le maistre enseigne.

Lieu n'est ou ce marchié se tiengne,

Si non a la grisle de Mehun;

De quoy je dis: «Fy de l'enseigne!

1635

Puis que l'ouvraige est si commun.»

 

CXLII

Item, et a Noel Jolis,

Autre chose je ne luy donne

Fors plain poing d'osiers frez cueillis

1639

En mon jardin; je l'abandonne.

Chastoy est une belle aumosne,

Ame n'en doit estre marry:

Unze vins coups luy en ordonne

1643

Par les mains de maistre Henry.

 

CXLIII

Item, ne sçay qu'a l'Ostel Dieu

Donner, n'a povres hospitaulx;

Bourdes n'ont icy temps ne lieu,

1647

Car povres gens ont assez maulx.

Chascun leur envoye leurs os.

Les Mendians ont eu mon oye;

Au fort, ilz en auront les os:

1651

A menue gent menue monnoye.

 

CXLIV

Item, je donne a mon barbier

Qui se nomme Colin Galerne,

Pres voisin d'Angelot l'erbier,

1655

Ung gros glasson (prins ou? en Marne),

Affin qu'a son aise s'yverne.

De l'estomac le tiengne pres:

Se l'yver ainsi se gouverne,

1659

Il aura chault l'esté d'apres.

 

CXLV

Item, riens aux Enfans trouvez;

Mais les perdus faut que consolle.

Si doivent estre retrouvez,

1663

Par droit, sur Marion l'Ydolle.

Une leçon de mon escolle

Leur larray, qui ne dure guiere.

Teste n'ayent dure ne folle;

1667

Escoutent! car c'est la derniere.

 

[Belle leçon aux enfans perduz.]

«Beaulx enfans, vous perdez la plus

Belle rose de vo chappeau;

Mes clers pres prenans comme glus,

1671

Se vous alez a Montpipeau

Ou a Ruel, gardez la peau:

Car, pour s'esbatre en ces deux lieux,

Guidant que vaulsist le rappeau.

1675

Le perdit Colin de Cayeux.

 

«Ce n'est pas ung jeu de trois mailles,

Ou va corps, et peut estre l'ame.

Qui pert, riens n'y sont repentailles

1679

Qu'on n'en meure a honte et diffame;

Et qui gaigne n'a pas a femme

Dido, la royne de Cartage.

L'omme est donc bien fol et infame

1683

Qui, pour si peu, couche tel gage.

 

«Qu'ung chascun encore m'escoute!

On dit, et il est verité.

Que charretee se boit toute,

1687

Au feu l'yver, au bois l'esté.

S'argent avez, il n'est enté,

Mais le despendez tost et viste.

Qui en voyez vous herité?

1691

Jamais mal acquest ne proffite.»

 

BALADE

[Ballade de bonne doctrine.]

Car ou soies porteur de bules,

Pipeurou hasardeur de dez,

Tailleur de faulx coings, tu te brusles

1695

Comme ceulx qui sont eschaudez,

Traistres parjurs, de foy vuidez;

Soies larron, ravis ou pilles,

Ou en va l'acquest, que cuidez?

1699

Tout aux tavernes et aux filles.

 

Ryme, raille, cymballe, luttes,

Comme fol, fainctif, eshontez;

Farce, broulle, joue des fleustes;

1703

Fais, es villes et es citez,

Farces, jeux et moralitez;

Gaigne au berlanc, au glic, aux quilles.

Aussi bien va, or escoutez!

1707

Tout aux tavernes et aux filles.

 

De telz ordures te recules?

Laboure, fauche champs et prez,

Sers et pense chevaux et mules,

1711

S'aucunement tu n'es lettrez;

Assez auras, se prens en grez.

Mais, se chanvre broyés ou tilles,

Ne tens ton labour qu'as ouvrez

1715

Tout aux tavernes et aux filles?

 

Chausses, pourpoins esguilletez,

Robes, et toutes vos drappilles,

Ains que vous fassiez pis, portez

1719

Tout aux tavernes et aux filles.

 

CXLVI

«A vous parle, compaings de galle,

Mal des ames et bien du corps;

Gardez vous tous de ce mau hasle

1725

Qui noircist les gens quant sont mors:

Eschevez le, c'est ung mal mors;

Passez vous en mieulx que pourrez;

Et, pour Dieu, soiez tous recors

1727

Qu'une fois vendra que mourrez.»

 

CXLVII

Item, je donne aux Quinze Vins

(Qu'autant vauldroit nommer Trois Cens)

De Paris, non pas de Provins,

1731

Car a eulx tenu je me sens.

Ilz auront, et je m'y consens,

Sans les estuys, mes grans lunettes,

Pour mettre a part, aux Innocens,

1735

Les gens de bien des deshonnestes.

 

CXLVIII

Icy n'ya ne ris ne jeu.

Que leur valut avoir chevances,

N'en grans litz de parement jeu,

1739

Engloutir vins en grosses pances,

Mener joye, festes et dances,

Et de ce prest estre a toute heure?

Toutes faillent telles plaisances,

1743

Et la coulpe si en demeure.

 

CXLIX

Quant je considere ces testes

Entassees en ces charniers,

Tous furent maistres des requestes,

1747

Au moins de la Chambre aux Deniers,

Ou tous furent portepaniers:

Autant puis l'ung que l'autre dire;

Car, d'evesques ou lanterniers,

1751

Je n'y congnois rien a redire.

 

CL

Et icellesqui s'enclinoient

Unes contre autres en leurs vies,

Desquelles les unes regnoient

1755

Des autres craintes et servies,

La les voy toutes assouvies,

Ensemble en ung tas pesle mesle.

Seigneuries leur sont ravies;

1759

Clerc ne maistre ne s'y appelle.

 

CLI

Or sont ilz mors, Dieu ait leurs ames!

Quand est des corps, ilz sont pourris.

Aient esté seigneurs ou dames,

1765

Souef et tendrement nourris

De cresme, fromentee ou riz,

Leurs os sont declinez en pouldre,

Auxquelz ne chault d'esbatz ne ris.

1767

Plaise au doulx Jhesus les absouldre!

 

CLII

Aux trespassez je fais ce laiz,

Et iceluy je communique

A regens, cours, sieges, palaiz,

1772

Hayneurs d'avarice l'inique,

Lesquelz pour la chose publique

Se seichent les os et les corps:

De Dieu et de saint Dominique

1775

Soient absols quant seront mors.

 

CLIII

Item, riens a Jaquet Cardon,

Car je n'ay riens pour lui d'onneste,

Non pas que le gette a bandon,

1779

Sinon ceste bergeronnette:

S'elle eust le chant Marionnette,

Fait pour Marion la Peautarde,

Ou d'Ouvrez vostre huys, Guillemette,

1783

Elle alast bien a la moustarde.

 

CHANSON

Au retour de dure prison

Ou j'ai laissié presque la vie,

1786

Se Fortune a sur moy envie,

Jugiez s'elle fait mesprison!

Il me semble que, par raison,

Elle deust bien estre assouvie

1790

Au retour!

 

Se si plaine est de desraison

Que vueille que du tout desvie,

Plaise a Dieu que l'ame ravie

En soit lassus en sa maison,

1795

Au retour!

 

CLIV

Item, donne a maistre Lomer,

Comme extraict que je suis de fee,

Qu'il soit bien amé (mais d'amer

1799

Fille en chief ou femme coeffee,

Ja n'en ayt la teste eschauffee)

Et qu'il ne luy couste une noix

Faire ung soir cent fois la faffee,

1803

En despit d'Ogier le Danois.

 

CLV

Item, donne aux amans enfermes,

Sans le laiz maistre Alain Chartier,

A leurs chevez, de pleurs et lermes

1807

Trestout fin plain ung benoistier,

Et ung petit brin d'aiglentier.

Qui soit tout vert, pour guipillon,

Pourveu qu'ilz diront ung psaultier

1811

Pour l'ame du povre Villon.

 

CLVI

Item, a maistre Jaques James,

Qui se tue d'amasser biens,

Donne fiancer tant de femmes

1815

Qu'il vouldra; mais d'espouser, riens.

Pour qui amasse il? Pour les siens.

Il ne plaint fors que ses morceaulx;

Ce qui fut aux truyes, je tiens

1819

Qu'il doit de droit estre aux pourceaulx.

 

CLVII

Item, sera le Seneschal,

Qui une fois paya mes debtes,

En recompence, mareschal

1823

Pour ferrer oes et canettes.

Je luy envoie ces sornettes

Pour soy desennuyer; combien,

S'il veult, face en des alumettes:

1827

De bien chanter s'ennuye on bien.

 

CLVIII

Item, au Chevalier du Guet

Je donne deux beaulx petiz pages,

Philebert et le gros Marquet,

1831

Qui tres bien servy, comme sages,

La plus grant partie de leurs aages,

Ont le prevost des mareschaulx.

Helas! s'ilz sont cassez de gages,

1835

Aler leur fauldra tous deschaulx.

 

CLIX

Item, a Chappelain je laisse

Ma chappelle a simple tonsure,

Chargiee d'une seiche messe

1839

Ou il ne fault pas grant lecture.

Resigné luy eusse ma cure,

Mais point ne veult de charge d'ames;

De confesser, ce dit, n'a cure,

1843

Sinon chamberieres et dames.

 

CLX

Pour ce que scet bien mon entente

Jehan de Calais, honnorable homme,

Qui ne me vit des ans a trente

1847

Et ne scet comment je me nomme,

De tout ce testament, en somme,

S'aucun y a difficulté,

Oster jusqu'au rez d'une pomme

1851

Je luy en donne faculté.

 

CLXI

De le gloser et commenter.

De le diffinir et descripre,

Diminuer ou augmenter,

1855

De le cancelleret prescripre

De sa main, et, ne sceut escripre,

Interpreter et donner sens,

A son plaisir, meilleur ou pire:

1859

A tout cecy je m'y consens.

 

CLXII

Et s'aucun, dont n'ay congnoissance,

Estoit alé de mort a vie,

Je vueil et lui donne puissance,

1863

Affin que l'ordre soit suyvie,

Pour estre mieulx parassouvie,

Que ceste aumosne ailleurs transporte,

Sans se l'appliquer par envie;

1867

A son ame je m'en rapporte.

 

CLXIII

Item, j'ordonne a Sainte Avoye,

Et non ailleurs, ma sepulture;

Et, affin que chascun me voie,

1871

Non pas en char, mais en painture,

Que l'on tire mon estature

D'encre, s'il ne coustoit trop chier.

De tombel? riens: je n'en ay cure,

1875

Car il greveroit le planchier.

 

CLXIV

Item, vueil qu'autour de ma fosse

Ce que s'ensuit, sans autre histoire,

Soit escript en lettre assez grosse,

1879

Et, qui n'auroit point d'escriptoire,

De charbon ou de pierre noire,

Sans en riens entamer le plastre;

Au moins sera de moy memoire.

1883

Telle qu'elle est d'ung bon follastre:

 

CLXV

EPITAPHE

Cy gist et dort en ce sollier,

qu'amours occist de son raillon,

ung povre petit escollier,

1887

qui fut nommé françois villon.

oncques de terre n'ot sillon.

il donna tout, chascun le scet:

tables, tresteaulx, pain, corbeillon.

1891

amans, dictes en ce verset:

 

VERSET

Repos eternel donne a cil,

Sire, et clarté perpetuelle,

1894

Qui vaillant plat ni escuelle

N'ot oncques, n'ung brin de percil.

Il fut rez, chief, barbe et sourcil,

Comme ung navet qu'on ret ou pelle.

1898

Repos eternel donne a cil.

 

Rigueur le transmit en exil,

Et luy frappa au cul la pelle,

Non obstant qu'il dit: «J'en appelle!»

Qui n'est pas terme trop subtil.

1903

Repos eternel donne a cil.

 

CLXVI

Item, je vueil qu'on sonne a bransle

Le gros beffroy qui est de verre;

Combien qu'il n'est cuer qui ne tremble,

1907

Quant de sonner est a son erre.

Sauvé a mainte bonne terre,

Le temps passé, chascun le scet:

Fussent gens d'armes ou tonnerre,

1911

Au son de luy, tout mal cessoit.

 

CLXVII

Les sonneurs auront quatre miches

Et, se c'est peu, demy douzaine;

Autant n'en donnent les plus riches,

1915

Mais ilz seront de saint Estienne.

Volant est homme de grant paine:

L'ung en sera; quant j'y regarde,

Il en vivra une sepmaine.

1919

Et l'autre? Au fort, Jehan de la Garde.

 

CLXVIII

Pour tout ce fournir et parfaire,

J'ordonne mes executeurs,

Auxquels fait bon avoir affaire

1923

Et contentent bien leurs debteurs.

Ilz ne sont pas moult grans vanteurs,

Et ont bien de quoy, Dieu mercis!

De ce fait seront directeurs.

1927

Escry: je t'en nommerai six.

 

CLXIX

C'est maistre Martin Bellefaye,

Lieutenant du cas criminel.

Qui sera l'autre? J'y pensoye:

1931

Ce sera sire Colombel.

S'il luy plaist et il luy est bel,

Il entreprendra ceste charge.

Et l'autre? Michiel Jouvenel.

1935

Ces trois seulz, et pour tout, j'en charge.

 

CLXX

Mais, ou cas qu'ilz s'en excusassent,

En redoubtant les premiers frais,

Ou totalement recusassent,

1939

Ceulx qui s'ensuivent cy apres

Institue, gens de bien tres:

Phelip Brunel, noble escuyer,

Et l'autre, son voisin d'empres,

1943

Si est maistre Jaques Raguier;

 

CLXXI

Et l'autre, maistre Jaques James;

Trois hommes de bien et d'onneur,

Desirans de sauver leurs ames,

1947

Et doubtans Dieu Nostre Seigneur.

Plus tost y mettroient du leur

Que ceste ordonnance ne baillent.

Point n'auront de contreroleur,

1951

Mais a leur bon plaisir en taillent.

 

CLXXII

Des testamens qu'on dit le Maistre

De mon fait n'aura quid ne quod;

Mais ce sera ung jeune prestre,

1955

Qui est nommé Thomas Tricot.

Voulentiers beusse a son escot,

Et qu'il me coustast ma cornette!

S'il sceust jouer a ung tripot,

1959

Il eust de moy le Trou Perrette.

 

CLXXIII

Quant au regart du luminaire,

Guillaume du Ru j'y commetz.

Pour porter les coings du suaire,

1963

Aux executeurs le remetz.

Trop plus mal me font qu'oncques mais

Penil, cheveulx, barbe, sourcis.

Mal me presse; est temps desormais

1967

Que crie a toutes gens mercis.

 

BALADE

[Balade de mercy.]

A Chartreux et a Celestins,

A Mendians et a Devottes,

A musars et claquepatins,

1971

A servans et filles mignottes

Portans surcotz et justes cottes,

A cuidereaux d'amours transis,

Chaussans sans meshaing fauves bottes,

1975

Je crie a toutes gens mercis.

 

A fillettes monstrans tetins

Pour avoir plus largement hostes,

A ribleurs mouveurs de hutins,

1979

A bateleurs traynans marmottes,

A folz et folles, sotz et sottes,

Qui s'en vont siflant six a six,

A marmosetz et mariottes,

1983

Je crie a toutes gens mercis.

 

Si non aux traistres cbiens mastins

Qui m'ont fait rongier dures crostes

Et maschier, mains soirs et matins,

1987

Qu'ores je ne crains pas trois crottes.

Je feisse pour eulx petz et rottes;

Je ne puis, car je suis assis.

Au fort, pour eviter riottes,

1991

Je crie a toutes gens mercis.

 

Qu'on leur froisse les quinze costes

De gros mailletz, fors et massis,

De plombees et telz pelottes.

1995

Je crie a toutes gens mercis.

 

AUTRE BALADE

[Ballade de conclusion.]

Icy se clost le testament

Et finist du povre Villon.

Venez a son enterrement

1999

Quant vous orrez le carrillon,

Vestus rouge com vermillon,

Car en amours mourut martir;

Ce jura il sur son couillon,

2003

Quand de ce monde voult partir.

 

Et je croy bien que pas n'en ment,

Car chassié fut comme ung souillon

De ses amours hayneusement;

2007

Tant que, d'icy a Roussillon,

Brosse n'y a ne brossillon

Oui n'eust, ce dit il sans mentir,

Ung lambeau de son cotillon,

2011

Quant de ce monde voult partir.

 

Il est ainsi, et tellement,

Quant mourut n'avoit qu'ung haillon.

Qui plus, en mourant, malement

2015

L'espoignoit d'Amours l'esguillon;

Plus agu que le ranguillon

D'ung baudrier luy faisoit sentir,

C'est de quoy nous esmerveillon,

2019

Quant de ce monde voult partir.

 

Prince, gent comme esmerillon,

Sachiez qu'il fist au departir:

Ung traict but de vin morillon,

2023

Quant de ce monde voult partir.

 

Explicit.