bibliotheca Augustana
BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Jean d'Abondance

† vers 1540

 

Farce nouvelle très bonne et

très joyeuse de la Cornette

 

Introduction

 

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Notice et argument.

 

On ne sait presque rien sur l'auteur de cette farce charmante; on ne sait même pas si le nom de Jehan d'Abundance, dont il signa une partie de ce qu'il écrivit, était son nom véritable. Il prit quelquefois celui de «maistre Tyburce demeurant en la ville de Papetourte», et La Monnoie s'est demandé lequel des deux noms est vraiment le sien. Nous penchons pour celui de «Jehan d'Abundance». Il le prit plus souvent que l'autre et il le fit presque toujours suivie des titres: «Bazochien et Notaire royal de la ville de Pont-Saint-Esprit», qui lui donnent quelque chose de sérieux, et pour ainsi dire le légalisent.

Si c'est à Pont-Saint-Esprit qu'il fut notaire, c'est à Lyon qu'il fut auteur. La plupart de ses pièces, que nous nous contenterons de citer, en laissant a part ses autres poésies, sont datées de là Elles n'ont pas toutes survécu. Quelques-unes, le Couvert d'humanité, moralité, Lyon, 1634; le Monde qui tourne le dos a chascun, Moralité, Lyon, 1536, Plusieurs qui n'a pas de conscience, Moralité portant la même date et le même nom de lieu, ne nous sont connues que par la Bibliothèque française de Du Verdier.

En revanche, il reste de lui, mais à l'état de rareté insigne, ou même seulement de manuscrit: Mystere, moralite et figures de la Passion, Lyon, 1544; le Testament de Caresme entrant, à VIII personnages, et le Joyeux Mystère des trots rois, a VII personnages.

Les deux premières pièces ont été imprimées, et se trouvent à la Bibliothèque Nationale, mais l'exemplaire de l'une et de l'autre passe pour être unique; la troisième, le Mystère des trois rois, n'y existe qu'en manuscrit, sous le n° 3387, avec la date de 1541.

Elles viennent toutes trois de l'admirable collection de M. de La Vallière.

La farce de la Cornette en vient aussi. C'est la seule que l'on connaisse de Jehan d'Abundance. Il la fit sans doute pour accompagner une de ses Moralités, dans quelque grande représentation, comme celle que nous avons vue à Seurre en 1478. Elle ne paraît pas avoir été imprimée de son temps.

Ce n'est qu'à l'état de manuscrit qu'elle existait, au XVIIIe siècle, chez le marquis de Calvière où la virent les frères Parfaict, et chez M. de La Vallière, d'où elle passa à la Bibliothèque du Roi.

En 1829, M. de Montaran, qui faisait une Suite à la Collection Caton, en fit prendre une copie sur le manuscrit La Vallière, et la publia, mais à vingt exemplaires seulement. Depuis, M. Peyre de La Grave en fit faire, à quatre exemplaires, dont un existe chez le baron Taylor, une copie autographiée.

La publicité de la pièce n'a pas été au-delà. Elle est donc ainsi presque inédite. Nous n'en savons cependant pas qui mérite plus d'être connue. C'est, comme on l'a dit dans le Dictionnaire universel du théâtre en France de M. Goizet, celle qui, après Pathelin, est peut-être la plus comique et la mieux faite. On y sent déjà pointer quelque chose de mieux qu'une farce, la comédie de caractère.

Le type de la femme par exemple n'a qu'à grandir un peu pour devenir Béline ou madame Évraid, compliquée d'une coquette.

Elle a des amants et se fait passer aux yeux de son mari pour la plus honnête femme du monde, pour l'épouse la plus caressante, la plus empressée.

Deux neveux qui la guettent, car ses dépenses font courir de grands risques à l'héritage qu'ils attendent de leur oncle, se concertent pour que le pauvre homme sache enfin la vérité. Ils lui diront que madame va deci, delà, et toujours de travers, par de très vilains chemins.

Le valet de l'amant saisit au passage ce qu'ils veulent dire au mari, et le répète à la femme, qui prend les devants, en les accommodant eux-mêmes de la belle manière: Ce sont, dit elle, de grands sots prêts à tout reprendre et à médire même sur des riens. Ne s'avisent-ils pas, par exemple, de trouver que la cornette dont leur oncle se coiffe est de mauvaise façon, et qu'elle va deci delà, toujours de travers.

Ce que les neveux ont dit sur elle, madame le dit de la cornette, et vous devinez par là le quiproquo.

Il continue lorsque les neveux arrivent près de leur oncle prévenu et furieux. Ce qu'il dit de sa cornette, en déclarant qu'elle est pour le mieux, ils croient qu'il le dit de sa femme, et ils s'en vont persuadés qu'il trouve fort à son gré qu'elle aille deci delà, toujours de travers!

La comédie de quiproquo, avec scènes à double entente, est déjà en germe dans cette jolie farce, en même temps, je le répète, que la comédie de caractère.

Quelle en est au juste la date? On a dit 1535, nous croyons qu'il vaut mieux s'en tenir à celle de 1544, que porte le manuscrit La Vallière.