BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Guillaume Marcoureau, dit Brécourt

1638 -1685

 

L'Ombre de Molière

 

Paris, 1674

 

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[92]

SCENE DERNIERE.

 

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CARON, LES OMBRES, PLUTON, RADAMANTE,

MINOS, MOLIERE.

 

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CARON.

O

h! je n'y puis plus tenir. Depuis que je conduits la Barque, je n'ay jamais tant veu de Morts pour un jour; & si vous n'y venez donner ordre, je ne sçay pas ce que nous en ferons.

PLUTON.

Comment? Nous avons donc bien des Gens? [93]

CARON.

Tout crève à la Porte.

PLUTON.

Puisque nous avons tant de Morts icy-bas, il faut qu'il y ait encore bien des Medecins là-haut. Mais qu'ils attendent à un autre jour, je ne juge d'aujourd'huy, & voicy ma derniere Sentence. Retirez-vous un peu, que je prenne les opinions. Minos, qu'en dis-tu?

MINOS.

Moy? que cette Ombre est de bon sens, & qu'elle mérite bien quelque Jugement avantageux. [94]

RADAMANTE.

Il n'y a qu'honneur à juger en sa faveur.

PLUTON.

J'en demeure d'accord; mais aussy les obligations que nous avons à ces Messieurs m'embarrassent, & je croy qu'un Arbitrage conviendroit mieux à cette affaire, qu'un Jugement dans les formes. Ne trouvez-vous point à propos de leur proposer un accommodement?

MINOS.

Hé, oüyda; car il est vray que nous avons quelque mesure à garder avec la Faculté. [95]

RADAMANTE.

Je suis de cet avis.

PLUTON.

Je m'en vay leur parler. Ça, Messieurs; Qu'est-ce? N'y a-t-il pas moyen de vous rapatrier? Je voy de part & d'autre que les raisons peuvent subsister; D'accord; mais, à les bien peser, entre nous, la Balance penchera de son costé; & sans l'alliance jurée entre nous, franchement, Messieurs, vous seriez tondus. C'est pourquoy si vous m'en croyez, tâchez de vous accommoder ensemble; & pour faciliter l'affaire, j'aime mieux relâcher de mes intérests, [96] & consentir que vous m'en envoyiez quelques millions de Morts moins qu'à vostre ordinaire.

LES MEDECINS.

Quoy! nostre Ennemy juré? Non, non. . .

PLUTON.

Ho, ho, Messieurs, si vous n'estes contens, prenez des Cartes. J'y pers plus que vous, & si je ne me plains pas.

LES MEDECINS.

Quoy! Pluton. . .

PLUTON.

Quoy! vos Ombres teméraires m'osent répliquer, moy, qui puis vous faire évanoüir d'un souffle seulement? [97]

LES MEDECINS.

Nous demandons justice, justice.

PLUTON.

Encore? Ah je m'en vais souffler. Fu, fu.

 

Mais il est temps de prononcer

En quel endroit je doy placer

Ton Ombre avecque ta Memoire.

Que la Posterité t'en choisisse le lieu;

Et tandis quelle ira travailler à ta Gloire,

Entre Térence & Plaute occupe le milieu.

 

Le carrillon se fait. [98]

 

CARON.

Messieurs, Pluton se va coucher; son Bonnet de nuit l'attend; Vous avez oüy la retraite. Bon-soir.

 

F I N.