BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Jean Racine

1639 - 1699

 

Phèdre [et Hippolyte]

 

Acte I

 

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Scène V.

Phèdre, Oenone.

 

Oenone.

Madame, je cessois de vous presser de vivre.

Déjà même au tombeau je songeois à vous suivre.

Pour vous en détourner je n' avois plus de voix.

340

Mais ce nouveau malheur vous prescrit d' autres lois.

Votre fortune change et prend une autre face.

Le Roi n' est plus, Madame; il faut prendre sa place.

Sa mort vous laisse un Fils à qui vous vous devez,

Esclave, s' il vous perd, et Roi, si vous vivez.

345

Sur qui dans son malheur voulez-vous qu' il s' appuie?

Ses larmes n' auront plus de main qui les essuie.

Et ses cris innocents, portés jusques aux Dieux,

Iront contre sa Mère irriter ses Aïeux.

Vivez, vous n' avez plus de reproche à vous faire.

350

Votre flamme devient une flamme ordinaire.

Thésée en expirant vient de rompre les noeuds,

Qui faisoient tout le crime et l' horreur de vos feux.

Hippolyte pour vous devient moins redoutable,

Et vous pouvez le voir sans vous rendre coupable.

355

Peut-être convaincu de votre aversion,

Il va donner un Chef à la sédition.

Détrompez son erreur, fléchissez son courage.

Roi de ces bords heureux, Trézène est son partage.

Mais il sait que les lois donnent à votre Fils

360

Les superbes Remparts que Minerve a bâtis.

Vous avez l' un et l' autre une juste Ennemie.

Unissez-vous tous deux pour combattre Aricie.

Phèdre.

Hé bien! À tes conseils je me laisse entraîner.

Vivons, si vers la vie on peut me ramener,

365

Et si l' amour d' un Fils en ce moment funeste

De mes foibles esprits peut ranimer le reste.

 

Fin du premier Acte.