BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Robert Saulger

1637 - 1709

 

Histoire nouvelle des Ducs et

autres Souverains de l'Archipel

 

1698

 

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[V]

PREFACE.

 

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IL n'eſt guéres d'Hiſtoire plus inconnuë en France, que l'Hiſtoire des Souverains de l'Archipel; à peine y ſçait-on leurs noms: encore ſont-ils épars & comme perdus dans de gros volumes, ou plus des trois quarts des gens n'ont ni la curioſité ni le loiſir d'aller les déterrer. Ces Princes néanmoins ont été autrefois célebres par leurs beaux exploits de guerre, par les alliances contractées avec nos anciens Seigneurs François, & ce qui eſt encore plus glorieux à leur memoire, par la confiance & la pureté de leur foi, quoique l'Archipel ſoit ſitué au centre de l'héreſie. Au reſte, comme les Ducs n'ont pas été les ſeuls Souverains de cet Etat maritime, [VI] & que la noble Maiſon de Summa-Ripa, connue en France ſous le nom de Sôrrimerive, en a partagé avec eux la domination par la poffeſſion des Iſles d'Andros, de Paros, d'Antiparos, & de Zia; & que les Seigneurs de cette ancienne Maiſon tiennent encore un grand rang dans l'Iſle de Naxe, J'ai crû devoir leur donner une place ſéparée dans mon Ouvrage, afin de le rendre plus complet.

Je m'étais d'abord fait une loi de me borner uniquement à ce qui s'eſt paſſé dans les ſeules Iſles de l'Archipel: mais l'enchaînement & la ſuite des faits m'ont obligé de m'en écarter quelquefois, pour donner plus de jour aux choſes que j'avois à dire. Il n'en a pas été de même de quelques digreſſions que je pouvois abſolument m'épargner, mais que j'ai crû qu'on me paſſeroit, parce qu'elles peuvent faire [VII] plaiſir au Lecteur. Telle eſt la belle action du Chevalier d'Hoquincourt dans le port de Nio, & celle du fameux Chevalier de Temericoure, ſuivie quelques années aprés de ſa genereuſe mort. Pour les trois autres digreſſions que j'ai encore faites ſur l'Image de Saint George de Schiro, ſur l'Urne d'Amourgo, & ſur les Vourkolakas de Sentorin, je les abandonne de bon coeur aux reflexions & à la critique de ceux qui ne les trouveront pas de leur goût. Ce que je puis dire, c'eſt que j'ai vu de mes yeux l'Urne d'Amourgo. Je n'en dis pas autant de l'image de Schiro & des revenans de Sentôrin, parce que ces ſortes d'évenemens suppoſent des circonſtances qui ne se trouvent pas à point nommé pendant le peu de ſejour d'un homme qui ne fait que paſſer. Mais dans ces deux Iſles j'ai interrogé tant de [VIII] gens qui m'ont aſſuré avoir vû, & d'ailleurs la perſuaſion de ces faits extraordinaires m'a paru partout ſi génerale, que le moins que j'ai pu faire en parlant de Schiro & de Sentorin, a été de rapporter la créance des peuples; encore avec tout cela je ne m'en fais point le garant: nous ſommes dans un ſiécle où l'on veut tout voir, & ne pas même croire tout ce que l'on voit.

Au regard des autres Iſles, j'en ai mêlé les deſcriptions dans le corps de mon Ouvrage; & cela non pas ſur la foi d'autrui, ou par oüi-dire, mais ſur ce que j'en ai remarqué moi-même. C'eſt pour cela que je ne dis rien de plusieurs endroits où je n'ai pas été, car il faut ſçavoir que les Iſles grandes & petites sont répandues ſur cette mer au nombre de plus de 160.

A la fin de l'Hiſtoire, je dis quelque [IX] choſe de l'état preſent de l'Archipel: je me ſuis imaginé qu'on ſeroit bien aiſe de voir comme ſous un ſeul aſpect un détail plus cir-conſtancie du climat, des coûtumes & des autres curioſitez du païs; Les Auteurs qui m'ont ſervi dans ce que cet Ouvrage a d'hiſtorique, ne ſont pas en fort grand nombre. Pour la ſuite & la ſucceſſion des Ducs & des Seigneurs de Sommerive, je me ſuis reglé ſur une ancienne Genéalogie imprimée à Veniſe il y a plus de 100 ans, & ſur des Memoires particuliers qu'on garde avec ſoin dans l'Iſle de Naxe, où preſque toute la Nobleſſe du païs, Latine & Grecque, s'eſt raſſemblée aprés l'invaſion des Turcs. Ces Memoires m'ont fourni tout ce que je dis de particulier des Ducs de l'Archipel. Ceux dont j'ai trouvé peu de choſe à dire, ont un article aſſez court: je me ſuis plus étendu [XI] ſur les autres. Outre les Memoires dont je parle, j'ai été aſſez heureux pour trouver dans quelques Historiens Grecs & Italiens, & même François, de quoi éclaircir & déveloper bien des endroits qui auroient été ſans cela trop obſcurs & trop concis. Les Hiſtoriens Grecs ont été Pachymere, Acropolyte, Michel Ducas, Chalcondyle, Cantacuzene. Les Italiens, Doglioni, Morofini, Sabellicus, Ramnuſius, Jean Villani; mais ſur tout, les lettres du noble Marin Sanudo m'ont été d'un grand ſecours: comme il étoit allié des Ducs de la maiſon des Sanudo, il en pouvoit parler arec connoiſſance.

J'ai ſuivi Monſieur du Cange par tout où il m'a paru ſuivre lui-même la verité. Aſſurément il n'avoit jamais vû la Genéalogie des Ducs de Naxe, dont je viens de parler; Et quoique dans ſon Hiſtoire [XII] des Conquêtes de nos François dans le Levant; il reconnoiſſe un Duché de l'Archipel, & qu'il marque même; aſſez bien la ſucceſſion de quelques Ducs, il eſt évident néanmoins qu'il confond ſouvent l'ordre des tems: Je ne m'en étonne pas; les Auteurs, qu'il cite, & apparemment les ſeuls qu'il a ſuivis, n'y regardoient pas de ſi prés.

L'Hiſtoire Genéalogique de la maiſon de Courtenay m'a auſſi de beaucoup ſervi dans ce que j'ai rapporté du regne des Empereurs François de ce nom, avec qui les Ducs de l'Archipel ont eu des liaiſons ſi étroites, & dont les Memoires de Naxe ne donnoient que des idées confuſes. C'eſt-là que j'ai trouvé, comme, ſelon les apparences, du Cange l'avoit trouvé avant moi, la deputation du Seigneur Henry Verjus, Gentilhomme de [XIII] Bourgogne, envoyé par l'Empereur Baudouin II. l'an 1243 à Blanche de Caſtille mere de S. Louis, pour conclure le mariage d'une Princeſſe de ſon ſang avec Jathatin Soudan de Cappadoce. La Lettre de créance de cette ambaſſade eſt tout au long en Latin dans les preuves de la maiſon de Courtenay p. I9 & 2O. Il paroît par cet acte ſi authentique, que ce Henry Verjus étoit un Seigneur d'une grande diſtinction à la Cour de Constantinople, & qu'il avoit toute la confiance de ſon maître. Dans la Lettre il eſt qualifié Chevalier, ce qui étoit en ce tems-là un grand honneur. L'Empereur ajoute qu'il étoit un de ſes fidéles & de ſes plus familiers, qu'il avoit eu l'honneur d'être élevé avec les Princes ſes freres, & les Princeſſes ſes ſoeurs, & qu'il prioit la Reine d'ajoûter une entiere foi à tout ce qu'il lui diroit de ſa part [XIV] comme étant chargé de pluſieurs inſtructions ſecrétes que l'on ne met poïnt par écrit.

De ceci & de pluſieurs autres endroits de l'Hiſtoire generale de France, & de celle de Bourgogne en particulier, il eſt aiſé de voir en paſſant, que ce n'eſt pas d'aujourd'hui que de belles négociations & des affaires importantes ont été confiées par de grands Princes au zélé & à la fidelité de la famille de Meſſieurs Verjus.

Pour dire encore un mot de l'Hiſtoire de l'Archipel, il eût été à ſouhaiter qu'avec tous les ſecours que j'ai eus pour la bien faire, un autre que moi y eût mis la main. Un homme qui a été prés de 30 ans hors de France, a eu tout le tems d'oublier ſa langue, & n'eſt guéres propre à donner aux choſes le tour agreable qu'il faut pour faire goûter un Ouvrage. Je prie [XV] mes Lecteurs d'y avoir égard, & de ne m'imputer qu'à demi tout ce qu'ils trouveront ici d'irrégulier, ſoit pour l'économie de l'Hiſtoire, ſoit pour le langage & les expreſſions.