BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Michel de Cubières

1752-1820

 

Épître aux Mânes de Dorvigni

 

1813

 

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  PRÉFACE.

 

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Dorvigni est mort au commencement de l'année 1812, à l'âge, d'environ 78 ans. Outre une centaine de pièces jouées en société ou au boulevard, Dorvigni a donné au Théâtre Français les Nôces Hussardes, comédie en 4 actes en prose; les Dédits, comédie en, un acte, et en prose, et les Etrennes de l'Amitié, de l'Amour et de la Nature, en 1 acte et en vers.

Il a donné au Théâtre, alors dit Italien, Roger Bontemps et Javotte, parodie de l'Orphée de Gluck et Moline, la Fête de Village, comédie en 2 actes, mêlée d'ariettes; la Rage d'amour, parodie de Roland, en un acte et en vers; la Comédie à l'impromptu ou les Dupes, comédie en un acte, etc., etc., etc. À quoi il convient d'ajouter les Tu et les Toi, qui a obtenu un succès prodigieux au Théâtre établi autrefois dans la Cité, et différentes autres facéties aux spectacles de Brunet-Montansier et de l'Ambigu - Comique. Ces différens ouvrages ayant tous été représentés avec un succès satisfaisant pour l'amour-propre et les prétentions de l'Auteur qui n'en avoit aucune, (Dorvigni fut encore auteur de plusieurs Romans agréables et estimés) qu'on juge de mon étonnement et de mon indignation, lorsque j'ai vu Dorvigni grossièrement insulté par les Journalistes cinq ou six mois après sa mort! Lorsqu'ils ont dépeint Dorvigni comme un parasite, un libertin et un ivrogne, comme un homme enfin très-peu respectable sous tous les rapports sociaux et littéraires! A-t-on jamais vu, depuis que la France existe, traiter avec cette indécence et cette barbarie la cendre encore fumante d'un homme honnête et d'un auteur dramatique fort distingué de son temps.

Ce procédé, au surplus, ne doit pas étonner, venant de la part de Messieurs les Journalistes, et je ne finirois pas si je voulois raconter toutes leurs inepties. Rétif-la-Bretonne étoit un homme de génie: ses nombreux ouvrages le prouvent, et tout le monde le sait. Rétif-la-Bretonne meurt, et ces messieurs le traitent comme ils ont traité Dorvigni. Un ami de Rétif-la-Bretonne, un homme-de-lettres fort obscur à la vérité, mais un fort honnête homme, prend hautement sa défense, il fait imprimer un volume en faveur de ce grand homme, et il est traité comme Dorvigni et Rétif-la-Bretonne. Que ces messieurs insultent les vivans, à la bonne heure; les vivans peuvent se défendre. Plus d'un collaborateur du Journal de l'Empire en a senti la preuve douloureusement. Mais insulter les gens après qu'ils ne sont plus! Quel nom donner à cette conduite infâme!

Ces Messieurs n'ont donc pas lu Horace, Virgile, Ovide et tant d'autres poètes anciens qu'ils citent à chaque instant, et qui recommandent avec tant d'énergie le respect pour les morts!

Quoi qu'il en soit, ou plutôt quelque soit le rang qu'ait occupé Dorvigni, vivant ainsi que lui dans une société paisible et sous un Gouvernement paternel, le désir de venger un ancien ami, qui n'est plus, de l'injustice des prétendus dispensateurs de la renommée, m'a seul dicté ce foible opuscule. Ce que je n'ai pu dire dans cette préface, je le développerai dans mes notes: car je ne veux pas qu'on puisse m'attribuer le vers de La Harpe à Dorat:

 

Que ses petits écrits ont de longues préfaces.

 

Messieurs les Journalistes ne signent leurs noms que par une lettre de l'alphabet. Je suis plus grand, plus généreux, plus véridique, et je signe en toutes lettres,

ALIBORON, fils, de l'Athénée

de Montmartre.

Paris, 19 décembre 1812

 

P. S. J'ai signé Aliboron, fils, parce que le grand Buffon a fait le plus grand éloge de mon père, et quoique je sois d'un très-grand nombre d'Académies, j'ai choisi de préférence l'Athénée de Montmartre, parce que mes chers confrères de cet Athénée vivent de peu, travaillent beaucoup et ne disent de mal de personne, parce qu'enfin ils valent mieux que M. le comte Alpha, que M. le baron Oméga et que plusieurs autres seigneurs suzerains de l'Empire alphabétique du Journalisme.

 

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