BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Hérault de Séchelles

1759 -1794

 

Voyage à Montbar,

contenant des détails

très intéressans sur

le caractère, la personne

et les écrits de Buffon

 

1785

 

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Préface par F.-A. Aulard

 

La vie publique de l’auteur du Voyage a Montbard est bien connue. Tour à tour avocat au Châtelet, avocat général au Parlement de Paris par la faveur de Marie-Antoinette, un des vainqueurs de la Bastille, juge élu à Paris, commissaire du roi près le tribunal de cassation, député de Paris à l’Assemblée législative et à la Convention nationale, membre du Comité de salut-public, guillotiné le 5 avril 1794, à l’age de trente-quatre ans, Hérault de Séchelles suivit la politique et la fortune de son ami Danton.

Mais on peut dire que, si considérable qu’ait été le rôle politique d’Hérault, il fut peut-être inférieur au mérite de cet homme distingué, une des [II] natures les plus fines qui aient paru dans la fin du XVIIIe siècle.

Ses opinions philosophiques étaient celles de Diderot, qu’il loue sans réserve dans les pages qu’on va lire, et il pensait ouvertement du mystère de l’origine des choses ce que Buffon en pensait au fond du cœur. Sa conversation était fort hardie. Peu après 89, l’avocat Bellart, invité chez Hérault au château d’Épone, fut scandalisé des propos qui s’y tenaient. «Le maître de la maison, dit-il, se reposoit des impiétés avec les obscénités. Enfin, en deux ou trois jours, je fis la découverte qu’il étoit matérialiste au plus haut degré.» Bellart se mit en tête de le contredire et lui débita une tirade aussi orthodoxe que la remontrance de Sganarelle à don Juan: «N’ayez pas peur, repartit l’autre: quoique matérialiste, je ne m’en occuperai pas moins de vous servir, s’il le faut.» En frimaire an II, Vilate assista à une conversation entre Hérault et Barère sur le but suprême de la Révolution. Hérault se plaçait surtout au point de vue philosophique. Il voyait déjà «les rêveries du paganisme et les folies de l’Église remplacées par la raison et la vérité». «La nature, disait-il, sera le dieu des François, comme l’univers est son temple.» Il exprima donc son sentiment intime, quand, présidant la Convention nationale à la fête du 10 août 1793, il adressa devant le peuple une prière officielle à la Nature. D’autre part, dans [III] sa mission à Colmar, il avait fait une proclamation «pour remplacer, disait-il, les religions mensongères par l’étude de la Nature», et pris un arrêté qui rendait le décadi obligatoire et instituait une fête de la Raison dans chaque chef-lieu de canton.

A l’animosité de Robespierre, que firent naître de telles opinions, il eût fallu opposer des mœurs pures et rigides. Mais ce délicat (peut-être entièrement dégoûté) vécut dans une orgie élégante. Il était l’amant en titre de la belle et célèbre Sainte-Amaranthe. Il avait l’art de faire vivre ensemble et en paix, autour de lui, plusieurs jeunes femmes que sa beauté avait fascinées. Il leur faisait porter ses couleurs, le jaune et le violet, et l’ultra-jacobin Vincent dénonçait dans son journal l’impudence de ce jeune patriote débauché. Lui-même avoue tout cela dans des lettres galantes publiées par La Morency, et dont l’authenticité n’est pas discutable. Quand même son style ne décèlerait pas Hérault à chaque ligne, quel intérêt La Morency aurait-elle eu, en 1799, à forger les documents dont elle émaille son roman autobiographique d’Illyrine 1)? Certes, ni les mœurs ni le style de cette joyeuse femme ne sont recommandables. C’est elle qui a écrit, avec son français et son cœur: «On n’est heureux qu’en en faisant: c’est ma morale.» [IV] Mais il y a dans ses confidences un air de vérité qu’accentue encore l’inconscience de l’auteur. Oui, la maîtresse du conventionnel Quinette était trop niaise pour imaginer les détails si vraisemblables, si vivants, de sa liaison avec Hérault, elle qui ne pourra soutenir que par un gros plagiat la réputation d’Illyrine.

C’est un piquant tableau des mœurs du temps que le récit de la visite qu’elle lui fit à la Convention, le jour où il fut nommé président pour la seconde fois (8 août 1793). Elle lui remit, peu après, une pétition en faveur du divorce, qu’Hérault lut à l’Assemblée, et, dit-il, fit applaudir. Mais, quelques jours plus tard, le galant président était envoyé en mission. «C’est au Comité de salut public, les chevaux mis aux voitures, que je vous écris, chère et belle: je pars à l’instant pour le Mont-Blanc avec une mission secrète et importante.» Et, après lui avoir parlé de ses maîtresses et de la perfidie de Sainte-Amaranthe, il termine ainsi: «Adieu, Suzanne. Allez quelquefois à l’Assemblée en mémoire de moi. Adieu. Les chevaux enragent, et l’on me croit nationalement occupé, tandis que je ne le suis qu’amoureusement de ma très chère Suzanne.» Quand Hérault revint, on fut toute à lui, et il acheta à sa maîtresse un bureau de loterie, dont le cautionnement de 30,000 francs fut prêté, affirme-t-elle, par l’abbé d’Espagnac. La Morency a ingénument tracé le tableau, tout pompéien, des distractions érotiques de [V] ses camarades d’orgie. Non moins naïvement, elle explique ce dévergondage: «C’est plutôt pour se tuer, dit-elle, qu’il prend du plaisir à l’excès que pour être heureux.» Hérault lui disait, sans doute aux premières semaines de 1794: «De sinistres présages me menacent, je veux me hâter de vivre; et, lorsqu’ils m’arracheront de la vie, ils croiront tuer un homme de trente-deux ans: eh bien! j’en aurai quatre-vingts, car je veux vivre en un jour pour dix années.»

Il faut l’avouer: cet épicurisme, si indécent en de telles circonstances, donna de la couleur et de la force aux accusations robespierristes et compromit le parti de Danton.

Mais faut-il voir dans Hérault, comme dans tel ami d’Hébert, une brute qui se vautre?

«Elégant écrivain, dit Paganel, il consacroit aux lettres tout le temps qu’il déroboit aux goûts qui dominoient en lui.» A notre avis, ce Voyage a Montbard, que nous publions aujourd’hui, est un morceau de tout point exquis, où Buffon revit tout entier, homme et auteur. Hérault ne s’y montre pas, comme l’a dit Sainte-Beuve, «Un espion léger, infidèle et moqueur» 2), mais un observateur et un peintre. Par la vérité fine de ses aperçus, il devance Stendhal, dont il a la sécheresse et la précision. [VI] Écrivain laborieux, il poursuit sans cesse la brièveté et la simplicité, et il atteint à la force de Chamfort, avec plus d’étendue dans l’intelligence et un souci des aperçus généraux qu’il doit peut-être à la fréquentation de Buffon.

En 1788, il publia (ou plutôt fit imprimer) Le codicille politique et pratique d’un jeune habitant d’Épone. Remanié en prison, cet ouvrage ne fut répandu dans le public qu’en 1802, sous le titre de Théorie de l’ambition. Ces réflexions morales, inspirées par une philosophie un peu trop positive et sèche, offrent un pessimisme que tempère l’ironie. M. Claretie a déjà signalé avec goût les plus remarquables de ces maximes, ainsi qu’un chapitre sur la conversation, où Hérault caractérise les plus ingénieux causeurs de la fin du XVIIIe siècle et l’orateur idéal dans celui qui résumerait les différentes sortes d’esprit de Thomas, de Delille, de Garat, de Cerutti, de d’Alembert, de Buffon, de Gerbier et de quelques autres, avocats ou acteurs. C’est là l’école où il se forma et apprit à plaire.

Cet esprit très moderne, tourné vers l’avenir, à la Diderot, ne traîne pas après lui les chaînes scolaires; il n’a pas la superstition du latin, l’adoration de la légende gréco-latine. Mais il sait jouir du passé, et goûter la vraie érudition, par exemple dans l’abbé Auger, le traducteur de Démosthène, dont il prononça une élégante oraison funèbre à la loge des [VII] Neuf-Sœurs, en 1792. A une époque où l’Université n’enseignait plus le grec, et peut-être pour cela même, Hérault dit des choses vraies sur Démosthène, qu’il juge en politique autant qu’en artiste: «La Révolution, dit-il, en développant nos idées politiques, nous a donné, pour apprécier les ouvrages de quelques anciens et pour jouir de tout leur génie, une mesure qui nous manquoit.» Il admire dans l’orateur grec «cette âme orgueilleuse et sensible, qui porte en elle toute la dignité et toutes les douleurs de l’apathie; ce mouvement général, sans lequel il n’est point d’éloquence populaire, où les rapports accessoires, serrés fortement, roulent de haut dans des périodes qui compensent l’étendue des idées par la précision du style». Mais ici c’est à lui-même qu’il pense, et c’est son propre talent qu’il désigne lorsqu’il dit: «Jamais, surtout, il ne cessa d’égaler par ses efforts cette beauté, cette perfection continue du langage, ce mécanisme heureux, si familier à l’orateur qu’il ne pouvoit pas même cesser d’être élégant dans les apostrophes les plus impétueuses, dans les sorties les plus véhémentes: mérite plus rare qu’on ne pense, parce qu’il tient à un genre d’esprit particulier, et principalement à l’adresse, qui est le don de multiplier la force en la distribuant.» On reconnait là les idées de Buffon sur le style oratoire.

Lui-même s’était fait, pour son propre usage, une sorte de rhétorique qu’on retrouva dans ses papiers. [VIII] Ce sont des préceptes pratiques, des recettes distribuées sans ordre, mais qui portent la marque de l’expérience et dont l’intérêt est d’autant plus grand qu’Hérault est le seul orateur de la Révolution auquel on doive une technique de son art. On me permettra d’en parler avec quelque détail, afin de faire connaître tout l’artiste qu’était l’auteur du Voyage a Montbard.

C’est une question qui passionna d’abord ceux qui inaugurèrent en France la tribune politique: Faut-il lire les discours ou les dire? Les deux méthodes avaient des adeptes. Quelques-uns les employaient tour à tour selon les circonstances. Quant à l’improvisation, ceux mêmes qui s’y abandonnaient semblaient s’en excuser comme d’une négligence; aussi Hérault, qui d’ailleurs n’improvisa guère, ne pose-t-il que l’alternative: lire ou dire. «Ce n’est qu’en parlant, remarque-t-il, et non en lisant, que l’on peut rendre vraiment sensible ce qu’on dit. Quelques gens habiles pensent cependant qu’il faut lire, et c’est l’usage des avocats du parlement de Bordeaux: autrement on patauge, les idées se relâchent, s’affoiblissent, et s’éteignent bientôt. C’est ce qui arrive à M. de Saint-Fargeau: de là le mot favori de la plupart des avocats qui aiment tant à «causer d’affaires». Pour [IX] concilier la nécessité d’un style plein et serré avec l’autre, je pense qu’il faut apprendre par cœur. Il est vrai qu’il en coûte, mais la gloire est au bout, et c’est la manière de surpasser ceux qui parlent et ceux qui écrivent.»

La mémoire est donc la première partie de l’art oratoire.

Mais comment faut-il apprendre un discours?

«J’en médite, dit Hérault, l’idée principale, les idées accessoires, leur nombre, leur ordre, leur liaison, le plan de chaque partie, les divisions, les sous-divisions de chaque objet. J’ose affirmer qu’il est impossible alors de se tromper. Si l’on oublioit le discours, on seroit en état de le refaire sur-le-champ; et combien d’ailleurs les phrases cadencées, un peu ornées, un peu brillantes, en un mot tout ce qui frappe l’amour-propre de celui qui doit parler, ne se gravent-elles pas dans la mémoire avec une extrême facilité?

«Un procédé très utile et très commode auquel il faut s’accoutumer pour rendre son esprit prompt et se rappeler à la fois une multitude d’idées, c’est, quand vous possédez ces idées, de ne retenir de chacune que le mot qui porte, et dont le seul souvenir reproduit la phrase tout entière.

«Voltaire a dit quelque part: «Les mots sont les «courriers des pensées.» En appliquant ici cet adage dans un autre sens, je dirai qu’il faut habituer son [X] cerveau à n’avoir besoin que des mots têtes dans toute l’étendue de la plus longue discussion.

«Apprendre par cœur, ce mot me plaît. Il n’y a guère, en effet, que le cœur qui retienne bien et qui retienne vite. La moindre chose qui vous frappe dans un endroit vous le fait retenir. L’art seroit donc de se frapper le plus qu’il seroit possible.

«Écrire. La mémoire se rappelle mieux ce qu’elle a vu par écrit. S’en faire comme un tableau dans lequel on lise en quelque sorte au moment où l’on parle.

«La mémoire s’aide aussi par des chiffres: ainsi comptez le nombre de choses que vous avez à apprendre dans un discours par exemple.

«J’ai éprouvé aussi qu’il m’étoit très utile de parler pour un discours à retenir. J’ai essayé souvent de parler en public pendant une heure, et quelquefois deux, sans aucune espèce de préparation. Je sortois de cet exercice avec une aptitude singulière, et il me sembloit dans ces momens que, si j’avois eu à dire un discours, que je n’aurois même fait que lire, je m’en serois tiré avec un grand avantage.»

Après la mémoire, l’action lui semblait la partie la plus importante de l’éloquence. A ses débuts d’avocat, il avait été prendre des leçons de Mlle Clairon. «Avez-vous de la voix?» me dit-elle la première fois que je la vis. Un peu surpris de la question, et, d’ailleurs, ne sachant trop que dire, je répondis: «J’en ai comme tout le monde, Mademoiselle. -- Eh bien! [XI] il faut vous en faire une.» Voici quelques-uns des préceptes de l’actrice, qu’Hérault tâcha de suivre: «Il y a une éloquence des sons: s’étudier surtout à donner de la rondeur à sa voix; pour qu’il y ait de la rondeur dans les sons, il faut qu’on les sente réfléchir contre le palais. Surtout, allez doucement, simple, simple!...» Elle lui disait: «Que voulez-vous être? orateur? Soyez-le partout, dans votre chambre, dans la rue.» Elle donnait aussi ce conseil, mais celui-ci purement scénique et mauvais pour un orateur: «Teindre les mots des sentimens qu’ils font naître.»

Hérault dit qu’il songeait sans cesse à la voix de Mlle Clairon, et il caractérise sa manière à lui en rappelant celle de son professeur: «Elle prend sa voix dans le milieu, tantôt doucement, tantôt avec force, et toujours de manière à la diriger à son gré; surtout elle la modère souvent, ce qui fait beaucoup briller le moindre éclat qu’elle vient à lui donner. Elle va très lentement, ce qui contribue en même temps à fournir à l’esprit les idées, la grâce, la pureté et la noblesse du style. Je prétends qu’il y a, dans le discours comme dans la musique, une sorte de mesure des tons qui aide à l’esprit, du moins au mien. J’ai éprouvé que d’aller vite offusque et empêche l’exercice de mes idées... Ne croyez pas que ce soit là une véritable lenteur. On la déguise, tantôt par la force, tantôt par la chaleur qu’on donne à [XII] certains mots, à certaines phrases. Il en résulte une variété qui plaît, mais le fond est toujours grave et posé.»

Le souci de bien dire était tel chez lui que longtemps il s’astreignit à déclamer dans la matinée les fureurs d’Oreste, et tout le rôle de Mahomet, jusqu’à s’érailler la voix. Le soir il se sentait une diction forte, facile et variée. Il ne négligeait aucun moyen de s’entraîner. «Le Kain, dit-il, avoit coutume, une heure avant de jouer, de se promener seul sur le théâtre, de l’arpenter, de se remplir des fantômes de la tragédie. Nous devrions transporter cette méthode dans nos études.»

Il avait étudié avec un soin minutieux le geste proprement dit. La Clairon lui disait: «Votre genre est la noblesse et la dignité au suprême degré. Très peu de gestes, mais les placer à propos, et observer les oppositions qui font ressortir les changemens des gestes.» Lui-même disait: «Le geste multiplié est petit, est maigre. Le geste large et simple est celui d’un sentiment vrai. C’est sur ce geste que vous pourrez faire passer un grand mouvement.»

Ces notes contiennent des remarques encore plus pratiques sur l’action:

«Il importe d’être ferme sur les pieds, qui sont la base du corps, et de laquelle part toute l’assurance du geste. On ne peut trop s’exercer dans sa chambre à marcher ferme et bien sous soi, les jambes sur les [XIII] pieds, les cuisses sur les jambes, le corps sur les cuisses, les reins droits, les épaules basses, le col droit, la tête bien placée. J’ai remarqué qu’en général les gestes devenoient plus faciles lorsque le corps étoit incliné. Quand il est droit, si les bras sont longs, on risque de manquer de grâce. Le geste à mi-corps est infiniment noble et plein de grâce. N’agitez pas les poignets, même dans les plus grands mouvemens. Avant d’exprimer un sentiment, faites-en le geste.»

Enfin, voici un conseil qui donne le secret de la grâce dédaigneuse dont il se parait à la tribune:

«Il faut toujours avoir l’air de créer ce qu’on dit. Il faut commander en paroles. L’idée qu’on parle à des inférieurs en puissance, en crédit, et surtout en esprit, donne de la liberté, de l’assurance, de la grâce même. J’ai vu une fois d’Alembert à une conversation chez lui, ou plutôt dans une espèce de taudis, car sa chambre ne méritoit pas d’autre nom. Il étoit entouré de cordons bleus, de ministres, d’ambassadeurs, etc. Quel mépris il avoit pour tout ce monde-là! Je fus frappé du sentiment que la supériorité de l’esprit produit dans l’âme.»

Cette rhétorique d’Hérault, si ingénieuse, explique l’agrément de son éloquence ; elle en explique aussi la faiblesse. Cet orateur, si préoccupé de s’entraîner, de se monter la tête, de se lever à la hauteur du sujet, n’a pas en lui les sources d’inspiration oratoire, [XIV] toujours prêtes et jaillissantes, où puisent un Danton, un Vergniaud, même de moindres harangueurs. Je ne crois pas que la conviction lui manque, ni qu’il faille croire au mot que lui prête Bellart: «Quand on lui demandoit de quel parti il étoit, il répondoit qu’il étoit de celui qui se f... des deux autres.» Non, il y avait en lui de la sincérité, des préférences philosophiques et politiques. Mais il n’avait pas cette foi révolutionnaire, qui transfigura jusqu’à de pauvres hères, à de certaines heures de crise. Dans son Traité sur l’ambition,, il distingue des cerveaux mâles et des cerveaux femelles: je crois qu’il faut le ranger, quoi qu’on en ait dit, dans la seconde de ces deux catégories.

C’est en 1785, comme il venait d’être nommé avocat général au Parlement de Paris, qu’Hérault de Séchelles alla voir Buffon à Montbard, et son récit piquant et irrévérencieux fut publié la même année sans nom d’auteur, sous le titre de Visite a Buffon. 3) Il est peu vraisemblable qu’il ait lui-même fait imprimer du vivant de Buffon des pages si blessantes pour l’amour-propre infiniment susceptible du grand homme qu’il venait de visiter. Je supposerais volontiers [XV] qu’un indiscret publia, sans y être autorisé, une des copies qu’Hérault de Séchelles dut, à la mode du temps, faire circuler parmi ses amis. Quel effet cet impitoyable persiflage produisit-il sur Buffon et sa famille? Nous voyons seulement que le fils de Buffon écrivit, le 30 octobre 1785, à Mme Necker: «M. Hérault de Séchelles, qui vient d’être nommé avocat général, lui ayant demandé la permission de venir passer quelque temps à Montbard, papa avoit répondu qu’il le verroit avec plaisir; mais c’étoit avant de tomber malade. M. Hérault est arrivé ce matin; papa le voit de temps en temps, lorsque son état le lui permet, et je tâche de le suppléer et de tenir compagnie de mon mieux à ce jeune magistrat, qui prévient beaucoup en sa faveur et qui est fort aimable et très instruit.» 4) Mais il n’est pas question, dans la correspondance de Buffon, de l’opuscule satirique d’Hérault de Séchelles, dont en tout cas la famille du grand écrivain ne garda pas rancune: nous voyons, en effet, qu’en 1793 l’auteur de la Visite a Buffon fut un des témoins du fils de Buffon lorsque celui-ci épousa en secondes noces Betzy Daubenton. 5)

[XVI] La Visite a Buffon fut réimprimée en 1801 par A.-L. Millin, sous ce titre: Voyage a Montbard, contenant des détails très intéressants sur le caractère, la personne et les écrits de Buffon, par feu Hérault de Séchelles: Paris, Solvet, an IX, in-8° de 136 pages.

Millin joignit au Voyage a Montbard d’autres opuscules d’Hérault, les Réflexions sur la déclamation, l’Éloge d’Athanase Auger, et des Pensées et Anecdotes qui avaient paru déjà en 1795 dans le Magasin encyclopédique, t. II, p. 118. Mais ce qui fait surtout l’importance de son édition, c’est qu’il donna une dernière partie inédite du Voyage. Elle forme les pages 44 à 48 de la présente édition, où nous avons suivi le texte de Millin, que cet éditeur donna évidemment d’après les papiers d’Hérault de Séchelles.

Enfin le Voyage a Montbard fut imprimé une troisième fois sous ce titre: Voyage a Montbard et au chateau de Buffon, fait en 1785, contenant des détails très intéressants sur le caractère, la personne et les écrits de M. de Buffon, par feu Hérault de Séchelles, nouvelle édition augmentée de quelques opuscules inédits, par J.-B. Noëllat: Paris, Audin, 1829, in-18 de 79 pages. 6)

Nous avons parlé plus haut d’un écrit d’Hérault de Séchelles sur l’ambition C’est Salgues qui le publia en l802, et il est intitulé: Théorie de l’ambition, par feu Hérault de Séchelles, avec des notes par J.-B. S***: Paris, Bouquet, an X-1802, in-8° de 102 pages.

F.-A. Aulard

 

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1) Illyrine, ou l’Écueil de l’inexpérience, an VII, 3 vol. in-8. 

2) Causeries du Lundi, IV, 354. 

3) Septembre 1785, Paris, 1785, in-8° de 53 pages. 

4) Correspondance de Buffon, dans ses OEuvres complètes, édit. de Lanessan, t. XIV, p. 303. 

5) Nous empruntons ce renseignement à un article de M. Maurice Tourneux dans la Revue critique d’histoire et de littérature, t. XIV, p. 354. 

6) L’auteur de cette édition est Gabriel Peignot.