BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Charles Cros

1842 -1888

 

Le Coffret de santal

 

1879

 

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CHANSONS PERPÉTUELLES

 

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La Vie idéale

 

À May

 

Une salle avec du feu, des bougies,

Des soupers toujours servis, des guitares,

Des fleurets, des fleurs, tous les tabacs rares,

Où l'on causerait pourtant sans orgies.

 

Au printemps lilas, roses et muguets,

En été jasmins, oeillets et tilleuls

Rempliraient la nuit du grand parc où, seuls

Parfois, les rêveurs fuiraient les bruits gais.

 

Les hommes seraient tous de bonne race,

Dompteurs familiers des Muses hautaines,

Et les femmes, sans cancans et sans haines,

Illumineraient les soirs de leur grâce.

 

Et l'on songerait, parmi ces parfums

De bras, d'éventails, de fleurs, de peignoirs,

De fins cheveux blonds, de lourds cheveux noirs,

Aux pays lointains, aux siècles défunts.

 

―――――

 

Nocturne

 

À Arsène Houssaye

 

Bois frissonnants, ciel étoilé,

Mon bien-aimé s'en est allé,

Emportant mon coeur désolé!

 

Vents, que vos plaintives rumeurs,

Que vos chants, rossignols charmeurs,

Aillent lui dire que je meurs!

 

Le premier soir qu'il vint ici

Mon âme fut à sa merci.

De fierté je n'eus plus souci.

 

Mes regards étaient pleins d'aveux.

Il me prit dans ses bras nerveux

Et me baisa près des cheveux.

 

J'en eus un grand frémissement;

Et puis, je ne sais plus comment

Il est devenu mon amant.

 

Et, bien qu'il me fût inconnu,

Je l'ai pressé sur mon sein nu

Quand dans ma chambre il est venu.

 

 

Je lui disais: «Tu m'aimeras

Aussi longtemps que tu pourras!»

Je ne dormais bien qu'en ses bras.

 

Mais lui, sentant son coeur éteint,

S'en est allé l'autre matin,

Sans moi, dans un pays lointain.

 

 

Puisque je n'ai plus mon ami,

Je mourrai dans l'étang, parmi

Les fleurs, sous le flot endormi.

 

Au bruit du feuillage et des eaux,

Je dirai ma peine aux oiseaux

Et j'écarterai les roseaux.

 

Sur le bord arrêtée, au vent

Je dirai son nom, en rêvant

Que là je l'attendis souvent.

 

Et comme en un linceul doré,

Dans mes cheveux défaits, au gré

Du flot je m'abandonnerai.

 

 

Les bonheurs passés verseront

Leur douce lueur sur mon front;

Et les joncs verts m'enlaceront.

 

Et mon sein croira, frémissant

Sous l'enlacement caressant,

Subir l'étreinte de l'absent.

 

 

Que mon dernier souffle, emporté

Dans les parfums du vent d'été,

Soit un soupir de volupté!

 

Qu'il vole, papillon charmé

Par l'attrait des roses de mai,

Sur les lèvres du bien-aimé!

 

―――――

 

L'Orgue

 

À André Gill

 

Sous un roi d'Allemagne, ancien,

Est mort Gottlieb le musicien.

On l'a cloué sous les planches.

Hou! hou! hou!

Le vent souffle dans les branches.

 

Il est mort pour avoir aimé

La petite Rose-de-Mai.

Les filles ne sont pas franches.

Hou! hou! hou!

Le vent souffle dans les branches.

 

Elle s'est mariée, un jour,

Avec un autre, sans amour.

«Repassez les robes blanches!»

Hou! hou! hou!

Le vent souffle dans les branches.

 

Quand à l'église ils sont venus,

Gottlieb à l'orgue n'était plus,

Comme les autres dimanches.

Hou! hou! hou!

Le vent souffle dans les branches.

 

Car depuis lors, à minuit noir,

Dans la forêt on peut le voir

À l'époque des pervenches.

Hou! hou! hou!

Le vent souffle dans les branches.

 

Son orgue a les pins pour tuyaux.

Il fait peur aux petits oiseaux.

Morts d'amour ont leurs revanches.

Hou! hou! hou!

Le vent souffle dans les branches.

 

―――――

 

Ronde flamande

 

À Mademoiselle Mauté de Fleurville

 

Si j'étais roi de la forêt,

Je mettrais une couronne

Toute d'or; en velours bleuet

J'aurais un trône,

 

En velours bleu, garni d'argent

Comme un livre de prière,

J'aurais un verre en diamant

Rempli de bière,

 

Rempli de bière ou de vin blanc.

Je dormirais sur des roses.

Dire qu'un roi peut avoir tant

De belles choses.

 

 

Dire qu'un roi prend quand il veut

La plus belle fille au monde

Dont les yeux sont du plus beau bleu,

Et la plus blonde,

 

Avec des tresses comme en a

Jusqu'aux genoux, Marguerite.

Si j'étais roi, c'est celle-là

Que j'aurais vite.

 

 

J'irais la prendre à son jardin,

Sur l'eau, dans ma barque noire,

Mât de nacre et voile en satin.

Rames d'ivoire.

 

Satin blanc, nacre et câbles d'or...

Des flûtes, des mandolines

Pour bercer la belle qui dort

Sur des hermines!

 

 

Hermine, agrès d'or et d'argent,

Doux concert, barque d'ébène,

Couronne et verre en diamant...

J'en suis en peine.

 

Je n'ai que mon coeur de garçon.

Marguerite se contente

D'être ma reine en la chanson

Que je lui chante.

 

―――――

 

Rendez-vous

 

À J. Keck

 

Ma belle amie est morte,

Et voilà qu'on la porte

En terre, ce matin,

En souliers de satin.

 

Elle dort toute blanche,

En robe de dimanche,

Dans son cercueil ouvert

Malgré le vent d'hiver.

 

Creuse, fossoyeur, creuse

À ma belle amoureuse

Un tombeau bien profond,

Avec ma place au fond.

 

Avant que la nuit tombe

Ne ferme pas la tombe;

Car elle m'avait dit

De venir cette nuit,

 

De venir dans sa chambre:

«Par ces nuits de décembre,

Seule, en mon lit étroit,

Sans toi, j'ai toujours froid.»

 

 

Mais, par une aube grise,

Son frère l'a surprise

Nue et sur mes genoux.

Il m'a dit: «Battons-nous.

 

Que je te tue. Ensuite

Je tuerai la petite.»

C'est moi qui, m'en gardant,

L'ai tué, cependant.

 

Sa peine fut si forte

Qu'hier elle en est morte.

Mais, comme elle m'a dit,

Elle m'attend au lit.

 

 

Au lit que tu sais faire,

Fossoyeur, dans la terre.

Et, dans ce lit étroit,

Seule, elle aurait trop froid.

 

J'irai coucher près d'elle,

Comme un amant fidèle,

Pendant toute la nuit

Qui jamais ne finit.

 

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Roses et Muguets

Ronde

 

Au comte Charles de Montblanc

 

Dans le vallon qu'arrose

L'eau courante, j'allais

Un jour cueillir la rose,

La rose et les muguets.

 

Mon amoureux qui n'ose

Rien me dire, y passait;

Moi je cueillais la rose,

La rose et le muguet.

 

«Oh vilain! oh morose!»

Au nez je lui riais,

Tout en cueillant la rose,

La rose et les muguets.

 

Sur l'herbe je me pose

En jetant mon bouquet,

Mon beau bouquet de rose,

De rose et de muguet.

 

«Dis-moi donc quelque chose!

Les oiseaux sont plus gais

Gazouillant à la rose,

Becquetant les muguets.

 

N'aye pas peur qu'on glose.

Le lézard fait le guet

Couché sur une rose,

Caché dans le muguet.»

 

Mais sur ma bouche close

Son baiser me narguait.

«Tes lèvres sont de rose

Et tes dents de muguet.»

 

Le méchant! Il est cause

(Moi qui tant me moquais!)

Que dans l'eau court ma rose,

Ma rose et mes muguets.

 

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La Dame en pierre

 

À Catulle Mendès

 

Sur ce couvercle de tombeau

Elle dort. L'obscur artiste

Qui l'a sculptée a vu le beau

Sans rien de triste.

 

Joignant les mains, les yeux heureux

Sous le voile des paupières,

Elle a des rêves amoureux

Dans ses prières.

 

Sous les plis lourds du vêtement,

La chair apparaît rebelle,

N'oubliant pas complètement

Qu'elle était belle.

 

Ramenés sur le sein glacé

Les bras, en d'étroites manches,

Rêvent l'amant qu'ont enlacé

Leurs chaînes blanches.

 

Le lévrier, comme autrefois

Attendant une caresse,

Dort blotti contre les pieds froids

De sa maîtresse.

 

 

Tout le passé revit. Je vois

Les splendeurs seigneuriales,

Les écussons et les pavois

Des grandes salles,

 

Les hauts plafonds de bois, bordés

D'emblématiques sculptures,

Les chasses, les tournois brodés

Sur les tentures.

 

Dans son fauteuil, sans nul souci

Des gens dont la chambre est pleine,

À quoi peut donc rêver ainsi,

La châtelaine?

 

Ses yeux où brillent par moment

Les fiertés intérieures,

Lisent mélancoliquement

Un livre d'heures.

 

 

Quand une femme rêve ainsi

Fière de sa beauté rare,

C'est quelque drame sans merci

Qui se prépare.

 

Peut-être à temps, en pleine fleur,

Celle-ci fut mise en terre.

Bien qu'implacable, la douleur

En fut austère.

 

L'amant n'a pas vu se ternir,

Au souffle de l'infidèle,

La pureté du souvenir

Qu'il avait d'elle.

 

La mort n'a pas atteint le beau.

La chair perverse est tuée,

Mais la forme est, sur un tombeau,

Perpétuée.

 

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Romance

 

À Philippe Burty

 

Le bleu matin

Fait pâlir les étoiles.

Dans l'air lointain

La brume a mis ses voiles.

C'est l'heure où vont,

Au bruit clair des cascades,

Danser en rond,

Sur le pré, les Dryades.

 

Matin moqueur,

Au dehors tout est rose.

Mais dans mon coeur

Règne l'ennui morose.

Car j'ai parfois

À son bras, à cette heure,

Couru ce bois.

Seule à présent j'y pleure.

 

Le jour paraît,

La brume est déchirée,

Et la forêt

Se voit pourpre et dorée.

Mais, pour railler

La peine qui m'oppresse,

J'entends piailler

Les oiseaux en liesse.

 

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Transition

 

À Édouard Manet

 

Le vent, tiède éclaireur de l'assaut du printemps,

Soulève un brouillard vert de bourgeons dans les branches.

La pluie et le soleil, le calme et les autans,

Les bois noirs sur le ciel, la neige en bandes blanches,

Alternent. La nature a comme dix-sept ans,

Jeune fille énervée, oscillant sur ses hanches,

Riant, pleurant, selon ses caprices flottants.

 

Pas encor le printemps, mais ce n'est plus l'hiver.

Votre âme, ô ma charmante, a ces heures mêlées.

Les branches noires sont pleines d'un brouillard vert.

Les mots méchants et les paroles désolées,

Sur vos lèvres, bouton d'églantine entrouvert,

Cessent à mes baisers. Ainsi les giboulées

Fondent, et le gazon s'émaille à découvert.

 

Votre moue est changée en rire à mes baisers,

Comme la neige fond, pâle retardataire,

Aux triomphants rayons du soleil. Apaisés,

Vos yeux, qui me jetaient des regards de panthère,

Sont bien doux maintenant. Chère, vous vous taisez

Comme le vent neigeux et froid vient de se taire.

Votre joue et le soir sont tièdes et rosés.

 

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Destinée

 

À Leconte de Lisle

 

Quel est le but de tant d'ennuis?

Nous vivons fiévreux, haletants,

Sans jouir des fleurs au printemps,

Du calme des nuits.

 

Pourquoi ces pénibles apprêts,

Ces labeurs que le doute froid

Traverse, où nous trouvons l'effroi?

Pour mourir après?

 

Mais non. L'éternelle beauté

Est le flambeau d'attraction

Vers qui le vivant papillon

Se trouve emporté.

 

Mais souvent le papillon d'or

Trouve la mort au clair flambeau,

C'est ainsi qu'en plus d'un tombeau

La vérité dort.

 

Ceux qui suivent retrouvent-ils

Ces pensers éteints au berceau?

Quel ruisseau redit du ruisseau

Les rythmes subtils?

 

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L'Archet

 

À Mademoiselle Hjardemaal

 

Elle avait de beaux cheveux, blonds

Comme une moisson d'août, si longs

Qu'ils lui tombaient jusqu'aux talons.

 

Elle avait une voix étrange,

Musicale, de fée ou d'ange,

Des yeux verts sous leur noire frange.

 

 

Lui, ne craignait pas de rival,

Quand il traversait mont ou val,

En l'emportant sur son cheval.

 

Car, pour tous ceux de la contrée,

Altière elle s'était montrée,

Jusqu'au jour qu'il l'eut rencontrée.

 

 

L'amour la prit si fort au coeur,

Que pour un sourire moqueur,

Il lui vint un mal de langueur.

 

Et dans ses dernières caresses:

«Fais un archet avec mes tresses,

Pour charmer tes autres maîtresses.»

 

Puis, dans un long baiser nerveux,

Elle mourut. Suivant ses voeux,

Il fit l'archet de ses cheveux.

 

 

Comme un aveugle qui marmonne,

Sur un violon de Crémone

Il jouait, demandant l'aumône.

 

Tous avaient d'enivrants frissons

À l'écouter. Car dans ces sons

Vivaient la morte et ses chansons.

 

 

Le roi, charmé, fit sa fortune.

Lui, sut plaire à la reine brune

Et l'enlever au clair de lune.

 

Mais, chaque fois qu'il y touchait

Pour plaire à la reine, l'archet

Tristement le lui reprochait.

 

 

Au son du funèbre langage,

Ils moururent à mi-voyage.

Et la morte reprit son gage.

 

Elle reprit ses cheveux, blonds

Comme une moisson d'août, si longs

Qu'ils lui tombaient jusqu'aux talons.

 

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L'Été

 

À Laure Bernard

 

C'est l'été. Le soleil darde

Ses rayons intarissables

Sur l'étranger qui s'attarde

Au milieu des vastes sables.

 

Comme une liqueur subtile

Baignant l'horizon sans borne,

L'air qui du sol chaud distille

Fait trembloter le roc morne.

 

Le bois des arbres éclate.

Le tigre rayé, l'hyène,

Tirant leur langue écarlate,

Cherchent de l'eau dans la plaine.

 

Les éléphants vont en troupe,

Broyant sous leurs pieds les haies

Et soulevant de leur croupe

Les branchages des futaies.

 

Il n'est pas de grotte creuse

Où la chaleur ne pénètre,

Aucune vallée ombreuse

Où de l'herbe puisse naître.

 

Au jardin, sous un toit lisse

De bambou, Sitâ sommeille;

Une moue effleure et plisse

Parfois sa lèvre vermeille.

 

Sous la gaze, d'or rayée,

Où son beau corps s'enveloppe,

En s'étirant, l'ennuyée

Ouvre ses yeux d'antilope.

 

Mais elle attend, sous ce voile

Qui trahit sa beauté nue,

Qu'au ciel la première étoile

Annonce la nuit venue.

 

Déjà le soleil s'incline

Et dans la mer murmurante

Va, derrière la colline,

Mirer sa splendeur mourante.

 

Et la nature brûlée

Respire enfin. La nuit brune

Revêt sa robe étoilée,

Et, calme, apparaît la lune.

 

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Chant éthiopien

 

À Émile Wroblewski

 

Apportez-moi des fleurs odorantes,

Pour me parer, compagnes errantes,

Pour te charmer, ô mon bien-aimé.

Déjà le vent s'élève embaumé.

 

Le vent du soir fait flotter vos pagnes.

Dans vos cheveux, pourquoi, mes compagnes,

Entrelacer ces perles de lait?

Mon cou – dit-il – sans perles lui plaît.

 

Mon cou qu'il prend entre ses bras souples

Frémit d'amour. Nous voyons par couples,

Tout près de nous, entre les roseaux,

Dans le muguet, jouer les oiseaux.

 

Le blanc muguet fait des perles blanches.

Mon bien-aimé rattache à mes hanches

Mon pagne orné de muguet en fleur;

Mes dents – dit-il – en ont la pâleur.

 

Mes blanches dents et mon sein qui cède

Mes longs cheveux, lui seul les possède.

Depuis le soir où son oeil m'a lui,

Il est à moi; moi je suis à lui.

 

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Li-taï-pé

 

À Ernest Cabaner

 

Mille étés et mille hivers

Passeront sur l'univers,

Sans que du poète-dieu

Li-taï-pé meurent les vers,

Dans l'Empire du milieu.

 

 

Sur notre terre exilé,

Il contemplait désolé

Le ciel, en se souvenant

Du beau pays étoilé

Qu'il habite maintenant.

 

Il abaissait son pinceau;

Et l'on voyait maint oiseau

Écouter, en voletant

Parmi les fleurs du berceau,

Le poète récitant.

 

Sur le papier jaune et vert

De mouches d'argent couvert,

Fins et noirs pleuvaient les traits.

Tel, sur la neige, en hiver,

Le bois mort dans les forêts.

 

 

Il n'est de soupirs du vent,

De clameurs du flot mouvant

Qui soient si doux que les sons

Que le poète, rêvant,

Savait mettre en ses chansons.

 

Aromatiques senteurs

Dont s'embaument les hauteurs,

Thym, muguet, roses, jasmin,

Comme en des rêves menteurs,

Naissaient sous sa longue main.

 

 

À présent, il est auprès

De Fo-hi, dans les prés frais,

Où les sages s'en vont tous,

À l'ombre des grands cyprès,

Boire et rire avec les fous.

 

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Le But

 

À Henri Ghys

 

Le long des peupliers je marche, le front nu,

Poitrine au vent, les yeux flagellés par la pluie.

Je m'avance hagard vers le but inconnu.

 

Le printemps a des fleurs dont le parfum m'ennuie,

L'été promet, l'automne offre ses fruits, d'aspects

Irritants; l'hiver blanc, même, est sali de suie.

 

Que les corbeaux, trouant mon ventre de leurs becs,

Mangent mon foie, où sont tant de colères folles,

Que l'air et le soleil blanchissent mes os secs,

 

Et, surtout, que le vent emporte mes paroles!

 

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Conclusion

 

À Maurice Rollinat

 

J'ai rêvé les amours divins,

L'ivresse des bras et des vins,

L'or, l'argent, les royaumes vains,

 

Moi, dix-huit ans, Elle, seize ans.

Parmi les sentiers amusants

Nous irions sur nos alezans.

 

Il est loin le temps des aveux

Naïfs, des téméraires voeux!

Je n'ai d'argent qu'en mes cheveux.

 

Les âmes dont j'aurais besoin

Et les étoiles sont trop loin.

Je vais mourir soûl, dans un coin.

 

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Lendemain

 

À Henri Mercier

 

Avec les fleurs, avec les femmes,

Avec l'absinthe, avec le feu,

On peut se divertir un peu,

Jouer son rôle en quelque drame.

 

L'absinthe bue un soir d'hiver

Éclaire en vert l'âme enfumée,

Et les fleurs, sur la bien-aimée

Embaument devant le feu clair.

 

Puis les baisers perdent leurs charmes,

Ayant duré quelques saisons.

Les réciproques trahisons

Font qu'on se quitte un jour, sans larmes.

 

On brûle lettres et bouquets

Et le feu se met à l'alcôve,

Et, si la triste vie est sauve,

Restent l'absinthe et ses hoquets.

 

Les portraits sont mangés des flammes;

Les doigts crispés sont tremblotants...

On meurt d'avoir dormi longtemps

Avec les fleurs, avec les femmes.

 

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Croquis d'hospitalité

 

À Démètre Perticari

 

Des parfums, des fleurs, des schalls, des colliers

Dans un château vaste.

Des amants heureux sur tous les paliers,

Gens de haute caste.

Des jambons jaunis, séchant sous l'auvent

De la cheminée.

(On entend dehors la chanson du vent

Jamais terminée,

Légende empruntée à des temps anciens

Plaintive ou lascive.)

Des chats, doux aux mains, de rudes grands chiens.

On fait la lessive.

Dans un coin, parmi les arcs, les filets,

Les guêtres verdies,

Des faisans rouillés, des geais violets,

Plumes refroidies.

Des poissons luisant bleus sous le fil gris

De la carnassière

Dont s'embaumeront casseroles, grils,

Vapeurs de soupière.

 

Et puis, à souper, tout le monde est gris

De vin et de bière.

 

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Les Quatre saisons

 

À Coquelin Cadet

 

I

 

Au printemps, c'est dans les bois nus

Qu'un jour nous nous sommes connus.

 

Les bourgeons poussaient, vapeur verte.

L'amour fut une découverte.

 

Grâce aux lilas, grâce aux muguets,

De rêveurs nous devînmes gais.

 

Sous la glycine et le cytise,

Tous deux seuls, que faut-il qu'on dise?

 

Nous n'aurions rien dit, réséda,

Sans ton parfum qui nous aida.

 

 

II

 

En été les lis et les roses

Jalousaient ses tons et ses poses,

 

La nuit, par l'odeur des tilleuls

Nous nous en sommes allés seuls.

 

L'odeur de son corps, sur la mousse,

Est plus enivrante et plus douce.

 

En revenant le long des blés,

Nous étions tous deux bien troublés.

 

Comme les blés que le vent frôle,

Elle ployait sur mon épaule.

 

 

III

 

L'automne fait les bruits froissés

De nos tumultueux baisers.

 

Dans l'eau tombent les feuilles sèches

Et, sur ses yeux, les folles mèches.

 

Voici les pêches, les raisins,

J'aime mieux sa joue et ses seins.

 

Que me fait le soir triste et rouge,

Quand sa lèvre boudeuse bouge?

 

Le vin qui coule des pressoirs

Est moins traître que ses yeux noirs.

 

 

IV

 

C'est l'hiver. Le charbon de terre

Flambe en ma chambre solitaire.

 

La neige tombe sur les toits,

Blanche! Oh, ses beaux seins blancs et froids!

 

Même sillage aux cheminées

Qu'en ses tresses disséminées.

 

Au bal, chacun jette, poli,

Les mots féroces de l'oubli.

 

L'eau qui chantait s'est prise en glace.

Amour, quel ennui te remplace!

 

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Chanson de route Arya

 

Fiers sur nos chevaux, tribu souveraine

Poussons devant nous les troupeaux bêlants,

Les boeufs mugissants. Que chacun emmène,

Enlacée à lui de ses beaux bras blancs,

L'amoureuse. Car la halte est prochaine.

 

Partis du pays des hauts pics neigeux,

Des vallons mouillés par les sources vives,

Nous en emportons les rires, les jeux,

Les frais souvenirs, sans chansons plaintives.

Aux pays nouveaux nous trouverons mieux.

 

Esclaves, hâtez la marche endormante

Des troupeaux. L'agneau sait téter alors

Que la brebis court en broutant la menthe.

De vos aiguillons piquez les boeufs forts,

Les boeufs paresseux que le taon tourmente.

 

Mais on ralentit l'allure, à travers

Les bois; on descend de cheval; et, blanches,

Nos filles s'en vont dans les buissons verts,

Les cheveux au vent, écartant les branches,

Cherchant avec nous des chemins ouverts.

 

Posant leurs pieds blancs sur les feuilles sèches,

Elles font tinter autour de leurs cous

Et sur leurs beaux seins, doux comme les pêches,

L'or et l'argent fins, sonores bijoux.

Ainsi nous marchons dans les forêts fraîches.

 

Voici l'aube. Allons! Assez de sommeil!

N'attendons pas ceux qui sont lents à suivre,

Voici que le jour s'est levé vermeil.

Nous vaincrons les nains d'ébène ou de cuivre

Dans les beaux pays chauffés du soleil.

 

Et les nains, sachant nos coeurs indomptables,

Seront conducteurs et graisseurs tremblants

De nos chariots, nettoyeurs d'étables,

Pour garder vos doigts rosés, vos bras blancs

Filles de sang pur, aux yeux désirables.

 

Aux peuples soumis, à terre ployés

Les soins du labour et du pâturage,

Nous sur les hauteurs et dans les halliers

Consultant le vent, les bruits du feuillage,

Combattons les loups et les sangliers.

 

Laissons les troupeaux brouter dans la plaine.

Ne tuez jamais les douces brebis,

Car nous leur prenons le lait et la laine.

La vache offre aussi le lait de ses pis.

Réjouissons-nous quand la vache est pleine.

 

Le lait rend joyeux les roses enfants

Qui font oublier la pensée amère.

Du lait nous faisons les fromages blancs,

Piquants, bons avec le vin et la bière.

Ne tuez jamais la vache aux beaux flancs.

 

Les boeufs mugissants ont la lente allure

Qui laisse dormir dans les chariots

Nos enfants, parmi la chaude fourrure.

Respectez les boeufs, aussi les taureaux

Fécondeurs jaloux, puissants d'encolure.

 

Le soir nous rentrons de la chasse, fiers

Du gibier conquis. Le chevreuil, le lièvre,

Le sanglier noir, odorantes chairs

Et les tourdes gras, nourris de genièvre

Rôtissent, fumants, devant les feux clairs.

 

Les femmes alors nous montrent contentes

La laine et le lin qu'elles ont filés,

Pendant que jouaient, à l'ombre des tentes,

Les enfants bruyants, aux yeux éveillés

Sous le buisson roux des boucles flottantes.

 

Aux repas du soir, avant le repos,

Alors que sont cuits les lièvres, les tourdes,

Quand la bière d'or mousse dans les pots,

Quand le vin vermeil sonne dans les gourdes,

On chante les faits des anciens héros.

 

La lueur des feux, les rayons de lune

Éclairent, la nuit, vos souples contours,

Filles de sang pur. Ô vous, que chacune

À chacun de nous donne ses amours,

Et livre son corps blanc, dans la nuit brune.

 

Il fait mal celui qui, loin des amis

Se glisse, oublieux de nos lois hautaines,

Sous les chariots où sont endormis

Nos fils purs, et va, la nuit vers les naines

Filles sans beauté des peuples soumis.

 

De là, les enfants mêlés, détestables,

Serviteurs mauvais de nos enfants purs,

Qui, multipliés ainsi que les sables

Feront révolter, dans les jours futurs,

Les peuples soumis, nettoyeurs d'étables.

 

Donc, il faut chasser les instincts troublants

Et laisser entre eux s'unir les esclaves,

Graisseurs des moyeux, piqueurs des boeufs lents,

Tandis que, le soir, nos filles suaves

S'enlacent à nous de leurs beaux bras blancs.

 

En route, à cheval, tribu souveraine,

Héros descendus des hauts pics neigeux;

Filles aux pieds blancs que chacun emmène!

Nous retrouverons les rires, les jeux,

Et l'amour ce soir; la halte est prochaine.

 

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Le Fleuve

 

À Monsieur Ernest Legouvé

 

Ravi des souvenirs clairs de l'eau dont s'abreuve

La terre, j'ai conçu cette chanson du Fleuve.

 

Derrière l'horizon sans fin, plus loin, plus loin

Les montagnes, sur leurs sommets que nul témoin

N'a vus, condensent l'eau que le vent leur envoie.

D'où le glacier, sans cesse accru, mais qui se broie

Par la base et qui fond en rongeant le roc dur.

Plus bas, non loin des verts sapins, le rire pur

Des sources court parmi les mousses irisées

Et sur le sable fin pris aux roches usées.

Du ravin de là-bas sort un autre courant,

Et mille encore. Ainsi se grossit le torrent

Qui descend vers la plaine et commence le Fleuve.

 

Mais l'eau court trop brutale et d'une ardeur trop neuve

Pour féconder le sol. Sur ces bords déchirés,

Aubépines, lavande et thym, genêts dorés

Trouvent seuls un abri dans les fentes des pierres.

Voici que le torrent heurte en bas les barrières

De sable et de rochers par lui-même traînés.

C'est la plaine. Il s'y perd en chemins détournés

Qui calment sa fureur. Et quelques petits arbres

Suivent l'eau qui bruit sur les grès et les marbres.

Ces collines, derniers remous des monts géants,

Flots figés du granit coulant en océans,

Ces coteaux, maintenant verts, se jaspent de taches

Blanches et rousses qui marchent. Ce sont les vaches

Ou, plus près, le petit bétail. Le tintement

Des clochettes se mêle au murmure endormant

De l'eau.

 

Les peupliers pointus aiment les rives

Plates. Voici déjà que leurs files passives

Escortent çà et là le Fleuve calme et fort.

 

Les champs sont possédés par les puissants. Au bord

Ceux qui n'ont pas l'espoir des moissons vont en foule

Attendre l'imprévu qu'apporte l'eau qui coule:

Paillettes d'or, saphirs, diamants et rubis,

Que les roches, après tant d'orages subis,

Abandonnent du fond de leur masse minée,

Sous l'influx caressant de l'eau froide, obstinée.

Que de sable lavé, que de rêves promis,

Pour qu'un peu d'or, enfin, reste au fond du tamis!

Prends ton bâton, chercheur! La ville n'est pas proche,

Et d'obliques regards ont pesé ta sacoche.

 

D'autres, durs au travail sèment en rond les plombs

Des grands filets; l'argent frétillant des poissons

Gonfle la trame grise, apportant l'odeur fraîche

Et fade qui s'attache aux engins de la pêche.

Mais le gain est précaire, et plus d'un écumeur

Descend, cadavre enflé, dans le flot endormeur.

 

Le fleuve emporte tout, d'ailleurs. Car de sa hache

Le bûcheron, tondeur des montagnes, arrache

Les sapins des hauteurs, qu'il confie au courant;

Et, plus bas, la scierie industrieuse prend

Ces arbres, et, le Fleuve étant complice encore,

Les dépèce, malgré leur révolte sonore.

 

Puis la plaine avec ses moissons, puis les hameaux

D'où viennent s'abreuver, au bord, les animaux:

Boeufs, chevaux; tandis qu'en amont, les lavandières

Font claquer leurs battoirs sur le linge et les pierres.

Ou bien plongent leurs bras nacrés dans l'eau qui court,

Et, montrant leurs pieds nus, le jupon troussé court,

Chantent une chanson où le roi les épouse.

Chanson, pieds nus, bras blancs, font que ce gars en blouse

Distrait, laisse aller seul son cheval fatigué,

Fumant, poitrail dans l'eau, par les courbes du gué.

 

Ces feuillages, en plein courant, couvrent quelqu'île

Qu'on voudrait posséder, pour y rêver tranquille.

 

Puis des collines à carreaux irréguliers,

Des petits bois; plus près de l'eau, les peupliers

Et les saules. Le Fleuve élargi, moins rapide,

S'emplit de nénuphars, de joncs. Dans l'or fluide

Du soir, les moucherons valsent.

Mais, rapprochés,

Maintenant les coteaux s'élèvent. Des rochers

Interrompent souvent les cultures en pente.

Tout le pays pierreux, où le Fleuve serpente

Nourrit, pauvre et moussu, la ronce et le bandit.

Le courant étranglé dans les ravins, bondit

Sur les roches, ou bien dort dans les trous qu'il creuse.

 

Mais l'eau n'interrompt pas sa course aventureuse

Malgré tant de travaux et de sommeils. Voici

La brèche ouverte sur l'horizon obscurci

Par la poussière d'eau. Le lit de pierre plate

Finit brusque, et le flot, pesante nappe, éclate

En un rugissement perpétuel. En bas,

Les rocs éparpillés comme après des combats

De titans, brisent l'eau sur leurs arêtes dures.

Au loin, tout est mouillé. L'audace des verdures

Plantureuses encadre et rompt souvent l'éclat

De la chute écumeuse.

 

Ici le pays plat

Étale encor ses prés, ses moissons. Des rivières,

Venant on ne sait d'où, capricieuses, fières

Courent les champs, croyant qu'elles vivront toujours

Dans la parure en fleur de leur jeune parcours.

Mais le Fleuve vainqueur les arrête au passage,

Et fait taire ce rire en son cours vaste et sage.

 

Aux rives les hameaux se succèdent pareils.

 

Puis, voici l'industrie aux discordants réveils.

Les rossignols, troublés par le bruit et la suie

Des usines, s'en vont vers les bois frais qu'essuie

La pluie et qu'au matin parfume le muguet.

Le soleil luit toujours; mais l'homme fait le guet.

Voilà qu'il a bâti des quais et des écluses;

Et les saules cendrés, méfiants de ces ruses,

Et les peupliers fiers ne vont pas jusque-là.

Ces coteaux profanés, d'où le loup s'en alla,

S'incrustent de maisons blanches et de fabriques

Qui dressent gravement leurs hauts tuyaux de briques.

 

Sur le Fleuve tranquille, égayant le tableau,

Les jeunes hommes, forts et beaux, qui domptent l'eau,

Oublieux, en ramant, de l'intrigue servile,

S'en vont, joyeux, avec des femmes.

 

C'est la ville,

La ville immense avec ses cris hospitaliers,

L'eau coule entre les quais corrects. Des escaliers

Mènent aux profondeurs glauques du suicide.

À la paroi moussue un gros anneau s'oxide,

Pour celui qui se noie inaccessible espoir.

 

Ligne capricieuse et noire sur le soir

Verdâtre, les maisons, les palais en étages

Se constellent. Au port, les ventes, les courtages

Sont finis. Le jour baisse, et les chauves-souris

Voltigent lourdement, poussant des petits cris.

Ces vieux quais oubliés sur leurs pierres disjointes

Supportent des maisons grises aux toits en pointes.

Là, sèchent des chiffons que de leurs maigres bras

Les femmes pauvres ont rincés. En bas, des rats.

 

Le flot profond, serré par les piles massives

Du pont, court plus féroce, et les pierres passives

Se laissent émietter par l'eau, tranquillement.

On voit s'allumer moins d'astres au firmament

Que de lumières sur les quais et dans les rues

Pleines du bruit des voix, des bals gais, parcourues

Par les voitures.

Seul, le Fleuve ne rit pas

Sous les chalands ventrus et lourds. D'ailleurs, en bas,

L'égout vomit l'eau noire aux affreuses écumes,

Roulant des vieux souliers, des débris de légumes,

Des chiens, des chats pourris qu'emmène le courant,

Souillure sans effet dans le Fleuve si grand

Dont la lune, oeil d'argent, paillette la surface.

Mais, qu'importe la vie humaine à l'eau qui passe,

Les ordures, la foule immense et les bals gais?

L'eau ne s'attarde pas à ces choses.

Les gués

Sont rompus, maintenant, en aval de la ville.

L'homme a dragué le lit du Fleuve, plus docile

Depuis qu'il est si large et si profond.

La mer

Aux bateaux goudronnés laisse un parfum amer

Qui parle des pays lointains où le vent mène.

Le Fleuve, insoucieux de l'industrie humaine,

Continue à travers la campagne. La nuit

S'avance triomphante et constellée, au bruit

Des feuilles que l'air frais emperle de rosée.

 

Puis, au matin, encore une ville posée

Dans la plaine, bijou de perle sur velours

Vert, dont tous ces coteaux imitent les plis lourds;

Des fermes aux grands toits, bas et moussus, tapies

Au bord des prés sans fin où voltigent les pies,

Richesses qu'à mi-voix ce paysan pensif

Évalue en fouettant son vieux mulet poussif.

 

Le Fleuve s'élargit toujours, tant, que les rives

Perdent vers l'horizon leurs lignes fugitives.

Les coteaux abaissés, le ciel agité, l'air

Murmurant et salé, proclament que la mer

Est là, terme implacable à la folle équipée

De l'eau, qui vers le ciel chaud s'était échappée.

 

La mer demande tout fantasque, et puis, parfois

Refuse les tributs du Fleuve, limon, bois,

Cadavres, rocs brisés, qu'aux montagnes lointaines,

Aux terres grasses, aux hameaux, aux vastes plaines,

Il a volé, voulant rassasier la mer.

Et tout s'entasse, obstacle au Fleuve. L'homme fier

Trouve ici les débris distincts de chaque année,

Aux temps obscurs où sa race n'était pas née.

 

Tout le pays est gai. De loin le chant des coqs

Fend la brume. Voici les bassins et les docks,

Les cris des cabestans, les barques amarrées

D'où mille portefaix enlèvent les denrées,

Ballots, tonneaux, métaux en barres, tas de blés.

Aux cabarets fumeux, les marins attablés

Se menacent, avec des jurons exotiques.

On trouve tous les fruits lointains dans les boutiques.

 

L'eau du Fleuve s'arrête, un peu troublée, avant

De se perdre, innommée, en l'infini mouvant.

 

C'est comme une bataille en ligne régulière:

Escadrons au galop, soulevant la poussière,

Les vagues de la mer arrivent à grands bruits,

Blanches d'écume, ayant des airs vainqueurs, et puis

S'en retournent, efforts que le Fleuve repousse

Avec ses petits flots audacieux d'eau douce.

La mer fuit, mais emporte et disperse à jamais,

Rang par rang, tous ces flots, fils des lointains sommets.

 

 

Muse hautaine. Muse aux yeux clairs, sois bénie!

Malgré tes longs dédains, ma chanson est finie;

Car tu m'as consolé de tous les bruits railleurs;

Tu m'as montré, parmi mes souvenirs meilleurs,

Des lueurs pour teinter l'eau qui court et gazouille,

L'eau fraîche où, vers le soir, l'hirondelle se mouille.

Et j'ai suivi ses flots jusqu'à la grande mer.

 

Qu'on se lise entre amis ce chant tranquille et fier,

Dans les moments de fièvre et dans les jours d'épreuve,

Qu'on endorme son coeur aux murmures du Fleuve.