BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Jules Sandeau

1811 - 1883

 

La Roche aux Mouettes

 

1871

 

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[1]

À mon neveu Paul. – Le Pouliguen.

 

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Le Pouliguen est un hameau de la Bretagne situé au bord de l'Océan, entre le bourg de Batz et l'embouchure de la Loire, avec un petit port de pêche et de commerce que des dunes abritent d'un côté, et que borde de l'autre un quai régulier dont les maisons s'arrêtent à la plage. Les alentours en sont nus et plats, et n'offrent pas même à l'oeil attristé les [2] landes, les bruyères, les champs d'ajoncs et de genêts, poésie familière des paysages de l'Armorique.

 

Le Pouliguen

 

On y arrive à travers les marais salants qui l'enveloppent de toute part. Ces marais, toutefois, ne manquent pas de caractère, surtout quand le soleil les embrase et les fait étinceler comme une nappe de givre ou de cristal. Le hameau est propre et riant. Pêcheurs ou paludiers, tous les habitants y vivent de la mer. Les maisons, bien bâties, respirent, à l'intérieur, l'honnêteté, l'aisance et le travail. La plage, unie et sûre, est égayée à toute heure par les évolutions aériennes des mouettes et des goëlands, qui semblent affectionner ces parages. A quelques pas de là, un petit bois d'arbres du Nord mêle une saine odeur de résine à l'haleine déjà si salubre de l'Océan. Bien que les environs soient arides, [3] on peut y faire de jolies excursions. Toute la partie de la côte qui s'étend jusqu'au Croisic en touchant au bourg de Batz, sans être aussi grandiose que les falaises de la Normandie, présente cependant des aspects plus variés, des accidents plus pittoresques. Elle est hérissée de rochers, mais les mille anfractuosités et les escaliers naturels que les marées ont creusés dans les flancs du granit permettent à chaque instant de communiquer avec la mer et de pénétrer en quelque sorte dans son intimité. C'est ainsi que j'aime la mer, moins comme un spectacle que comme une amie. J'aime à converser avec elle, à la suivre pas à pas sur les récifs qu'elle découvre en se retirant, ou bien, étendu sur le sable des baies solitaires, à la voir envahir successivement ses rivages et jeter à [4] mes pieds sa vague caressante. Il n'est pas jusqu'à ses colères dont je n'aime à me sentir enveloppé. J'ai vécu sur cette côte pendant quelques semaines, et le souvenir m'en est doux. Il y a bien longtemps de cela. Mon fils n'était alors qu'un enfant: je le vois encore courant sur les brisants et jouant avec les lames, comme s'il commençait déjà l'apprentissage du rude et beau métier qu'il devait embrasser plus tard. J'aimerais à retourner au Pouliguen. On y vit simplement et à peu de frais. Ce qui m'en plaît par-dessus tout, c'est que le monde élégant le dédaigne, l'évite ou ne le connaît pas. Ce petit port, habituellement si paisible, venait d'échapper, lorsque j'y arrivai, à un effroyable désastre, et se trouvait encore sous le coup des émotions violentes qu'il avait ressenties. Voici, [5] mon cher Paul, ce qui s'était passé, car c'est à toi que ce récit s'adresse. Tu étais résolu à n'apprendre à lire qu'après que ton vieil oncle aurait écrit quelque chose pour toi. Avoue-le, ta paresse comptait sur la mienne, et croyait s'assurer ainsi de longs loisirs. Te voilà bien attrapé, mon enfant! Je voudrais que cette histoire t'intéressât assez pour te donner de bonne heure le goût de la lecture. Ne servît-elle qu'à te mettre en état de lire couramment celles que racontent si bien mes amis Stahl, Jules Verne et Macé, tu n'auras pas à regretter ta peine, et moi je n'aurai pas perdu mon temps.

 

Jules Sandeau.

 

[6]

vacat