BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Theséus de Cologne

vers 1370

 

Theséus de Cologne

 

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Laisse V

 

140

Alidone la Royne ot le cuer moult dolent

Quant ouyt Fernagus le hardy Alemans

Qui s'amour lui aloyt tellement requerant.

Du responds qu'il ouyt s'ala moult fort doubtant

Qu'elle; n'alast au Roy celle chose comptent;

145

Sy s'advisa comment, pourroit esploiter tant

Que la Royne fut du Roy en mal talent grant.

Or escouter comment il s'ala advisant.

Il y avoit ung nain a la court demourant,

A la Royne estoit le nain que vous m'oyez, comptent

150

Et tousjours aloyt la Royne bien servant.

Fernagus s'advisa d'ung fait traisteusement.

Au Roy Floridas vint de Couloingne la grant

Qui l'aymoit et prisoit plus que nul homme vivant.

Fernagu l'appela, en monstrant beau semblant

155

Et lui dit: «Monseigneur, je vous ay servy tant

Que je vous doys amer plus que homme vivant.

Mais verrez les horreurs que je voy gouvernant,

Mais j'ay le cuer pour vous si triste et si dolent

Que plus n'y demouray. A Jhesus vous comment.»

160

«Pourquoy?» ce dit le Roy, «Fernagus, viens avant,

Or n'ay je chevallier bachelier ne sergent,

Compte ne ducz ne prince tant soit souffisament,

Ce m'aïst (a) Jhesucrist, que je ayme autant.

Vous me servez, de vin et d'espices devant,

165

Vous me servez a table en beuvant et mengent,

Vous estes en ma chambre quant je m'en voix dormant,

Vous venez avec moy quant je m'en voix chassant,

L. f.3b

Vous portés mes pyeseaulx quant je m'en voix volant.

Ph. f.4a

Je ne sçais plus que vous qui me voyt approchant,

170

Ne a qui je deïsse si tost mon couvenant.

Je vous pry Fernagu, n'alez mye partant,

Je vous donray assez et bon or et argent,

Et robbes et sainetures et bon cheval courant,

Chasteaulx et bonnes villes arés a vo(stre) comment!»

175

«Sire,» dit Fernagu, «de ce n'alez parlant,

N'est mye pour telle chose, j'ay assez vaillant.

Ce que j'ay c'est du vostre, il est bien aparant,

Ne je n'ay rien que vous qui vous voyt alongent,

Ne foiz compte d'avoir, au diable le comment.

180

Mais le cuer de moy d'autre chose et dolent,

Et si ne l'oze dire a vous ne tant ne quant

Pour la grande douleur que je voix aparant.»