BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Christine de Pizan

vers 1364 - vers 1431

 

L'Avision de Christine

 

La tierce partie

 

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XVI

Respont Philosophie

a Christine

 

Quant ainsi ie oz toutes mes raisons finees ie me teus quoye/ Adonc lexcellent deesse parla ainsi que se semblant feist/ de soubsrire tout ainsi que fait un sage quant les raisons du simple lui sont presentees/ mais non pour tant mon ignorance ne me tolli laissance de sa digne parole qui ainsi me dist

Certes amie a tes paroles cognois comment fole faveur te decoipt es iugemens de ton meismes estat. O creature aveuglee qui attribues a male fortune les dons de dieu/ et son propre galice dont il tabeuvre/ Et pour quoy te plains tu par ingratitude des biens que as receus/ Et certes moult est perverty lestomach qui propice viande recoipt/ et la convertist damagiablement a sa nourriture/ Et ou est doncques le sens de ton entendement qui ne cognoist ce qui lui est proffitable/ Et que tu es deceue te prouveray par prattique de gros exemple tout ainsi comme lexpert medecin qui considere la faculte de la nature et complexion de son pacient. Et selon sa force/ ou foiblece lui donne purgatoire et medecine/ Ainsi useray en toy de regisme tenue/ et legier pour la foiblece de lestomach de ton entendement a qui choses pesantes. telles ou semblables que iadis donnay a mon ame boece/ sicomme en son livre as trouve/ seroient fortes a digerer et convertir a la sustentacion de ta neccessite/ Et pour ce comme exemples ruraulx soyent aux simples/ cause de plus legierement comprendre les fourmes des choses par celle voye sus fondement de saintte escripture la plus seure/ te ramenray se ie puis a vraye cognoiscence de ton tort

Belle amie par ce que comprendre puis en ton fait moult te plains et tiens mal content de fortune que tu dis estre et avoir este ia long temps anemie de ta prosperite et que tres lors quen france conduisi tes parens et toy avec eulx ourdi le laz de tribulacion ou conduire te vouloit. Et puis les autres aventures tu dis estre venues a ton grant grief/ aux quelles choses non a toutes particulierement car nen est besoing. Mais assez servira pour chascune ma general response te monstreray ta vehemente folie/ et la descognoiscence qui te deçoit en ceste partie et te destourne davisier le vray de ton fait Avises un pou en toy meismes les grans persecucions et mortieulx inconveniens qui ont puis este et encore sont/ comme il ne puisse estre en paix ou pais dont tu es nee/ et penses a certes se dieux te fist point grant grace non obstant que ten plaingnes/ de oster toy et les tiens de entre les flammes de ceulx qui se brusient Cuides tu par ta foy que eschappee en fusses iusques au iour duy sanz ta part avoir du mal ou sur toy ou le veant avoir a de tes amis. Car meismes par de ca as tu ploure de tes charnelz qui sen sont sentus/ mais apres ie me ry de ta nicete qui attribues a la poissance de fortune la mort et trespas de creature humaine sicomme tu dis du roy charles et de tes autres amis Et ce qui est ou secret/ de dieu escript qui toutes choses dispose et gouverne a son bon plaisir/ Cest assavoir la fin et terme de vie humaine il semble que vuelles appliquier a aventure quant tu dis que fortune ten despouilla/ Tout ainsi comme se autre chose ne eust a faire fors soy occuper pour tes nuisances Et sces tu la cause qui te meut a tieulx ymaginacions/ cest la trop grant faveur et tendreur que as a toy meismes et a laise de tes plaisirs qui te fait tout ce qui avient contre ce que vouldroies attribuer au propos de ce que tu ymagines. Car quant est de la mort du roy et aussi des autres dieus les avoit ordonnez ad ce terme pour le meilleur comme toutes choses ainsi le face/ Et se le mieulx fust les laissier fait le eust/ et des iugemens de dieu quoy que il vous semblent merveilleux nest pas en vous den disputer en hardies paroles/ car comme il soit tout sapient scet bien que il fait

Et des autres adversitez dont tu te plains ressembles lenfant trop mignot qui se deult du petit cop de la verge que son pere lui donne et ne scet cognoistre le bien que il lui fait/ ainsi certes te plains sanz cause, car ne sces adroit que sont tribulacions/ et en ce monstres que tu es femme tendre fresle et pou souffrant qui de pou se scent/ Et ce te prouveray ie par raison cy apres.