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B  I  B  L  I  O  T  H  E  C  A    A  U  G  U  S  T  A  N  A

 

 

 

 
Louïze Labé
Débat de folie et d'amour
 


 






 




D i s c o u r s  IIII.

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Cupidon vient donner le bon jour à Jupiter.

J u p i t e r.
Que dis tu petit mignon? Tant que ton diferent soit terminé, nous n'aurons plaisir de toy. Mais ou est ta mere?

A m o u r.
Elle est allee vers Apolon, pour l'amener au consistoire des Dieus. Ce pendant elle m'a commandé venir vers toy te donner le bon jour.

J u p i t e r.
Je la plein bien pour l'ennui qu'elle porte de ta fortune. Mais je m'esbahi comme, ayant tant ofensé de hauts Dieus et grands Seigneurs, tu n'as jamais ù mal que par Folie!

A m o u r.
C'est pource que les Dieus et hommes, bien avisez, creingnent que ne leur face pis. Mais Folie n'a pas la consideracion et jugement si bon.

J u p i t e r.
Pour le moins te devroient ils hair, encore qu'ils ne t'osassent ofenser. Toutefois tous tant qu'ils sont t'ayment.

A m o u r.
Je seroye bien ridicule, si ayant le pouvoir de faire les hommes estre aymez, ne me faisois aussi estre aymé.

J u p i t e r.
Si est il bien contre nature, que ceus qui ont reçu tout mauvais traitement de toy, t'ayment autant comme ceus qui ont ù plusieurs faveurs.

A m o u r.
En ce se montre la grandeur d'Amour, quand on ayme celui dont on est mal traité.

J u p i t e r.
Je say fort bien par experience, qu'il n'est point en nous d'estre aymez: car, quelque grand degré où je sois, si ay je esté bien peu aymé: et tout le bien qu'ay reçu, l'ay plus tot ù par force et finesse, que par amour.

A m o u r.
J'ay bien dit que je fay aymer encore ceus, qui ne sont point aymez: mais si est il en la puissance d'un chacun le plus souvent de se faire aymer. Mais peu se treuvent, qui facent en amour tel devoir qu'il est requis.

J u p i t e r.
Quel devoir?

A m o u r.
La premiere chose dont il faut s'enquerir, c'est s'il y ha quelque Amour imprimee: et s'il n'y en ha, ou qu'elle ne soit encor enracinee, ou qu'elle soit desja toute usee, faut songneusement chercher quel est le naturel de la personne aymee: et, connoissant le notre, avec les commoditez, façons, et qualitez estre semblables, en user: si non, le changer. Les Dames que tu as aymees, vouloient estre louces, entretenues par un long temps, priees, adorees: quell' Amour penses tu qu'elles t'ayent porté, te voyant en foudre, en Satire, en diverses sortes d'Animaus, et converti en choses insensibles? La richesse te fera jouir des dames qui sont avares: mais aymer non. Car cette affeccion de gaigner ce qui est au coeur d'une personne, chasse la vraye et entiere Amour: qui ne cherche son proufit, mais celui de la personne, qu'il ayme. Les autres especes d'Animaus ne pouvoient te faire amiable. Il n'y ha animant courtois et gracieus que l'homme, lequel puisse se rendre suget aus complexions d'autrui, augmenter sa beauté et bonne grace par mile nouveaus artifices: plorer, rire, chanter, et passionner la personne qui le voit. La lubricité et ardeur de reins n'a rien de commun, ou bien peu avec Amour. Et pource les femmes ou jamais n'aymeront, ou jamais ne feront semblant d'aymer pour ce respect. Ta magesté Royale encores ha elle moins de pouvoir en ceci: car Amour se plait de choses egales. Ce n'est qu'un joug, lequel faut qu'il soit porté par deus Taureaus semblables: autrement le harnois n'ira pas droit. Donq quand tu voudras estre aymé descens en bas, laisse ici ta couronne et ton sceptre, et ne dy qui tu es. Lors tu verras en bien servant et aymant quelque Dame, que sans qu'elle ait egard à richesse ne puissance, de bon gré t'aymera. Lors tu sentiras bien un autre contentement, que ceus que tu as uz par le passé: et au lieu d'un simple plaisir, en recevras un double. Car autant y ha il de plaisir à estre baisé et aymé, que de baiser et aymer.

J u p i t e r.
Tu dis beaucoup de raisons: mais il faut un long tems, une sugeccion grande, et beaucoup de passions.

A m o u r.
Je say bien qu'un grand Signeur se fache de faire longuement la court, que ses afaires d'importance ne permettent pas qu'il s'y assugettisse, et que les honneurs qu'il regoit tous les jours, et autres passetems sans nombre, ne lui permettent croitre ses passions, de sorte qu'elles puissent mouvoir leurs amies à pitié. Aussi ne doivent ils atendre les grans et faciles contentemens qui sont en Amour, mais souvente fois j'abaisse si bien les grans, que je les fay à tous, exemple de mon pouvoir.

J u p i t e r.
Il est tems d'aller au consistoire: nous deviserons une autrefois plus à loisir.
 
 
 
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