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B  I  B  L  I  O  T  H  E  C  A    A  U  G  U  S  T  A  N  A

 

 

 

 
Louïze Labé
vers 1525 - 1566
 


 






 




S o n n e t s

Sonnet I Non havria Ulysse o qualunqu'altro mai
Sonnet II O beaus yeus bruns, ô regars destournez
Sonnet III O longs désirs, ô esperances vaines
Sonnet IV Depuis qu'Amour cruel empoisonna
Sonnet V Clere Venus, qui erres par les Cieus
Sonnet VI Deus ou trois fois bienheureus le retour
Sonnet VII On voit mourir toute chose animee
Sonnet VIII Je vis, je meurs: je me brule et me noye.
Sonnet IX Tout aussi tot que je commence à prendre
Sonnet X Quand j'aperçoy ton blond chef couronné
Sonnet XI O dous regars, ô yeus pleins de beauté
Sonnet XII Lut,compagnon de ma calamité
Sonnet XIII Oh si j'estois en ce beau sein ravie
Sonnet XIV Tant que mes yeux pourront larmes espandre
Sonnet XV Pour le retour du Soleil honorer
Sonnet XVI Apres qu'un tems la gresle et le tonnerre
Sonnet XVII Je fuis la vile, et temples, et tous lieus
Sonnet XVIII Baise m'encor, rebaise moy et baise
Sonnet XIX Diane estant en l'espesseur d'un bois
Sonnet XX Predit me fut, que devoit fermement
Sonnet XXI Quelle grandeur rend l'homme venerable?
Sonnet XXII Luisant Soleil, que tu es bien heureus
Sonnet XXIII Las! que me sert, que si parfaitement
Sonnet XXIV Ne reprenez, Dames, si j'ay aymé
Sonnet de la belle cordière

________________



 

I
Non havria Ulysse o qualunqu'altro mai
Più accorto fù, da quel divino aspetto
Pien di gratie, d'honor et di rispetto
Sperato qual i' sento affani e guai.

5
Pur, Amor, coi begli ochi tu fatt'hai
Tal piaga dentro al mio innocente petto,
Di cibo et di calor gia tuo ricetto,
Che rimedio non v'è si tu no'l dai.

O sorte dura, che mi fa esser quale
10
Punta d'un Scorpio, e domandar riparo,
Contr'el velen' dall'istesso animale.

Chieggio li sol' ancida questa noia,
Non estingua el desir à me si caro,
Che mancar non potra ch'i' non mi muoia
 
II
O beaus yeus bruns, ô regars destournez,
O chaus soupirs, ô larmes espandues,
O noires nuits vainement atendues,
O jours luisans vainement retournez :

5
O tristes pleins, ô desirs obstinez,
O tems perdu, ô peines despendues,
O mile morts en mile rets tendues,
O pires maus contre moy destinez.

O ris, ô front, cheveus, bras, mains et doits :
10
O lut pleintif, viole, archet et vois :
Tant de flambeaus pour ardre une femmelle!

De toy me plein, que tant de feus portant,
En tant d'endrois d'iceus mon coeur tatant,
N'en est sur toy volé quelque estincelle.
 
III
O longs désirs, ô esperances vaines,
Tristes soupirs et larmes coutumieres
A engendrer de moy maintes rivieres,
Dont mes deus yeus sont sources et fontaines :

5
O cruautez, ô durtez inhumaines,
Piteus regars des celestes lumieres :
Du coeur transi ô passions premieres,
Estimez vous croitre encore mes peines?

Qu'encor Amour sur moy son arc essaie,
10
Que nouveaus feus me gette et nouveaus dars :
Qu'il se despite, et pis qu'il pourra face :

Car je suis tant navree en toutes pars,
Que plus en moy une nouvelle plaie,
Pour m'empirer ne pourroit trouver place.
 
IV
Depuis qu'Amour cruel empoisonna
Premierement de son feu ma poitrine,
Tousjours brulay de sa fureur divine,
Qui un seul jour mon coeur n'abandonna.

5
Quelque travail, dont assez me donna,
Quelque menasse et procheine ruïne :
Quelque penser de mort qui tout termine,
De rien mon coeur ardent ne s'estonna.

Tant plus qu'Amour nous vient fort assaillir,
10
Plus il nous fait nos forces recueillir,
Et toujours frais en ses combats fait estre

Mais ce n'est pas qu'en rien nous favorise,
Cil qui les Dieus et les hommes mesprise :
Mais pour plus fort contre les fors paroitre.
 
V
Clere Venus, qui erres par les Cieus,
Entens ma voix qui en pleins chantera,
Tant que ta face au haut du Ciel luira,
Son long travail et souci ennuieus.

5
Mon oeil veillant s'atendrira bien mieus,
Et plus de pleurs te voyant gettera.
Mieus mon lit mol de larmes baignera,
De ses travaus voyant témoins tes yeus.

Donq des humains sont les lassez esprits
10
De dous repos et de sommeil espris.
J'endure mal tant que le Soleil luit:

Et quand je suis quasi toute cassee,
Et que me suis mise en mon lit lassee,
Crier me faut mon mal toute la nuit.
 
VI
Deus ou trois fois bienheureus le retour
De ce cler Astre, et plus heureus encore
Ce que son oeil de regarder honore.
Que celle là recevroit un bon jour,

5
Qu'elle pourroit se vanter d'un bon tour
Qui baiseroit le plus beau don de Flore,
Le mieus sentant que jamais vid Aurore,
Et y feroit sur ses levres sejour :

C'est à moy seule à qui ce bien est du,
10
Pour tant de pleurs et tant de tems perdu :
Mais le voyant, tant lui feray de feste,

Tant emploiray de mes yeus le pouvoir,
Pour dessus lui plus de credit avoir,
Qu'en peu de tems feray grande conqueste.
 
VII
On voit mourir toute chose animee,
Lors que du corps l'ame sutile part :
Je suis le corps, toy la meilleure part :
Où es tu donq, ô ame bien aymee?

5
Ne me laissez par si long tems pàmee,
Pour me sauver apres viendrois trop tard.
Las, ne mets point ton corps en ce hazart :
Rens lui sa part et moitié estimee.

Mais fais, Ami, que ne soit dangereuse
10
Cette rencontre et revuë amoureuse,
L'acompagnant, non de severité,

Non de rigueur : mais de grace amiable,
Qui doucement me rende ta beauté,
Jadis cruelle, à present favorable.
 
VIII
Je vis, je meurs : je me brule et me noye.
J'ay chaut estreme en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ay grans ennuis entremeslez de joye :

5
Tout à un coup je ris et je larmoye,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure :
Mon bien s'en va, et à jamais il dure :
Tout en un coup je seiche et je verdoye.

Ainsi Amour inconstamment me meine :
10
Et quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me treuve hors de peine.

Puis quand je croy ma joye estre certeine,
Et estre au haut de mon desiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.
 
IX
Tout aussi tot que je commence à prendre
Dens le mol lit le repos desiré,
Mon triste esprit hors de moy retiré
S'en va vers toy incontinent se rendre.

5
Lors m'est avis que dedens mon sein tendre
Je tiens le bien, où j'ay tant aspiré,
Et pour lequel j'ay si haut souspiré,
Que de sanglots ay souvent cuidé fendre

O dous sommeil, o nuit à moy heureuse!
10
Plaisant repos, plein de tranquilité,
Continuez toutes les nuiz mon songe:

Et si jamais ma povre arne amoureuse
Ne doit avoir de bien en verité,
Faites au moins qu'elle en ait en mensonge
 
X
Quand j'aperçoy ton blond chef couronné
D'un laurier verd, faire un Lut si bien pleindre,
Que tu pourrois à te suivre contreindre
Arbres et rocs : quand je te vois orné,

5
Et de vertus dix mile environné,
Au chef d'honneur plus haut que nul ateindre,
Et des plus hauts les louenges esteindre :
Lors dit mon coeur en soy passionné :

Tant de vertus qui te font estre aymé,
10
Qui de chacun te font estre estimé,
Ne te pourroient aussi bien faire aymer?

Et ajoutant à ta vertu louable
Ce nom encor de m'estre pitoyable,
De mon amour doucement t'enflamer?
 
XI
O dous regars, ô yeus pleins de beauté,
Petits jardins, pleins de fleurs amoureuses
Où sont d'Amour les flesches dangereuses,
Tant à vous voir mon oeil s'est arresté !

5
O coeur felon, o rude cruauté,
Tant tu me tiens de façons rigoureuses,
Tant j'ay coulé de larmes langoureuses,
Sentant l'ardeur de mon coeur tourmenté !

Donques, mes yeus, tant de plaisir avez,
10
Tant de bons tours par ses yeus recevez :
Mais toy, mon coeur, plus les vois s'y complaire,

Plus tu languiz, plus en as de soucis,
Or devinez si je suis aise aussi,
Sentant mon oeil estre à mon coeur contraire.
 
XII
Lut,compagnon de ma calamité,
De mes soupirstémoin irreprochable,
De mes ennuis controlleur veritable,
Tu as souvent avec moy lamenté :

5
Et tant le pleur piteus t'a molesté,
Que commençant quelque son delectable,
Tu le rendois tout soudein lamentable,
Feignant le ton que plein avoit chanté.

Et si te veus efforcer au contraire,
10
Tu te destens et si me contreins taire :
Mais me voyant tendrement soupirer,

Donnant faveur à ma tant triste pleinte :
En mes ennuis me plaire suis contreinte,
Et d'un dous mal douce fin esperer.
 
XIII
Oh si j'estois en ce beau sein ravie
De celui là pour lequel vois mourant :
Si avec lui vivre le demeurant
De mes cours jours ne m'empeschoit envie :

5
Si m'acollant me disoit : chere Amie,
Contentons nous l'un l'autre, s'asseurant
Que ja tempeste, Euripe, ne Courant
Ne nous pourra desjoindre en notre vie :

Si de mes bras le tenant acollé,
10
Comme du Lierre est l'arbre encercelé,
La mort venoit, de mon aise envieuse :

Lors que souef plus il me baiseroit,
Et mon esprit sur ses levres fuiroit,
Bien je mourrois, plus que vivante, heureuse.
 
XIV
Tant que mes yeux pourront larmes espandre,
A I'heur passé avec toy regretter :
Et qu'aus sanglots et soupirs resister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre :

5
Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignart Lut, pour tes graces chanter :
Tant que l'esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toy comprendre :

Je ne souhaitte encore point mourir.
10
Mais quand mes yeus je sentiray tarir,
Ma voix cassee, et ma main impuissante,

Et mon esprit en ce mortel sejour
Ne pouvant plus montrer signe d'amante :
Prirey la Mort noircir mon plus cler jour.
 
XV
Pour le retour du Soleil honorer,
Le Zephir, l'air serein lui apareille :
Et du sommeil l'eau et la terre esveille,
Qui les gardoit l'une de murmurer,

5
En dous coulant, I'autre de se parer
De mainte fleur de couleur nompareille.
Ja les oiseaus es arbres font merveille,
Et aus passans font l'ennui moderer :

Les Nynfes ja en mile jeus s'esbatent
10
Au cler de Lune, et dansans l'herbe abatent :
Veus tu Zephir de ton heur me donner,

Et que par toy toute me renouvelle?
Fay mon Soleil devers moy retourner,
Et tu verras s'il ne me rend plus belle.
 
XVI
Apres qu'un tems la gresle et le tonnerre
Ont le haut mont de Caucase batu,
Le beau jour vient, de lueur revétu.
Quand Phebus ha son cerne fait en terre,

5
Et l'Ocean il regaigne à grand erre :
Sa soeur se montre avec son chef pointu.
Quand quelque tems le Parthe ha combatu,
Il prent la fuite et son arc il desserre.

Un tems t'ay vù et consolé pleintif,
10
Et defiant de mon feu peu hatif :
Mais maintenant que tu m'as embrasee,

Et suis au point auquel tu me voulois:
Tu as ta flame en quelque eau arrosee,
Et es plus froit qu'estre je ne soulois.
 
XVII
Je fuis la vile, et temples, et tous lieus,
Esquels prenant plaisir à t'ouir pleindre,
Tu peus, et non sans force, me contreindre
De te donner ce qu'estimois le mieus.

5
Masques, tournois, jeus me sont ennuieus,
Et rien sans toy de beau ne me puis peindre :
Tant que tachant à ce desir esteindre,
Et un nouvel objet faire à mes yeus,

Et des pensers amoureus me distraire,
10
Des bois espais sui le plus solitaire :
Mais j'aperçoy, ayant erré maint tour,

Que si je veus de toi estre delivre,
Il me convient hors de moymesme vivre,
Ou fais encor que loin sois en sejour.
 
XVIII
Baise m'encor, rebaise moy et baise :
Donne m'en un de tes plus savoureus,
Donne m'en un de tes plus amoureus :
Je t'en rendray quatre plus chaus que braise.

5
Las, te pleins tu ? ça que ce mal j'apaise,
En t'en donnant dix autres doucereus.
Ainsi meslans nos baisers tant heureus
Jouissons nous l'un de I'autre à notre aise.

Lors double vie à chacun en suivra.
10
Chacun en soy et son ami vivra.
Permets m'Amour penser quelque folie :

Tousjours suis mal, vivant discrettement,
Et ne me puis donner contentement,
Si hors de moy ne fay quelque saillie.
 
XIX
Diane estant en l'espesseur d'un bois,
Apres avoir mainte beste assenee,
Prenoit le frais, de Nynfes couronnee :
J'allois resvant comme fay maintefois,

5
Sans y penser : quand j'ouy une vois,
Qui m'apela, disant, Nynfe estonnee,
Que ne t'es tu vers Diane tournee?
Et me voyant sans arc et sans carquois,

Qu'as tu trouvé, o compagne, en ta voye,
10
Qui de ton arc et flesches ait fait proye?
Je m'animay, respons je, à un passant,

Et lui getay en vain toutes mes flesches
Et l'arc apres : mais lui les ramassant
Et les tirant me fit cent et cent bresches.
 
XX
Predit me fut, que devoit fermement
Un jour aymer celui dont la figure
Me fut descrite : et sans autre peinture
Le reconnu quand vy premierement :

5
Puis le voyant aymer fatalement,
Pitié je pris de sa triste aventure :
Et tellement je forçay ma nature,
Qu'autant que lui aymay ardentement.

Qui n'ust pensé qu'en faveur devoit croitre
10
Ce que le Ciel et destins firent naitre?
Mais quand je voy si nubileus aprets,

Vents si cruels et tant horrible orage :
Je croy qu'estoient les infernaus arrets,
Qui de si loin m'ourdissoient ce naufrage.
 
XXI
Quelle grandeur rend l'homme venerable?
Quelle grosseur? quel poil? quelle couleur?
Qui est des yeus le plus emmieleur?
Qui fait plus tot une playe incurable?

5
Quel chant est plus à l'homme convenable?
Qui plus penetre en chantant sa douleur?
Qui un dous lut fait encore meilleur?
Quel naturel est le plus amiable?

Je ne voudrois le dire assurément,
10
Ayant Amour forcé mon jugement :
Mais je say bien et de tant je m'assure,

Que tout le beau que l'on pourroit choisir,
Et que tout l'art qui ayde la Nature,
Ne me sauroient acroitre mon desire.
 
XXII
Luisant Soleil, que tu es bien heureus,
De voir toujours de t'Amie la face :
Et toy, sa soeur, qu'Endimion embrasse,
Tant te repais de miel amoureus.

5
Mars voit Venus : Mercure aventureus
De Ciel en Ciel, de lieu en lieu se glasse :
Et Jupiter remarque en mainte place
Ses premiers ans plus gays et chaleureus.

Voilà du Ciel la puissante harmonie,
10
Qui les esprits divins ensemble lie :
Mais s'ils avoient ce qu'ils ayment lointein,

Leur harmonie et ordre irrevocable
Se tourneroit en erreur variable,
Et comme moy travailleroient en vain.
 
XXIII
Las! que me sert, que si parfaitement
Louas jadis et ma tresse doree,
Et de mes yeus la beauté comparee
A deus soleils, dont Amour finement

5
Tira les trets causes de ton tourment?
Où estes vous, pleurs de peu de duree?
Et Mort par qui devoit estre honoree
Ta ferme amour et iteré serment?

Donques c'estoit le but de ta malice
10
De m'asservir sous ombre de service?
Pardonne moy, Ami, à cette fois,

Estant outree et de despit et d'ire :
Mais je m'assure, quelque part que tu sois,
Qu'autant que moy tu soufres de martire.
 
XXIV

Ne reprenez, Dames, si j'ay aymé :
Si j'ay senti mile torches ardentes,
Mile travaus, mile douleurs mordentes :
Si en pleurant, j'ay mon tems consumé,

5
Las que mon nom n'en soit par vous blamé.
Si j'ay failli, les peines sont presentes,
N'aigrissez point leurs pointes violentes :
Mais estimez qu'Amour, à point nommé,

Sans votre ardeur d'un Vulcan excuser,
10
Sans la beauté d'Adonis acuser,
Pourra, s'il veut, plus vous rendre amoureuses :

En ayant moins que moy d'occasion,
Et plus d'estrange et forte passion.
Et gardez vous d'estre plus malheureuses.

FIN DES EUVRES DE
LOVÏSE LABÉ LIONNOIZE.


 
Sonnet de la Belle Cordière
(attribué à Louise Labé)

Las ! cettui jour, pourquoi l'ai-je dû voir,
Puisque ses yeux allaient ardre mon âme ?
Doncques, Amour, faut-il que par ta flamme
Soit transmué notre heur en désespoir !

5
Si on savait d'aventure prévoir
Ce que vient lors, plaints, poinctures et blâmes ;
Si fraîche fleur évanouir son bâme
Et que tel jour fait éclore tel soir ;

Si on savait la fatale puissance,
10
Que vite aurais échappé sa présence !
Sans tarder plus, que vite l'aurais fui !

Las, Las ! que dis-je ? O si pouvait renaître
Ce jour tant doux où je le vis paraître,
Oisel léger, comme j'irais à lui !

 
 
 
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