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B  I  B  L  I  O  T  H  E  C  A    A  U  G  U  S  T  A  N  A

 

 

 

 
Olympe de Gouges
1748 - 1793
 


 






 




R e m a r q u e s
p a t r i o t i q u e s


Par la Citoyenne,
auteur de la
«Lettre au Peuple»
1788


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Olympe de Gouges remettant ses
«Remarques patriotiques» aux souverains
(Frontispice de la brochure)



[. . .]


II.
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Projet d'impôt étranger au peuple,
et propre à détruire excès du luxe
et augmenter les finances du trésor,
réservé à acquitter la dette nationale.


      Le luxe: c'est un genre de mal qui ne se doit guérir que de lui-même, par exemple, les goûts exquis qui s'en vont écrasant, renversant tout ce qu'ils rencontrent sous leur passage: un bon impôt sur ce luxe effréné: ah, combien l'humanité applaudirait celui-ci! qu'importe au petit-maître de payer vingt-cinq louis par an le plaisir de se casser le cou ou de se briser quelques membres? Cet impôt n'arrêterait pas les goûts exquis, et si cela était, combien les pauvres piétons béniraient cette révolution humaine; les cabriolets plus modestes, mais qui n'en sont pas moins pernicieux, ne payeraient que la moitié de ce droit.
      Pour les voitures des petites-maitresses, encore un impôt ne leur ferait point de mal, elles n'en seront pas moins triomphantes. Je voudrais que l'on mît, par exemple, un impôt utile sur les bijoux comme sur les modes qui se multiplient du matin au soir, et du soir au matin.
      Un impôt encore aussi sage qu'utile, serait celui qu'on pourrait créer sur la servitude; plus un maitre aurait de valets, plus son impôt serait fort.
      On devrait créer encore un impôt sur le nombre des chevaux, des voitures, des chiffres et armoiries; la voiture simple caractériserait l'homme qui ne pourrait s'en dispenser; le chiffre, le luxe, et les armoiries, l'orgueil; ce qui doit payer davantage que le modeste et l'indispensable.
      Un impôt qui est très-visible et qu'on n'a pas encore aperçu, c'est celui qu'on pourrait mettre sur tous les jeux de Paris, comme Académies, Maisons particulières, Palais des Princes et Seigneurs.
      Si on voulait encore asseoir un impôt sur la peinture et sculpture, il ne serait pas si déplacé.
      Le Peuple ne se fait ni peindre, ni sculpter, ni décorer sés appartements. Un tel impôt ne peut nullement lui nuire, ainsi que tous ceux que je mets sous les yeux du Roi et de la Nation, et qui peuvent ensemble rapporter gros à l'Etat. Sans notions de géométrie et de finances, j'ose garantir, par mon plan, la dette nationale acquittée avant cinq ans révolus, et l'effet fera reconnaître ce que j'avance ici. Peut être serai je assez heureuse pour voir l'accomplissement de mes souhaits; tous mes impôts sont d'une nature à ne révolter personne, excepté les petites-maitresses et les petits-maitres; mais leur fiel n'est pas meurtrier, et le Public applaudira à mes projets.
      Que l'impôt volontaire soit à la tête de ceux que j'indique, et je devance mon époque au moins de quatre années. Nous chanterons ensuite en chorus: Vive la France, vive son Roi, et vive la Patrie.
      Il est reconnu que le luxe, chez tous les Peuples et dans tous les temps, a entraîné la décadence des Etats, la force et le courage des hommes. La France nous offre aujourd'hui ce terrible exemple; quel moyen le gouvernement pourra-t-il trouver pour arrêter ce luxe effréné? Est-ce un Arrêt, est-ce un Edit? Sont-ce les défenses du Parlement qui pourront produire cette sage révolution? Non, ces moyens sont impraticables; mais que le gouvernement, d'accord avec les Parlements, fassent sortir des impôts qui corrigent l'excès du luxe. Si ces impôts n'acquittent pas la dette nationale, le public deviendra plus modéré dans ses caprices déréglés, et les grands seigneurs donneront sans doute les premiers cet exemple; les suites prouveront combien ces impôts deviendraient salutaires. Les besoins de la France se sont multipliés depuis Henri IV; le luxe en a créé une immensité d'inutiles; les fortunes et les revenus se sont-ils augmentés? Et les terres cultivées ont-elles rapporté au taux de toutes les dépenses? C'est ce qu'il faut réduire; et ce n'est point à moi et à mon ignorance à montrer le tableau de cette comparaison. Je ne donne ici qu'une ébauche de mes idées; c'est à la Nation assemblée de savoir si elles méritent d'être approfondies, et si l'on peut faire de cette esquisse un portrait frappant du bien qui peut en résulter. J'ai fait un songe, et à quelques expressions près, je vais le raconter à la Nation. Ce songe, tel bizarre qu'il soit, va lui montrer un cœur véritablement citoyen, et un esprit toujours occupé du bien général. Mon imagination pleine de tous ces projets en faveur de la France, m'a poursuivie jusque dans mon sommeil. Que les Français ne me jugent point sur un songe; qu'ils ne pensent pas que je veuille les endormir par ce genre de composition; mais les fictions que j'ai eues sont tellement frappantes et patriotiques, que je ne peux me dispenser de les rapporter à la fin de ces remarques.
 
 
 
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