BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Hérault de Séchelles

1759 -1794

 

Théorie de l'ambition:

codicille politique et pratique

d'un jeune habitant d'Épône

 

1788

 

Source:

Théorie de l'Ambition

par Hérault de Séchelles

Paris 1788

 

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Préface de l’auteur

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

Chapitre VII

Chapitre VIII

Chapitre IX

Chapitre X

Chapitre XI

 

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Préface de l’auteur

 

En lisant avec une attention particulière les livres des écrivains les plus célèbres, tels que Rousseau, Montesquieu et autres auteurs, Grecs, Latins, etc.; en observant la conduite des grands hommes qui ont étonné le monde, l’instinct des animaux qu’on y rencontre, et le mouvement de toute cette matière; un campagnard, au fond d’un vieux château élevé comme le nid des aigles au-dessus des plaines mantouanes, a été frappé de plusieurs idées nouvelles qui, dans le moment, lui ont paru assez importantes. Il s’est persuadé qu’il avait découvert, perfectionné même dans bien des points, le secret de tant d’honnêtes gens; ce genre de méditation lui a rappelé le moyen qu’employait César, et il a écrit avec bonhomie cette petite Théorie de l’ambition, pour se faire rire tout seul, ou au moins avec un ami qui ne fût pas ambitieux.

 

Fas nihil Graiorum sacrata resolvere jura.

 

Le véritable but de cet ouvrage est dans le paragraphe 6e du chap. IV.

 

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Chapitre premier

Préceptes généraux pour avoir du génie.

 

 

Ier.

 

Crois-toi, connais-toi, respecte-toi. La pratique habituelle de ces trois maximes fait l’homme sain, éclairé, bon et heureux.

 

 

II.

 

Principaux objets d’étude: homme intérieur et extérieur, univers, sciences, lettres, arts, métiers, agriculture, politique.

 

 

III.

 

Qui bene definit et dividit tanquam Deus.

 

 

IV.

 

Fixez l’œil successivement sur un certain nombre d’individus, en commençant par le vôtre, et le prenant pour terme de comparaison; puis cherchez ce qu’ils ont de commun, vous trouverez que ce qui est dans un est par-tout; que tous les composés, vivant les uns des autres, se rencoient sans cesse la matière, les qualités, le mouvement; que tous ces composés, semblables quant à l’espèce, ne diffèrent que par la quantité et la situation de leurs élémens. Par ce procédé, vous acquerrez d’abord la science particulière, puis la science générale. Or, pour le suivre, il suffit de s’abandonner à l’impulsion de l’instinct qui nous porte à commencer par l’analyse, et à finir par la synthèse. Tout homme suivrait cette route, s’il n’était tyrannisé par des maîtres qui, arrivés à cette époque où l’esprit, surchargé de faits, sent le besoin et a la faculté de les réunir en faits analogues, de les classer sous des noms communs pour éviter la confusion et épargner le travail, en négligeant les distinctions inutiles, se mettent entre nous et les objets réels, logent des noms dans notre mémoire, et au lieu des observations que le plaisir et la douleur y déposeraient, transportent à l’enfance la méthode de l’âge mûr, et nous font commencer par où nous devrions finir.

 

 

V.

 

Ainsi, une fois la tête a pris de l’activité, il faut éloigner de soi les raisonnemens (hommes ou livres) s’entourer de praticiens; car un seul homme ne peut pas tout voir; trier leurs observations collectives, et leurs aperçus généraux, les vérifier, les étendre par l’analogie, et vérifier encore.

 

 

VI.

 

Une ménagerie serait une compagnie de bons praticiens, guidés par l’instinct, et qui n’auraient ni le pouvoir, ni le désir de tromper un observateur.

 

 

VII.

 

Tous les individus de l’espèce humaine, et tous ceux doués des mêmes organes que nous, ont à-peu-près les mêmes besoins, les mêmes facultés, les mêmes sentimens. Or, de ces choses communes aux animaux analogues, les unes très-marquées et prédominantes dans un seul homme, composent ce que nous appelons son caractère; les autres, moins sensibles ou plus rares, échappent à la pénétrationet à la sagacité de ceux qui le considèrent; mais ces mêmes choses portées à leur maximum, et prédominantes dans d’autres hommes dont elles composent le caractère, ou dans d’autres espèces d’animaux dont elles constituent l’instinct, redeviennent sensibles, et font d’abord entrevoir, puis voir nettement ces nuances qu’on n’apercevrait pas d’abord. Ainsi l’effigie de chaque homme morcelée, en quelque sorte, et dispersée sur la surface de la terre ne s’achève et ne se complète que par l’observation; il voit dans les autres êtres les diverses portions de son être, et ne se voit en entier que dans le tout.

 

 

VIII.

 

Pour faire des observations exactes et complètes, il faut savoir ce qu’on doit observer, et pour cela construire des tables de ces choses communes à tous les êtres, lesquelles ont une forme particulière dans chaque individu. Nous venons de voir que l’histoire naturelle donnait celle de l’individu. S’il s’agit de relations civiles, domestiques, politiques, nous prendrons un citoyen, nous le rapporterons à tout ce qui l’entoure aux différentes époques de la journée, de l’année, de la vie; nous consulterons les tables que nous aurons construites, des recueils de voyages, des histoires fort détaillées, des ouvrages de politique; et du tout bien analysé et bien classé, nous ferons une table de considérations qui nous montrera l’homme civilisé sous une infinité de faces différentes, et qui pourra nous servir à compléter nos analyses, en nous avertissant si nous avons passé quelque chose.

 

 

IX.

 

Les quatre principaux élémens du génie philosophique sont donc: 1.° observation ou aperçu des différences; 2° généralisation ou aperçu des analogies; 3° limitation ou jalonnement des échelles; 4° application ou détermination des circonstances, dont la combinaison singulière et unique constitue chaque cas particulier.

 

 

X.

 

Tems, lieu, espèce et degré: quadrille qu’on rencontre dans toutes les questions et qui sert à les déterminer.

 

 

XI.

 

Les opposés se succèdent naturellement et nous et hors de nous. Il ne m’est ni utile, ni possible de trouver le pourquoi des phénomènes; ce qui m’importe, c’est de savoir qu’après tel mouvement j’aurai tel autre. Le cercle vicieux est donc le meilleur de tous les raisonnemens.

 

 

XII.

 

La bonne analyse est mère de la bonne composition, et les différences sont la matière de l’analogie; car ce sont précisément les choses différemment observées dans chaque tout, qui, comparées d’un tout à l’autre, sont analogues.

 

 

XIII.

 

Observer en soi les mouvemens, les tendances et les qualités, puis les chercher hors de soi; prolonger les progressions, chercher la raison des phénomènes dans leur maximum, trois grandes clefs.

 

 

XIV.

 

Prenez l’idée de la faiblesse et de la vanité dans une femme.

 

 

XV.

 

Pour bien établir une théorie, il faut toujours pousser l’analyse jusqu’à la première action des passions.

 

 

XVI.

 

Quand il s’agit des espèces, commencez par vous débarrasser du nombre. S’il est question de la quantité, commencez par classer les espèces.

 

 

XVII.

 

L’unité des classifications est d’indiquer les groupes où nous devons chercher les choses déposées dans notre mémoire. Le jallonnement des échelles sert à marquer les limites entre lesquelles il faut chercher une quantité. Ces deux méthodes resserrent le champ du tâtonnement, diminuent l’incertitude et épargent du tems.

 

 

XVIII.

 

Si l’on voulait abréger les recherches difficiles, il faudrait imaginer en métaphysique des signes pour les espèces, comme il en existe en mathématiques pour les quatités.

 

 

XIX.

 

La morale est la science des intentions ou tendances physiques. Elle a donc pour objet les phénomènes de l’attractin et de la répulsion.

 

 

XX.

 

On peut toujours faire d’un axiome spéculatif une règle pratique à l’aide de cette proposition. A telle qualité est attchée telle autre qualité. Voulez-vous l’une des deux, produisez l’autre.

 

 

XXI.

 

Tout individu est le centre de l’univers. Une idée individuelle n’est que la représentation, la copie d’un individu. Toute idée individuelle peut donc être le centre de toutes les autres.

 

 

XXII.

 

Physionomie intellectuelle, ou art de deviner à la première vue d’une proposition quel en sera le produit et la mesure, à quels êtres ou a combien d’êtres pourra convenir la qualité ou le mouvement qu’elle exprime; art plus utile que l’imagination la plus féconde, et qui rend presque inutile cette dernière faculté. Car elle donne pour ma^tres, à celui qui la possède, les hommes les plus grossiers, et tous les cerveaux travaillent uniquement pour son service. La tête d’un pareil physionomiste est aux autres têtes, ce qu’en lui-même sa tête est à son bras.

 

 

XXIII.

 

Une image bien juste est toujours un cas particulier du principe qu’elle est destinée à éclaircir, ou un fait analogue à celui auquel elle est accolée.

 

 

XXIV.

 

Faites toujours l’analyse de l’homme, (sensations, sentimens, facultés intellectuelles) avant que de commencer une recherche, ou de discuter une question, afin de ne point vous méprendre sur le but, l’instrument et le procédé, de bien déterminer la signification des mots et de n’exiger que ce qu’il peut donner.

 

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Chapitre II

Choix des moyens et des circonstances

pour exalter les facultés intellectuelles, soit toutes ensemble,

soit les unes aux dépens des autres.

 

 

Ier.

 

Les cinq appareils du corps humain; savoir, ceux de la respiration, de la circulation, de la digestion, de la génération , de la reflexion, s’échauffent et se refroidissent, se tendent et se détendent, s’emplissent et se vident ensemble. Ainsi, quand on veut échauffer ou refroidir, humecter ou déssecher, emplir ou dégager la tête, il suffit de donner ces qualités au ventre.

 

 

II.

 

Quand la santé est au maximum, il y a plénitude dans les viscères, et spasme dans les solides; la tête s’embarrasse, les trois facultés opèrent avec peine: détendez à l’aide d’une femme, ou par quelque moyen analogue; tout s’amollit et s’assouplit; le cerveau se dégage, la pensée redevient libre et aisée comme la parole, le geste, la démarche, et toutes les opérations extérieures.

 

 

III.

 

Venus sæpe excitata, rarô peracta ingenium acuit.

 

 

IV.

 

Il y a plus, les images voluptueuses dégagent la tête en attirant la vie au centre du corps.

 

 

V.

 

La force cogitative est proportionnelle à la vie (chaleur et mouvement) intérieur, supérieure, inférieure en deçà toutefois du degré où le spasme a lieu.

 

 

VI.

 

Pour bien étudier la nature par ses analogies et ses consonnances, il faut à la vérité l’avoir bien observée, mais il ne faut pas la voir actuellemenet; car tout ce qui tire la chaleur, le mouvement, la sensibilité, la vie du dedans au-dehors, diminue d’autant la force cogitative et évente le génie.

 

 

VII.

 

Les objets extérieurs nuisent à celui qui veut lier les phénomènes et former le système. Au contraire, ils remontent et font penser celui qui a besoin d’archet.

 

 

VIII.

 

Pour détruire cette fixation du mouvement, de la chaleur et des humeurs, qui résulte d’une méditation trop prolongée, et fait qu’un homme rebat toujours le même sujet, rien de mieux que de changer de lieu, d’homme, de choses, d’attitude, etc.

 

 

IX.

 

Pour renouveler la faculté cogitative, comme toute espèce de sensibilité, il faut contraster tout, tems, lieu, hommes, choses, situations, mouvements, qualités, etc.

 

 

X.

 

Courir ou s’apesantir sur les sujets; deux excès qu’il faut également éviter. Le premier rend vague, mobile, superficiel; l’autre étroit, monotone, et ennuyeux. Il faut passer et repasser à plusieurs reprises sur sa matière, en faisant de petites pauses sur chaque partie.

 

 

XI.

 

Le moment du réveil donne le ton à toute la journée pour les qualités du cœur et de l’esprit. Il faut donc commencer la journée par une étude, une composition, un exercice, une action difficiles, afin que malgré le décroissement des facultés qui a lieu à mesure que le soleil descend, et que l’homme se lasse, on soit toujours au niveau de son travail.

 

 

XII.

 

Pour agacer les facultés et les tenir éveillées, il faut sans cesse chercher des ennemis et courir au combat.

 

 

XIII.

 

Mens excitatur ab opposistiss; ergo mulier est plectrum viri. renixus sopitum experge facit intellectum.

 

 

XIV.

 

Ayez une haute idée de vos facultés, et travaillez, vous les triplerez.

 

 

XV.

 

Un livre et un homme même médiocres, sont utiles à un méditatif. Ce sont des prétextes pour penser. De plus, la bêtise rafraîchit l’homme échauffé par le génie ou l’esprit; enfin cette société est saine, parce qu’elle nous fait trouver hors de nous le principe de notre mouvement.

 

 

XVI.

 

On ne fait de grands progrès qu’à l’époque où l’on devient mélancolique, qu’à l’heure où, mécontent d’un monde réel, on est forcé de s’en faire un plus supportable.

 

 

XVII.

 

Il y a , dans les opérations intellectuelles, quelque chose de fortuit pour ceux qui pensent sans méthode; mais celui qui sait choisir le tems et le lieu, suivre un régime approprié aux objets de ses travaux, qui sait se concentrer, isoler sa personne et les objets qu’il veut analyser, qui ne méprise point les petits profits; accumule sou à sou, et s’enrichit insensiblement, devient un Crassus que les hommes regardent les yeux ouverts et la bouche béante.

 

 

XVIII.

 

On se place à la longue, et l’on est placé par le public dans la société intellectuelle qu’on s’est donné.

 

 

XIX.

 

On ne traitera jamais bien un sujet, si l’on n’y a quelque intéret direct ou indirect.

 

 

XX.

 

L’amour-propre piqué ou le dépit, émules évoqués dans le soliloque, grands excitateurs.

 

 

XXI.

 

Pour donner une grande action au cerveau il faut marcher, manger et dormir peu. Pour la ralentir, il faut multiplier et faire durer toutes ces fonctions animales.

 

 

XXII.

 

Le nombre et l’espèce des pensées d’un contemplatif dépendent un peu de la nature et de l’ampleur de ses vêtements. La pensée semble être emprisonnée dans un habit étroit, comme le corps de l’homme vain et esclave de la mode l’est dans le monde qui le comprime. Le génie est plus libre dans u habit flottant; il semble qu’on prenne, quitte et reprenne, touts les préjugés reçus en prenant, quittant et reprenant l’habit taillé par l’opinion.

 

 

XXIII.

 

Les circonstances favorables à l’invention bienfesante, sont le tems qui suit le premier sommeil, celui du réveil complet, celui de l’équilibre entre deux repas, mais principalement celui qui précède le dîner; la convalescence, le lendemain d’une jouissance, la pointe de vin, etc.

 

 

XXIV.

 

Les circonstances favorables à l’invention malfesante, sont l’insomnie, l’ennuie, la fermentation des humeurs, et généralement tout ce qui tend à épaissir les liqueurs et ralentir les mouvemens.

 

 

XXV.

 

Pour bien saisir les différences, il faut refroidir sa tête, et ralentir le mouvement de sa pensée.

 

 

XXVI.

 

Pour bien remarquer les analogies, il faut échauffer sa tête, et accélérer le mouvement de sa pensée.

 

 

XXVII.

 

Or, les choses différentes en chaque individu, étant comparées en des individus différens, paraissent analogues.

 

 

XXVIII.

 

Ainsi pour bien composer, pour bien assembler des choses analogues (êtres ou idées) il faut successivement rallentir et ranimer la pensée, refroidir et rechauffer la tête.

 

 

XXIX.

 

La force et la netteté du jugement sont proportionnelles au degré de pureté d’air et à la quantité qu’on en respire dans un tems donné, sans excès toutefois.

 

 

XXX.

 

Il faut juger ses œuvres dans les époques contraires à l’invention, dans les époques de froideur et de dégoût. Par exemple, dans le cas de la digestion; car si elles paraissent bonnes dans une dispositionoù tout paraît mauvais, et où l’on est porté à tout déprimer, à plus forte raison le paraîtront-elles, dans les momens où le mauvais même paraît bon.

 

 

XXXI.

 

Si l’on veut délasser l’organe de l’invention en conservant cette chaleur et ce mouvement rapide sans lequel l’imagination n’a ni mouvement ni force, il faut promener la pensée sur des sujets faciles, plaisans, légers, puis revenir au genre sérieux et difficile.

 

 

XXXII.

 

La mécanique et la poësie sont fort analogues: elles ont cela de commun qu’elles accoutument l’esprit à se peindre vivement les corps en mouvement.

 

 

XXXIII.

 

La grande invention tue la mémoire naturelle et mécanique, en augmentant la mémoire judicielle et claricative.

 

 

XXXIV.

 

Les idées abordent les premières celui qui se promène le long d’elles sans les chercher; mais elles fuient celui qui les poursuit avec trop d’âpreté.

 

 

XXXV.

 

Pour ne pas oublier une proposition fournie par une autre, il faut la travailler par une action propre de sa tête, et la transformer en lui donnant son propre moule.

 

 

XXXVI.

 

Pour se rappeler aisément ce qu’on a composé et l’écrire avec facilité, repassez trois fois sur la ligne de l’invention.

 

 

XXXVII.

 

On rappelle encore aisément une idée en cherchant l’origine physique de cette idée avec le tems, le lieu et les autres circonstances où on l’a eue pour la première fois. Cette marche donne une mémoire judicielle et inventive, capable de réparer la perte de la mémoire mécanique qui s’affaiblit à mesure que notre matière se sèche et se durcit.

 

 

XXXVIII.

 

Semblable à une jolie femme que l’habitude commençait à nous rendre indifférente et qu’une mode nouvelle rajeunit à nos yeux, une idée que la familiarité commençait à nous faire mépriser et oublier se rencontre et se fait estimer de nous en changeant de forme comme une Cléopâtre, et en nous fesant goûter les plaisir de l’infidélité.

 

 

XXXIX.

 

Souligner ce qu’on veut retenir, ou le distinguer par tout autre moyen de ce qui l’entoure; car les contrastes renouvellent toutes les espèces de sensibilité.

 

 

XL.

 

Attacher les idées importantes aux dix doigts de la main et à leurs phalanges.

 

 

XLI.

 

Ordonnez les choses que vous avez le plus fréquent besoin de vous rappeler, aux choses ou aux personnes que vous aimez, et sur-tout à celles que vous haïssez le plus.

 

 

XLII.

 

Attachez-les à une série d’objets qui se représentent sur votre chemin quand vous allez employer les choses ou traiter avec les personnes.

 

 

XLIII.

 

Pour lier dans sa mémoire les objets qui doivent être rappelés ensemble, il faut fixer son attention sur leur nombre, et l’y graver; car s’il nous échappe quelques-uns de ces objets, avertis par ce nombre, nous ferons nos efforts jusqu’à ce que nous ayons retrouvé le tout, et nous serons certains de n’avoir rien oublié.

 

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Chapitre III

Lecture.

 

 

Ier.

 

Voir plutôt et en moins de tems, ce qu’on aurait vu plus tard, et en beaucoup de tems; jouir en un jour des résultats de l’expérience des nations et des siècles; acquérir une prénotion des objets qu’on doit voir, racapituler ceux qu’on a vus, apprendre à réfléchir un peu plus vite que l’instant seul ne l’enseignerait, devenir d’assez bonne heure prudent et sage; enfin, augmenter son influence sur les autres hommes par une diction tout à-la-fois pleine, bien ordonnée, pure, correcte, fleurie, gracieuse, souple, fine, mâle, noble, élevée, majestueuse, tels sont les principaux avantages qu’on recueille d’une longue familiarité avec les meilleurs écrivains.

 

 

II.

 

Mais l’utilité des livres dépend tellement du choix qu’on en peut faire, que tel érudit plein de mots et de sciences étrangères, en sait moins à trente ans, qu’il n’en eût appris s’il se fût contenté de parcourir le monde, ses cinq sens ouverts aux impres­sions} en se jettant à droite, à gauche, et sautant d’objet en objet avec une curiosité d’enfant, pour jouir de la variété des êtres, sans prétention et sans songer à s’instruire.

 

 

III.

 

Or, la nature même qui donne aux enfans le goût des contes et des historiettes; aux jeunes gens qui ont passé l’époque de la puberté, la soif des romans, des relations de voyages et de batailles; aux hommes faits, une prédilection pour les ouvrages pensés, et aux vieillards une inclination pour les livres de religion, avec le besoin de publier le livre de leur vie (première, seconde, troisième édition) la nature, en donnant au premier âge de l’homme le désir de savoir les nouvelles du pays où il est entré; au second, le besoin d’y jouer un rôle actif, de s’étendre, et de se mul­tiplier par toutes ses facultés; au troisième, celui de commander, enfin au dernier, celui de recouvrer, par l’estime, la force qu’il a perdue, et de s’appuyer au bord de l’abîme sur l’espoir d’une meilleure vie: cette nature, dis-je, n’inspire aux différens âges ces désirs variés analogues aux facultés qu’elle leur donne, ou qu’elle leur laisse, que pour les avertir qu’ils doivent transporter en représentation dans leurs bibliothèques les objets qu’elle leur fait aimer à ces différentes époques, afin d’employer le plus souvent, le plus agréablement, le plus utilement qu’il est possible les instrumens qu’elle met dans nos mains tour-à-tour.

 

 

IV.

 

La même distribution conviendra aux quatre tempérament aux tems, aux lieux qui répondent par leurs qualités aux quatre âges de l’homme.

 

 

V.

 

Mais ce n’est pas assez de savoir choisir les livres, il faut encore en déterminer la quantité, se bien placer, profiter de ses momens, faire naître les dispositions, ralentir et accélérer alternativement le mouvement de sa pensée, jouer tour-à-tour le rôle actif et le rôle passif, enfin, savoir se passer de livres.

 

 

VI.

 

Je penserais d’abord avec Platon, Cicéron, Bacon, Buffon, qu’il faut profiter de la chaleur et de l’avide curiosité du premier âge, pour se jeter à corps perdu dans toutes sortes de genres. Cette marche vagabonde a ses avantages. En dévorant ainsi chaque jour un aliment nouveau, l’appétit se soutient, tout se digère et s’assimile. La mémoire se meuble sans efforts; elle devient un tableau riche et varié comme celui dont elle est la copie, et un vaste magasin d’analogies où puise l’imagination qui, sûre de ne point manquer, se renforce et s’enrichit encore par le sentiment de son opulence. Le jugement à qui rien n’est étranger, saisit sans peine les nuances délicates, tout l’entendement s’assouplit par l’adversité des opérations. La tête n’est point sujette à ces fixations qui font exceller un homme étroit dans un coin du monde scientifique, espèce de folie qu’on prend pour du génie. Ainsi préparé, l’homme qui se destine à la recherche des lois universelles a des droits réels au domaine dont il a visité une partie et effleuré l’autre. Au centre de ses états, il attend paisiblement l’idée lumineuse qui doit éclairer cette portion qu’il n’a qu’entrevue, et dès qu’elle brille, il voit le tout.

 

 

VII.

 

Un autre avantage qu’on trouve dans ces études variées, c’est de se tâter en différentes attitudes, et de reconnaître son genre. Remarquons celui sur lequel nous rabattons dans les momens de tiédeur, de dégoût, de découragement; celui que nous cultivons avec une sorte de complaisance et toujours avec plaisir; ce genre est le nôtre. Car dans le physique, le moral, l’intellectuel, le plaisir continu est le signe de la santé, de la vertu et de la sagesse.

 

 

VIII.

 

Il semble, au premier coup-d’œil, que cette manière d’étudier ne puisse produire qu’une science vague et confuse. Ne craignez rien; plus tard tout s’arrangera, tout prendra une place, une mesure, car ce même instinct qui porte une ame active à se jeter tout entière d’un même côtés à son premier essai, lui montre aussi les qualités et les facultés qui lui ont manqué, et lui donne le besoin de les acquérir pour se completter.

 

 

IX.

 

Ainsi, après avoir passé la première partie de la vie à faire des acquisitions et à s’assortir, on passera l’autre à les distribuer, en variant ces dons, suivant les facultés et le caractère dont on est pourvu.

 

 

X.

 

On y parviendra en fixant son œil sur les hommes, sur les choses et sur les livres qui les représentent; en diminuant de plus en plus le nombre d’objets que l’on considère, en arrêtant sa vue par degrés sur un genre, sur un livre, un chapitre, un paragraphe, une ligne, un mot.

 

 

XI.

 

Il y a plus. Il faut écarter de sa vue les livres et les papiers qui ne sont point de notre objet actuel; car l’attention est en raison composée de l’isolement du contemplatif, de celui de l’objet qu’il étudie, de la passion avec laquelle il le considère.

 

 

XII.

 

A l’âge où la mémoire a sa mesure, une bonne ligne lue en un jour instruit plus que le livre entier dont elle fait partie; car si l’on a toujours été occupé de son objet dans ces deux cas, on a été dans le premier inventeur et maître, et dans le second disciple et manoeuvre.

 

 

XIII.

 

Une preuve qu’il faut fixer sa vue sur un livre pour avoir droit de dire, je l’ai lu, c’est que de deux ou trois mille volumes qu’un Lettré mobile peut avoir lus, il ne lui reste guères plus qu’à un marquis français des pays sur lesquels il a glissé en chaise de poste.

 

 

XIV.

 

On ne peut pas dire qu’on ait lu un auteur à moins qu’on ne se rappelle ses principales idées, son plan et son but.

 

 

XV.

 

Au-delà d’un certain point, l’esprit humain hait la nécessité, et le lecteur esclave ne vaut pas mieux que l’esclave citoyen. Pour se faire un esprit généreux, il ne faut être esclave que de soi-même, ou tout au plus se contraindre un instant, afin de mieux goûter la liberté. Ainsi on mettra sous ses yeux deux livres à-la-fois et de genre opposé. Par exemple, s’il s’agit du genre agréable, un livre de mathématique, et vice versa. Ou s’il est question d’un genre difficile, on joindra à celui qu’on veut lire avec soin un livre encore plus difficile. On commencera par le livre accessoire pour mettre sa tête en mouvement, et monter ses facultés par la contradiction; puis on attendra que la tête se reporte d’elle-même sur le livre principal, et on y reviendra de toute sa force.

 

 

XVI.

 

Ce que nous disons ici de la lecture peut s’appliquer à la composition.

 

 

XVII.

 

Le bon moment pour lire comme pour composer, est celui où l’on a le ton et le mouvement de son sujet, on peut se donner l’un et l’autre soit à l’aide d’un autre livre, soit par la réflexion.

 

 

XVIII.

 

Quelque soit le mouvement de la pensée à l’époque où l’on est arrivé, il faut lire toute espèce de livres de deux manières différentes. D’abord rapidement, soit pour saisir facilement l’intention et le plan, soit pour jouir des beautés du style. (Car on ne goûte pas plus les belles compositions en épluchant tous les mots, qu’on ne jouit de la beauté d’une femme en l’analysant une loupe à la main.) Puis lentement, pour saisir les nuances, remarquer les défauts, et surpasser l’auteur.

 

 

XIX.

 

Il y a aussi deux différent degrés de vitesse pour les genres opposés.

 

 

XX.

 

Lisez rapidement les livres poétiques ou oratoires, mais lentement les livres analytiques et raisonnés; car les livres d’imagination ne peuvent être composés que dans les circonstances où la tête est très-échauffée, et la pensée très-rapide. Les livres de raisonnement ne peuvent être bien exécutés que dans les tems où la tête est froide et la pensée lente. Or, pour sentir et pour concevoir des livres aussi bien que l’auteur, outre un certain degré de familiarité avec le sujet, il faut encore donner à sa tête le même degré de vitesse qu’avait celle de l’auteur au moment de la composition.

 

 

XXI.

 

Jusqu’ici nous n’avons été que passifs, devenons actifs.

 

 

XXII.

 

Pour bien entendre un livre philosophique, l’évaluer et en profiter, il faut attaquer la langue de l’auteur, et se procurer son vocabulaire, supposé qu’il en ait un, en cherchant la signification qu’il donne à ses mots habituels dans les différens lieux où il les place; puis remonter à l’origine physique de chaque mot, considéré [soit] (1) comme signe conventionnel des sensations qu’il représente; grande clef. Car une langue n’est qu’un assemblage plus ou moins régulier de noms, de sensations éprouvées, observées, comparées ou combinées, ou de comparaisons et de combinaisons de ces premières comparaisons ou combinaisons, et ainsi de suite à mesure que les sensations deviennent plus nombreuses et les signes plus généraux.

 

 

(1): Ce mot inutile indique peut-être un second membre de phrase biffé sur les épreuves du Codicile.

 

 

XXIII.

 

Se faire une loi de ne lire aucun membre de phrase, ou au moins aucune phrase, sans y mettre une action de sa tête.

 

 

XXIV.

 

Généralisez les bons aperçus par l’analogie, ruinez les mauvais par les différences; le livre lu, vous en saurez plus que l’auteur.

 

 

XXV.

 

Ne le quittez pas que vous ne l’ayez tué par agrandissement, ou par la double exclusion de son but et de ses moyens, ou par la découverte de ses plus secrètes intentions, et la révélation des ruses de son amourpropre.

 

 

XXVI.

 

Avec ces précautions, on trouvera dans les livres autre chose que des noms d’êtres inconnus. Mais de tous les livres, le plus ancien, le mieux pensé, le mieux écrit, le plus clair, le plus lisible, c’est le monde; livre dont la table, le premier et le dernier chapitre doivent être l’homme, qui doit être l’instrument et le but, le principe et la fin de tous les nôtres; car encore faut-il voir quelque chose. La science d’un homme qui n’est instruit que par les livres, est une espèce de foi composée d’un petit nombre de vérités et de beaucoup de mensonges.

 

 

XXVII.

 

Oui. Mais nous n’en conclurons pas avec Rousseau, que tous les livres, hors les siens, ne sont bons à rien. La science d’un homme est très-peu de chose, et si chacun était réduit à tout tirer de lui-même, ce serait toujours à recommencer. Il est certain qu’un vieillard peut épargner à la jeunesse bien des sottises et des pas inutiles; mais comment résistera-t-il à la démangeaison d’instruire? Rassemblera-t-il dans la vallée de Josaphat tous les hommes de tous les tems? Non: il se multipliera et s’éternisera lui-même à l’aide des caractères typographiques. Sa voix grossie et prolongée par les livres, franchissant les limites du tems et de l’espace, tonnera d’un âge et d’un pôle à l’autre contre le fanatisme et la tyrannie, et le genre humain sera libre et éclairé s’il veut l’être.

 

 

XXVIII.

 

Enfin, si nous savons lire, nous apprendrons, par un bon livre, ce que notre tempérament, notre situation, et la distance des lieux nous eût toujours empêché de savoir; car il nous suffira de comparer les parties de ce livre qui nous sont bien familières, avec ce que nous avons vu et voyons encore nous-mêmes; et s’il se trouve que l’auteur ait toujours voulu ou pu dire la vérité, nous pourrons nous en rapporter à lui sur les choses que la nature et la fortune ont mis pour toujours hors de notre portée.

 

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Chapitre IV

Caractère.

 

 

I.er.

 

Quelque plan de sagesse qu’on puisse former, en quelque lieu qu’on aille se cacher, on ne peut éviter d’être entraîné par la folie, flétri par l’opinion, heurté par la violence, enlacé par la ruse, calomnié par l’envie, raillé par les femmes d’un sexe ou de l’autre, emmailloté par des tyrans stupides, mais qui sont quelquefois respectables dans l’ordre de la nature et de la société. Ainsi gardons-nous d’éteindre en nous la soif de l’immortalité. Autant souffrir glorieusement dans un grand cercle, que d’être percé de mille aiguilles dans un coin obscur de cette terre.

 

 

II.

 

Se transporter dans le passé, s’élancer dans l’avenir, sentir et penser en tous lieux, cette triple e.t vaste existence vaut bien l’étroit sentiment qui enchaîne un avare ou un voluptueux au fugitif objet de ses espérances et le tient accroupi sur un point du tems et de l’espace. Comme la lumière qui jaillit d’un corps embrasé pâlit en s’éloignant de sa source, et s’affaiblit en proportion de l’espace qu’elle emplit, le sentiment de la douleur semble s’affaiblir en divergeant du foyer, et se raréfier en proportion du nombre d’êtres qui en sont les objets. L’homme souffrant sent peu à peu ses maux s’adoucir à mesure que, s’éloignant de lui-même, et s’étendant sur tout ce qui respire, il agrandit la sphère de ses sentimens et de ses pensées. Animé d’une ambition bienfesante, toujours en action, il fournit sa carrière d’un pas uniforme, ses jours sont pleins, tout vit de sa vie, et il commande au moins à une partie de ses ennemis en les punissant par des bienfaits.

 

 

III.

 

Bien étudier son fort et son faible, faire par soi-même tout ce qu’on peut bien faire, et faire par un autre tout ce qu’on ferait mal, et qu’il peut faire mieux que nous, après avoir bien reconnu s’il est notre ami de cœur ou d’intérêt.

 

 

IV.

 

Babil et constance, deux choses incompatibles. Ruminez, digérez vos projets en silence, afin que l’éruption soit en acte; car si elle est en parole, le vent emportera votre volonté avec elle. Tout projet élégamment babillé ne sera pas exécuté.

 

 

V.

 

Les gens qui font métier d’avoir de l’esprit, n’ont pas le courage de conserver leurs projets jusqu’au tems marqué pour l’exécution. Ils vont et viennent brûlans de montrer leurs fécondités. Semblables aux femmes ils laissent d’abord voir qu’ils ont un secret qui leur pèse et se vantent de ce poids. On les contredit, on les raille, et bientôt tout est évaporé. Amen, amen dico vobis recepers6nt mercedem suam.

 

 

VI.

 

Voulez-vous maintenir votre caractère à la même température, garantir vos résolutions des vicissitudes de la chaleur et des mouvements alternatifs de votre sang, méditez bien vos résolutions pour le présent et pour l’avenir; écrivez-les en style simple et précis, puis allez de suite, agissant à l’heure marquée.

 

 

VII.

 

Un grand but est un sua sol. Il détruit ces vacillations causées par les révolutions diurnes et annuelles du soleil, et tient notre rayon visuel attaché sur le même rhumb, fixe la girouette humaine, et l’empêche de parcourir en entier l’horizon de nos vains désirs. Mais cette fixité est dangereuse avant l’âge de 30 ans; car pour reconnaître son but, il faut en avoir manqué plus d’un.

 

 

VIII.

 

La force habituelle de l’ame est en raison composée de la directe, du nombre, de la force physique et morale, de la proximité des ennemis qu’on surmonte habituellement sans exaltation, ou par lesquels on est vaincu sans dépit, et de l’inverse des armes que la fortune nous a mises entre les mains.

 

 

IX.

 

Pour se préserver de l’aigreur, du dépit et de la haine, il faut contracter l’habitude d’abaisser un regard spéculatif sur les événemens humains, l’enjouement et les petits dépits de notre espèce. Voit-on l’horloger s’irriter contre une montre dérangée? le médecin contre son malade? le peintre contre ses modèles?

 

 

X.

 

Audace froide, résultat des calculs. Pour retrouver son courage au besoin, il ne faut arrêter les projets qui demandent de la fermeté, que dans ces momens de tiédeur où l’on sent une supériorité de raison sur ses ennemis. Si votre héroïsme est étayé par une passion, cette passion ôtée, que deviendrez-vous?

 

 

XI.

 

Voulez-vous être et paraître géant de cœur et d’esprit, placez-vous toujours dans un grand cercle. (Temps, lieux, hommes et choses). Les hommes, en dépit de l’envie qui les ronge, ne demandent pas mieux que de trouver dans les autres la grandeur qu’ils ne sentent pas en eux-mêmes.

 

 

XII.

 

Chaque homme communique mécaniquement ses talens et ses défauts, ses vices et ses vertus par l’énergie de cet instinct qui nous force à imiter tout ce qui frappe nos sens, notre cœur, notre esprit, et même ce que nous méprisons.

 

 

XIII.

 

Ainsi fuir le petit et chercher le grand.

 

 

XIV.

 

Opiniâtreté et solitude, deux principes d’originalité.

 

 

XV.

 

La société guérit de l’orgueil, et la solitude de la vanité.

 

 

XVI.

 

Quand un souci parasite s’empare de votre cœur, détendez-vous, laissez-vous aller jusqu’à l’indolence; puis l’œil sur le but, remontez par une secousse.

 

 

XVII.

 

La présence de la force amie rend fort; de la force ennemie rend faible; de la faiblesse amie rend bon; de la faiblesse ennemie rend orgueilleux.

 

 

XVIII.

 

Exclure tant qu’on peut de la société les gens à personnalités; ils habituent à les rendre, et rétrécissent l’ame, ou du moins ne les fréquenter que par un acte positif de sa volonté.

 

 

XIX.

 

L’homme n’est grand qu’en proportion de l’estime continue qu’il a pour lui-même. Ainsi évitez les rôles inférieurs et la compagnie des gens méprisables: ces dédaigneux finissent par se faire croire.

 

 

XX.

 

Mettre en sa main tous les moyens possibles de faire le mal, afin de n’en plus sentir le besoin, de se rendre courageux, serein, doux et bienfaisant par le sentiment de sa puissance.

 

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Chapitre V

Connoissance des hommes.

 

 

Ier.

 

Marcher, parler, agir vite, trouver les analogies, les expédient les remèdes, signe de caractère expansif.

 

 

II.

 

Marcher, parler, agir lentement, trouver les différences, les inconvénient les abus, signe de caractère contractif.

 

 

III.

 

Céder quand on a l’avantage physique ou moral, signe de générosité.

 

 

IV.

 

Abuser de son avantage et écraser le vaincu, signe de lâcheté.

 

 

V.

 

On devine le caractère d’un homme par les choses qu’il blâme ou approuve habituellement.

 

 

VI.

 

Par les expressions, les tours, les comparaisons, les termes qu’un homme emploie quand il ne s’écoute pas, on peut deviner sa profession, ses inclinations, ses habitudes, ses goûts secrets, et les images déposées dans le lieu le plus reculé de sa mémoire.

 

 

VII .

 

On peut juger le naturel d’un homme par les saisons, les lieux, les alimens, les exercices du corps et de l’esprit et les sociétés qu’il préfère; par ses songes les plus fréquens et ses incommodités habituelles.

 

 

VIII.

 

La clef de la voix dans l’échelle musicale, répond à la clef du caractère dans l’échelle morale.

 

 

IX.

 

Les femmes dominent plus les hommes vains que les hommes orgueilleux. Ceux-ci n’ont besoin que d’une femme, et cela de temps en temps. Ceux-là ont toujours besoin d’être préférés et sur-tout de le paraître.

 

 

X.

 

Dépits fréquent signes de caractère vain. Ce sentiment est la colère de la vanité; il est propre au femmes et aux hommes féminins; il enfante les petites et les grandes atrocités.

 

 

XI.

 

Il faut distinguer avec soin le cerveau femelle du cerveau mâle. Le premier est une sorte de matrice, il reçoit et il rend; mais il ne produit pas.

 

 

XII.

 

Grande mémoire et fréquens éloges, signes du premier. Mémoire faible et fréquentes négations accompagnées d’explications et de conseils, signes du second.

 

 

XIII.

 

Vous connaîtrez la stature philosophique d’un homme, par la grandeur des masses qu’il embrasse habituellement; il y a pinces et poignées, Briarées et Ragotins.

 

 

XIV.

 

Mettre des allonges à une vérité, n’est pas dire du neuf; c’est un signe de médiocrité. Vous mettez la vérité au point; ils l’outrent, et croient vous passer en facultés, quand ils vous passent en dimensions.

 

 

XV.

 

Œil fixe; pensées et volonté fixes.

 

 

XVI.

 

Œil mobile; pensées et volonté mobiles.

 

 

XVII.

 

Rayon visuel descendant; signe de caractère fier, dédaigneux, emporté.

 

 

XVIII.

 

Rayon visuel ascendant; signe de caractère timide, humble, caché.

 

 

XIX.

 

Rayon horizontal; signe d’un caractère égal, constant, sociable; signe d’une arne républicaine.

 

 

XX.

 

Voix double; caractère double.

 

 

XXI.

 

Tel le tissu de la peau; tel le tissu des opinions et du style.

 

 

XXII.

 

Le caractère d’un homme a ordinairement les mêmes qualités que sa matière en repos ou en mouvement.

 

 

XXIII.

 

Mouvemens vifs, brusques, entrecoupés, saccadés, irréguliers; signe d’un naturel ardent, sensible, colérique.

 

 

XXIV.

 

Mouvemens d’une vitesse moyenne et circulaire; signe d’un caractère doux, aimant, sensible avec modération.

 

 

XXV.

 

En comparant la forme, la couleur, la physionomie, le cri, l’allure, et pour tout dire, les qualités sensibles et les mouve­mens d’un homme avec les qualités sensibles des animaux, on peut, par le naturel connu de ceux-ci, découvrir le naturel caché des premiers.

 

 

XXVI.

 

Exemple: le cri du paon et le bruit qu’il fait avec ses pieds pour se faire regarder,

 

ressemble beaucoup aux grands éclats de voix et au bruit que font en s’annonçant les gens qui aiment à s’étaler et à occuper d’eux.

 

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Chapitre VI

Plan d’action.

 

 

Ier.

 

Bien déterminer ce qu’il y a de singulier et d’individuel dans l’ensemble des circonstances de la vie, et calquer son plan de gloire sur cet ensemble afin de ne pouvoir être imité par ses émules.

 

 

II.

 

Il ne s’agit pas d’être modeste, mais d’être le premier.

 

 

III.

 

Modestie fière, orgueil timide, deux grandes machines dans l’action et le discours.

 

 

IV.

 

Tenir ses rivaux entre l’espérance et la crainte.

 

 

V.

 

Se tenir à califouchon sur les deux partis opposés. Point de bannière, de peur de se couper en deux et de faire les seconds rôles.

 

 

VI.

 

Comme il y a chien et chat dans chaque secte, il faut être alternativement chien avec les chats, et chat avec les chiens.

 

 

VII.

 

Faire à son début quelque chose de grand, ou au moins d’étonnant, de peur que la première idée ne soit la dernière.

 

 

VIII.

 

Il faudrait que les politiques vécussent à la campagne comme les anciens Romains; ils y apprendraient l’art d’entendre et de se taire, double science que le fracas des villes fait oublier, et qu’on rapprend machinalement en observant la marche lente, graduee, uniforme et silencieuse de la nature.

 

 

IX.

 

Où la femme domine seule, il n’y a point d’ordre moral; où l’homme règne seul, il n’y a point d’ordre physique.

 

 

X.

 

Envelopper les fourbes dans leurs propres filetsX ne ruser que dans la forme, tenir registre des ruses qui auront réussi.

 

 

XI.

 

Pour nuire invisiblement à un homme de beaucoup d’esprit qui a le cœur mauvais, amenez les discours et les situations où peuvent être mis en évidence les vices et les travers qui le feront le plus détester.

 

 

XII.

 

Récapituler en se couchant toutes les opérations de la journée pour fondre le codicile dans sa substance et se l’assimiler.

 

 

XIII.

 

Il s’agit moins d’agencer des phrases pour convaincre et persuader, que de placer ses machines dans les sentimens et les idées de ceux qui nous entendent. Dans le premier cas ils pourraient se défier des beaux discours, au lieu que dans le second, ils voudront mécaniquement ce que vous voudrez, et croiront vous commander en vous obéissant.

 

 

XIV.

 

Pour déterminer facilement les autres hommes avec les seuls instrumens naturels, il faut de bonne heure donner de la force et de la souplesse à sa voix, à son regard, à sa physionomie, à toute son action, afin de faire avancer ou reculer à son gré les marionnettes.

 

 

XV.

 

Donnez-vous à l’extérieur toutes les qualités sensibles qui accompagnent ordinairement les passions et les idées que vous voulez faire naître dans les autres, et souvenezvous que le mouvement est le moyen le plus efficace et le plus général.

 

 

XVI.

 

En fait de mesure, le vif l’emporte sur le lent; mais ils influent tous deux l’un sur l’autre.

 

 

XVII.

 

Marchez un peu pour augmenter l’impetus du génie et du courage.

 

 

XVIII

 

L’impétus ou l’abandon plein et entier est le secret de la force du corps et de l’ame.

 

 

XIX.

 

Si tu doutes, ne t’expose pas. Lance toi au moment où tu te crois presque certain de réussir.

 

 

XX.

 

Aller à ses adversaires, y aller vite, y aller après avoir feint de les craindre, les lasser par une patiente activité; quadruple ressource de César.

 

 

XXI.

 

Art d’agir avec des mots, ridicule proverbe, puissance de nomenclature.

 

 

XXII.

 

Se faire pardonner son mérite par la simplicité de ses manières et autres petits désavantages.

 

 

XXIII.

 

Supposer aux autres verbalement et avec un air de confiance, les vertus dont on a besoin en eux, afin qu’ils se les donnent au moins en apparence et pour le moment.

 

 

XXIV.

 

Effrontés personnages, excellens en second. Laisser tomber des papiers pour faire courir des nouvelles; se multiplier et s’étendre par le moyen des chercheurs curieux et indiscrets.

 

 

XXV.

 

Se consoler du mal réel par un bonheur idéal; se réfugier de son cœur, dans sa tête.

 

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Chapitre VII

Conversation.

 

 

Ier.

 

Si vous voulez savoir le secret de quelqu’un, jasez vous même beaucoup, l’œil fixé sur la chose que vous voulez taire, en vous laissant aller sur le reste. Mettez votre homme en colère, par l’apparence du mépris ou de l’indifférence; jetez lui des éloges à la tête, de votre part ou de celle des autres; faites vous même des confidences peu importantes; annoncez une bonne nouvelle, profitez d’un moment de joie, vous le jeterez de dedans en dehors et il s’éventera.

 

 

II.

 

Couper la parole brusquement et faire une question imprévue, simple, courte et claire dont la réponse soit oui ou non: excellent moyen pour savoir la vérité.

 

 

III.

 

La grande vivacité et l’étourderie avec laquelle on se jette à la tête d’un homme froid, fait du tort dans son esprit, et le fait se replier sur lui-même. Il faut l’aborder avec un air encore plus froid et plus réservé que le sien, s’échauffer peu-à-peu, et accélérer graduellement le mouvement de sa parole; enfin le démonter en le menant au galop; allure à laquelle il n’est pas habitué

 

 

IV.

 

Le babillard qui laisse éventer son secret est un sot. Le taciturne qui, à force de se taire rend les autres discrets, l’est un peu moins; le babillard discret qui ne tait que son secret, recueille le bien d’autrui, en gardant le sien.

 

 

V.

 

Ne jamais parler de soi et de ses affaires sans nécessité, et mettre tant qu’on peut les autres sur le tapis.

 

 

VI.

 

Faire dire par les autres le mal qu’on pense de ses ennemis, en les louant des qualités voisines de leurs défauts et de leurs vices.

 

 

VII.

 

Ne jamais parler le premier, si ce n’est de la santé, de la pluie et du beau temps.

 

 

VIII.

 

Avant que de parler, il faut se recueillir un instant, afin de se bien mettre en scène, c’est-à-dire afin de fixer l’œil alternativement sur le but probable de l’interlocuteurs et sur le sien propre; à-peu-près comme au jeu de dames, on s’occupe d’abord des coups à parer, puis des coups à faire.

 

 

IX.

 

Quand on a en tête de ces gens agressifs dont la conversation est un tissu de personnalités, ne se jamais mettre sur la défensive, mais toujours porter la botte au corps, leur faire dire leur catéchisme en les pressant de questions sur les objets qui leur sont le moins familiers, et dont ils se piquent pourtant.

 

 

X.

 

Veux-tu surmonter en apparence l’homme qui parle bien, ne parle pas, ou ne parle que du visage.

 

 

XI.

 

Dans les discours d’action, il faut éviter le style littéraire dont on se défie, et être fin en style sévère.

 

 

XII.

 

Quand on veut émouvoir fortement, lendre son homme malade, fou, et l’enlacer par la parole d’honneur, ou par un écrit, il faut contraster fortement, brusquement et fréquemment.

 

 

XIII.

 

Veut-on s’insinuer, et rendre la persuasion durable, il faut employer des mouvemens plus lents, plus doux, moins fréquens; en un mot mettre de l’harmonie dans la forme et le fonds.

 

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Chapitre VIII

Forme des livres.

 

 

Ier.

 

Faire la charpente ou le squelette de son sujet, avant que d’écrire de plein vol; c’est-à-dire, ordonner les propositions générales, puis ébrancher à l’aide d une composition numérique.

 

 

II.

 

Entamer tout livre. ou mémoire dont le but doit être visible, en montrant clairement de quoi il s’agit.

 

 

III.

 

Faire mentalement ou par écrit la table de son sujet, avant que de le traiter, afin d’en prévoir l’étendue; c’est-à-dire, faire un dénombrement des circonstances dont les combinaisons variées donnent les cas particuliers qu’on doit parcourir.

 

 

IV.

 

On peut donner à une composition philosophique ces différentes formes: 1° Dialogues; 2° mettre les préceptes en exemple dans un récit historique, romanesque ou poétique; 3.° mettre les exemples en représentation sur la scène; 4° discours continu, préceptes, exemples; 5° assertions, preuves, objections, réponses et répliques; 6° faire dans la première partie la description exacte des faits qui établissent l’assertion avancée; tirer dans la seconde les inductions générales, et mettre dans la troisième les résultats d’action ou applications; 7° choisir une progression naturelle pour la suivre depuis le commencement jusqu’à la fin: telle que la vie d’un homme, d’un peuple, l’année, le jour, etc.; 8° aphorismes, observations rédigées sur des titres collectifs; 9° tables.

 

 

V.

 

L’ordre soulage la mémoire, détruit l’irrésolution, donne de l’audace et raffermit la marche de l’écrivain.

 

 

VI.

 

Pour donner de la base à une composition, il faut pousser l’analyse jusqu’à ce qu’on arrive aux choses simples métaphysiquement, puis distribuer.

 

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Chapitre IX

Style des livres et des discours publics.

 

 

Ier.

 

Progression oratoire, timidité apparente en commençant, laquelle vienne se fondre peu-à-peu dans une noble assurance, et se terminer par une orgueilleuse timidité.

 

 

II.

 

Le maxima du style didactique est de mettre dans la même période la proposition à établir, sa preuve, l’objection la plus forte et la réponse.

 

 

III.

 

Mettre dans toutes les phrases qui expriment quelque vérité importante, une forme générale pour tous les peuples, de tous les tems, de tous les lieux, et une forme singulière pour le peuple ou l’individu présent.

 

 

IV.

 

Commencez par l’idée générale pour donner au style de la pompe et de la magnificence; puis développez élégamment, à l’aide d’exemples bien choisis. Enfin une queue proverbiale dans le genre noble ou badin.

 

 

V.

 

Commencer par les fonnes paradoxales pour étonner l’auditeur, et le forcer d’écouter, puis développer peu-à-peu et finir par l’extrême clarté.

 

 

VI.

 

L’homme, vu son orgueil et sa vanité, ne veut point être convaincu, mais persuadé. Aussi les meilleures expressions sont celles qui, ayant la vérité pour base, expriment une passion ou lm mouvement physique, parce que l’orateur a l’air d’être maîtrisé pal les choses mêmes, et non de vouloir maîtriser l’auditeur.

 

 

VII.

 

Pour écrire dans le ton et le style dont on a besoin, il faut, par des réminiscences, se donner la disposition de cœur et d’esprit à laquelle ce style et ce ton conviennent.

 

 

VIII.

 

On peut encore demander le ton et le mouvement de son style à un livre.

 

 

IX.

 

Mais il faut tremper hardiment sa plume dans le cornet, soit que pensant à soi-même on ait le sentiment de sa force, soit qu’animé par la passion, on ait cette hardiesse mécanique qui donne un cœur et une imagination exaltée.

 

 

X.

 

Pour s’exercer à écrire d’une manière variée, énoncer une pensée juste sous tous les tons et dans tous les styles en parcourallt tous les degrés de la double échelle morale.

 

 

XI.

 

Il faut choisir, pour peindre les sensations agréables, les instans où le désir étant très-vif et les obstacles très-grands, la privation est très-sentie; et pour peindre les sensations désagréables, les momens de crainte vlve.

 

 

XII.

 

Le style mélancolique est plus attachant que le style gai. Pourquoi?

 

 

XIII.

 

Place de la phrase relative à ce qui précède, àce qui suit, au paragraphe, au chapitre, à la section, à l’ouvrage entier, etc., l’œil sur le tout, en arrière et en avant.

 

 

XIV.

 

Remarquons les expressions, les tours, les mouvemens les plus heureux que nous inspirent les passions; tâchons de les tourner en habitude, afin de faire dans nos pires momens, ce que nos émules ne peuvent faire que dans leurs meilleurs momens.

 

 

XV.

 

Graduer pour se faire aimer, et produire une longue persuasion; contraster pour se faire craindre, et déterminer promptement.

 

 

XVI.

 

Pour faire du style mélancolique, s’occuper des tristes destinées de l’homme, et méditer sur la vanité de ses espérances, la réalité de ses maux, la faiblesse de sa puissance et cette solitude où retombe toujours une ame aimante et élevée après de vains essais.

 

 

XVII.

 

Toutes les fois qu’un homme qui n’est pas actuellement gêné par les circonstances n’a pas le style d’accord avec son caractère d’action, son ton, son geste et son extérieur, c’est un écrivain copiant, un animal d’habitude.

 

 

XVIII.

 

Pour se faire valoir, il faut remarquer les endroits où l’on fait le mieux, chercher à quoi cela tient, et faire de ce pourquoi, une règle sans se nommer.

 

 

XIX.

 

Graver l’idée fâcheuse par le plus de répétitions possible, en la faisant reparaître comme sujet, comme attribut, comme adjectif, comme adverbe, etc.

 

 

XX.

 

Outrez une vertu, un sentiment, une idée, un air, un ton, un geste, une expression, et rendez votre homme géant ou magot, vous le rendrez ridicule.

 

 

XXI.

 

Ne jamais s’aparesser en travaillant, et toutes les fois qu’un mieux se présente dans l’ensemble ou les détails d’un ouvrage, renoncer au bien et se saisir du mieux.

 

 

XXII.

 

Promesses gascones: éclats de voix et de style.

 

 

XXIII.

 

Transitions passionnées, interrogations, apostrophes, etc., toutes choses qui rapprochent le style didactique du style dramatique, et lui donnent de la vie.

 

 

XXIV.

 

Aller toujours au but dans chaque membre de la phrase.

 

 

XXV.

 

Machines du style: rapprochement contrastes, gradations, conglobations.

 

 

XXVI.

 

Style aigu, hait; style doux, aime; style élevé, admire.

 

 

XXVII.

 

Style, fils de renvois gradués de la tête au cœur.

 

 

XXVIII.

 

Contracter l’habitude de se représenter la règle, et d’exécuter en la voyant; de faire, de sang-froid, du style admiratif, indigné, compatissant, pleureur, naïf.

 

 

XXIX.

 

Il faut d’abord tâcher de connaître le dictionnaire et le répertoire de ses auditeurs; et, comme tout se ressemble, puiser les exemples, les figures, les mouvement les termes dans l’ordre des choses qu’ils connaissent le mieux.

 

 

XXX.

 

Le fonds d’un écrivain n’étant pas le même que celui d’un autre, il ne faut pas rapporter leur style à la même mesure.

 

 

XXXI.

 

Des exemples jeunes et femelles feront aimer les préceptes.

 

 

XXXII.

 

Le meilleur style est celui qui fait supposer dans l’écrivain la force d’arne, les douces affections et des vues élevées.

 

 

XXXIII.

 

Les grands et fréquens mouvemens du pathétique font aimer et mépriser un peu l’orateur; le style grave et monotone est celui du commandement, et impose le respect.

 

 

XXXIV.

 

Un proverbe n’est que la traduction d’une expression générale, en langue vulgaire, à l’aide de termes particuliers et fort connus.

 

 

XXXV.

 

Puiser dans les sources basses pour se rendre clair, dans les sources moyennes pour se faire aimer, dans les sources élevées pour se faire admirer.

 

 

XXXVI.

 

Les sources basses sont: artisan, paysan, marchand; moyennes: les arts, l’histoire, les conditions nobles: élevées: les sciences, astronomie, rapports généraux et communs, grandes dimensions.

 

 

XXXVII.

 

La grandeur d’une idée vient de la grandeur physique de l’objet dont cette idée est la représentation: l’expression se proportionne naturellement aux idées qu’elle exprime; ainsi, il faut meubler sa mémoire d’objets grands physiquement.

 

 

XXXVIII.

 

Les tableaux et les mouvemens tirés de la famille sont les meilleurs, parce qu’ils sont communs dans une assemblée nombreuse.

 

 

XXXIX.

 

Pour exciter une forte pitié en faveur de son client, il faut commencer par exciter l’indignation contre ses ennemis; car la commisération est l’effet d’un mouvement expansif moindre que celui de la colère: l’on revient aisément du dernier au premier.

 

 

XL.

 

L’imprévu est la base du style dans tous les genres.

 

 

XLI.

 

Rien de plus oratoire que de demander le consentement de l’auditeur, d’un style et d’un ton plaintif; cette manière le rend sot et facile.

 

 

XLII.

 

Citer peu et fondre toujours la citation dans le discours, de peur d’en couper le fil et de le refroidir.

 

 

XLIII.

 

Se rendre si familier avec sa matière, qu’on puisse la traiter en se jouant: musique du style.

 

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Chapitre X

Charlatanisme.

 

 

Ier.

 

Faire le petit et le gros public capitaine d’un grand lieutenant.

 

 

II.

 

Se faire le second de beaucoup de gens, le premier de tous les absens, et le second de tous les présens.

 

 

III.

 

Se louer d’un ton plaintif et indigné, comme si l’on y était forcé par l’injustice de ses ennemis.

 

 

IV.

 

Avouer de soi un petit défaut qui tienne à une qualité fort estimée.

 

 

V.

 

Louer ses interlocuteurs sur les choses dont ils se piquent le plus, pour se faire passer les éloges qu’on fera de soi.

 

 

VI.

 

Dire à beaucoup de gens qu’on a de la réputation: ils le répéteront, et ces répétitions feront réputation.

 

 

VII.

 

Donner toujours, et sut-tout aux femmes, une haute idée de soi par des mots tiers.

 

 

VIII.

 

Parler d’un air dégagé des grands objets et des grands hommes; prendre toujours, ne fut-ce qu’indirectement, ses avantages sur quelqu’un: art de se réhabiliter en remontrant toujours sa belle moitié.

 

 

IX.

 

Donner un grand nombre de définitions du génie, il y a du profit.

 

 

X.

 

Louer ceux de nos émules que nous avons surpassés.

 

 

XI.

 

Prendre sur le fait les grands hommes anciens et modernes, montrer leurs machines, leurs contradictions, le pourquoi, le comment de leur grandeur apparente, pour déttruire le merveilleux, et se faire croire plus grand qu’eux.

 

 

XII.

 

Porter la botte à une masse d’ennemis; vous aurez un air de hardiesse quoiqu’il y ait moins de danger.

 

 

XIII.

 

Louer un homme entre deux blâmes, pour faire ressortir la critique par le contraste.

 

 

XIV.

 

Louer un homme avec emphase, en lui accordant le moindre de ses talens pour le limiter, et faire croire qu’il n’a que celui-là.

 

 

XV.

 

Celui qui, ayant mis en sa main l’instrument universel, s’occuperait chaque année d’un nouveau genre, et continuerait ainsi pendant vingt-cinq ans, passerait pour les avoir possédés tous à la fois.

 

 

XVI.

 

Mettre dans ses livres et dans sa conversation des problèmes, sans en donner la solution; les logogriphes, sans en donner le mot, afin de se faire demander et de fixer l’attention sur l’auteur; car on se rappelle aisément le nom des lieux où l’on s’est arrêté malgré soi.

 

 

XVII.

 

Se ménager une porte de derrière dans ses énumérations, en disant: les principaux élémens, les principales causes sont, etc.; au lieu de dire les élémens, les causes sont, etc.

 

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Chapitre XI

Logique des contractifs.

 

 

Ier.

 

Anatomiser un homme à l’aide des moyens du quatrième chapitre, et déterminer ses élémens par les moyens de la table des époques.

 

 

II.

 

Ne point se mettre sur la défensive quand on est attqué; mais toujours la botte au corps, soit dans la parole, soit dans l’acion.

 

 

III.

 

Traiter son adversaire avec les plus grands égards, l’excuser, l’encourager, le conseiller, le tancer d’un air de supériorité, employer tour-à-tour le ton respectueux, amical, ironique, méprisant, froid, humain, raisonnable, léger, patriotique, plaintif, simple, naïf, etc.

 

 

IV.

 

Renverser ses majeures en accumulant les exceptions, c’est-à-dire, des faits en sens contraire, et en profitant de cette partie de l’opinion publique qui fait préjugé contre lui.

 

 

V.

 

Ajouter à ces preuves, à ces objections, et à ses réponses, d’autres preuves, d’autres objections, d’autres réponses en plus grand nombre, pour faire voir qu’il n’a presque rien vu dans le sujet.

 

 

VI.

 

S’attaquer tantôt aux qualités morales, tantôt aux facultés intellectuelles; lui refuser, en chaque lieu du sujet, la faculté dont il se pique, en lui accordant celle dont il rougirait, en sorte que tout compensé il ne lui reste rien.

 

 

VII.

 

Montrer les différences qu’il n’a pas saisies dans les faits et dans les circonstances.

 

 

VIII.

 

Faire semblant d’abord de lui donner raison, puis le renverser.

 

 

IX.

 

Faire deux aveux, soit en donnant à son adversaire bonne part dans ses confessions, soit en s’attribuant un défaut estimé, et en lui faisant cadeau d’une vertu baffouée.

 

 

X.

 

Tirer de ses majeures des conséquences absurdes ou ridicules, par forme de concession.

 

 

XI.

 

Choisir des faits et des exemples dans les défauts personnels et actuels de l’adversaire, et avec précaution, dans ses défauts naturels, soit pour appuyer la proposition qu’on a établie, soit pour ridiculiser celle de l’adversaire.

 

 

XII.

 

Charger sa majeure et ses exemples de ses conséquences; charger ses propositions particulières en les généralisant.

 

 

XIII.

 

Nier par une proposition contraire ou contradictoire, une proposition qui n’est pas exceptive.

 

 

XIV.

 

Eplucher ses expressions et montrer qu’il ne sait pas écrire.

 

 

XV.

 

Lâcher un reproche, en faisant semblant de l’épargner.

 

 

XVI.

 

Saisir le faible de son adversaire, et avoir toujours l’œil dessus.

 

 

XVII.

 

Discuter ses autorités, prouver qu’il cite faux, qu’il tronque les passages, ne les comprend pas, tord les faits.

 

 

XVIII.

 

Outrer l’analyse, multiplier les divisions et les distinctions inutiles.

 

 

XIX.

 

Le jeter dans le pryrrhonisme, en montrant qu’il n’a rien démontré, ce qui est toujours facile, vu que les preuves ne sont que des analogies, et qu’il ne résulte d’un bon sillogisme qu’une probabilité.

 

 

XX.

 

L’égarer dans les questions de la liberté morale et dans le progrès de l’infini.

 

 

XXI.

 

Prouver que son opinion tient à quelque système odieux, en avertissant qu’il ne s’en est pas aperçu.

 

 

XXII.

 

Enoncer le problème sous forme interrogante, et le poser de manière qu’il soit résolu par le seul énoncé; ce qui sera facile en généralisant un exemple où l’adversaire ait tort.

 

 

XXIII.

 

Déterminer ce qui est vague, et confondre ce qui est distinct.

 

 

XXIV.

 

Se pavaner dans toutes les parties qui manquent à l’adversaire, et se faire plus grand que lui dans les parties même où il paraît exceller.

 

 

XXV.

 

Attaquer d’abord son but; puis prouver que, son but fût-il bon, ses moyens seraient mauvais.

 

 

XXVI.

 

Chercher son faible, son ridicule et le peindre à l’aide d’images et de mouvemens pris dans la classe d’animaux ou d’hommes méprisés, à laquelle ses discours ou ses actions se rapportent.