BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Pierre Jean de Béranger

1780 - 1857

 

Chansons 1815 - 1829

 

Tome II

 

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LA  REVERIE

 

Loin d'une iris volage

Qu'un seigneur m'enlevait,

Au printemps, sous l'ombrage,

Un jour mon coeur rêvait.

5

Privé d'une infidèle,

Il rêvait qu'une autre belle

Volait à mon secours.

Venez, venez, venez, mes amours!

 

Cette belle était tendre,

10

Tendre et fière à-la-fois;

Il me semblait l'entendre

Soupirer dans les bois.

C'était une princesse

Qui respirait la tendresse

15

Loin de l'éclat des cours.

Venez, venez, venez, mes amours!

 

Je l'entendais se plaindre

Du poids de la grandeur.

Cessant de me contraindre,

20

Je lui peins mon ardeur.

Mes yeux versent des larmes,

Ravis de voir tant de charmes

Sous de si beaux atours.

Venez, venez, venez, mes amours!

 

25

Telle était la merveille

Dont je flattais mes sens,

Quand soudain mon oreille

S'ouvre aux plus doux accents.

Si c'est vous, ma princesse,

30

Des roses de la tendresse

Venez semer mes jours.

Venez, venez, venez, mes amours!

 

Mais non, c'est la coquette

Du village voisin,

35

Qui m'offre une conquête

En corset de basn.

Grandeurs, je vous oublie!

Cette fille est si jolie!

Ses jupons sont si courts!

40

Venez, venez, venez, mes amours!

 

 

BRENNUS  OU

VIGNE  DANS  GAULES

 

Brennus disait aux bons gaulois:

Célébrez un triomphe insigne!

Les champs de Rome ont payé mes exploits,

Et j'en rapporte un cep de vigne.

5

Grace à la vigne, unissons pour toujours

L'honneur, les arts, la gloire et les amours.

 

Privés de son jus tout-puissant,

Nous avons vaincu pour en boire.

Sur nos coteaux que le pampre naissant

10

Serve à couronner la victoire.

Grace à la vigne, unissons pour toujours

L'honneur, les arts, la gloire et les amours.

 

Un jour, par ce raisin vermeil,

Des peuples vous serez l'envie.

15

Dans son nectar plein des feux du soleil,

Tous les arts puiseront la vie.

Grace à la vigne, unissons pour toujours

L'honneur, les arts, la gloire et les amours.

 

Quittant nos bords favorisés,

20

Mille vaisseaux iront sur l'onde,

Chargés de vins et de fleurs pavoisés,

Porter la joie autour du monde.

Grace à la vigne, unissons pour toujours

L'honneur, les arts, la gloire et les amours.

 

25

Femmes, nos maîtres absolus,

Vous qui préparez nos armures,

Que sa liqueur soit un baume de plus

Versé par vous sur nos blessures.

Grace à la vigne, unissons pour toujours

30

L'honneur, les arts, la gloire et les amours.

 

Soyons unis, et nos voisins

Apprendront qu'en des jours d'alarmes

Le faible appui que l'on donne aux raisins

Peut vaincre à défaut d'autres armes.

35

Grace à la vigne, unissons pour toujours

L'honneur, les arts, la gloire et les amours.

 

Bacchus, d'embellir ses destins

Un peuple hospitalier te prie.

Fais qu'un proscrit, assis à nos festins,

40

Oublie un moment sa patrie.

Grace à la vigne, unissons pour toujours

L'honneur, les arts, la gloire et les amours.

 

Brennus alors bénit les cieux,

Creuse la terre avec sa lance,

45

Plante la vigne, et les gaulois joyeux

Dans l'avenir ont vu la France.

Grace à la vigne, unissons pour toujours

L'honneur, les arts, la gloire et les amours.

 

 

LES  CLEFS

DU  PARADIS

 

Saint Pierre perdit l'autre jour

Les clefs du céleste séjour.

(L'histoire est vraiment singulière!)

C'est Margot qui, passant par là,

5

Dans son gousset les lui vola.

«Je vais, Margot,

Passer pour un nigaud;

Rendez-moi mes clefs,» disait Saint Pierre.

 

Margoton, sans perdre de temps,

10

Ouvre le ciel à deux battants.

(L'histoire est vraiment singulière!)

Dévots fieffés, pécheurs maudits,

Entrent ensemble en paradis.

«Je vais, Margot,

15

Passer pour un nigaud;

Rendez-moi mes clefs,» disait Saint Pierre.

 

On voit arriver en chantant

Un turc, un juif, un protestant;

(L'histoire est vraiment singulière!)

20

Puis un pape, l'honneur du corps,

Qui, sans Margot, restait dehors.

«Je vais, Margot,

Passer pour un nigaud;

Rendez-moi mes clefs,» disait Saint Pierre.

 

25

Des jésuites, que Margoton

Voit à regret dans ce canton,

(L'histoire est vraiment singulière!)

Sans bruit, à force d'avancer,

Près des anges vont se placer.

30

«Je vais, Margot,

Passer pour un nigaud;

Rendez-moi mes clefs,» disait Saint Pierre.

 

En vain un fou crie, en entrant,

Que Dieu doit être intolérant;

35

(L'histoire est vraiment singulière!)

Satan lui-même est bien venu:

La belle en fait un saint cornu.

«Je vais, Margot,

Passer pour un nigaud;

40

Rendez-moi mes clefs,» disait Saint Pierre.

 

Dieu, qui pardonne à Lucifer,

Par décret supprime l'enfer.

(L'histoire est vraiment singulière!)

La douceur va tout convertir:

45

On n'aura personne à rôtir.

«Je vais, Margot,

Passer pour un nigaud;

Rendez-moi mes clefs,» disait Saint Pierre.

 

Le paradis devient gaillard,

50

Et Pierre en veut avoir sa part.

(L'histoire est vraiment singulière!)

Pour venger ceux qu'il a damnés,

On lui ferme la porte au nez.

«Je vais, Margot,

55

Passer pour un nigaud;

Rendez-moi mes clefs,» disait Saint Pierre.

 

 

SI  J'ETAIS

PETIT  OISEAU

 

 

Moi qui, même auprès des belles,

Voudrais vivre en passager,

Que je porte envie aux ailes

De l'oiseau vif et léger!

5

Combien d'espace il visite!

À voltiger tout l'invite:

L'air est doux, le ciel est beau.

Je volerais vite, vite, vite,

Si j'étais petit oiseau.

 

10

C'est alors que Philomèle

M'enseignant ses plus doux sons,

J'irais de la pastourelle

Accompagner les chansons.

Puis j'irais charmer l'ermite

15

Qui, sans vendre l'eau bénite,

Donne aux pauvres son manteau.

Je volerais vite, vite, vite,

Si j'étais petit oiseau.

 

Puis j'irais dans le bocage,

20

Où des buveurs en gaîté,

Attendris par mon ramage,

Ne boiraient qu'à la beauté.

Puis ma chanson favorite

Aux guerriers qu'on déshérite

25

Ferait chérir le hameau.

Je volerais vite, vite, vite,

Si j'étais petit oiseau.

 

Puis j'irais sur les tourelles

Où sont de pauvres captifs,

30

En leur cachant bien mes ailes,

Former des accords plaintifs.

L'un sourit à ma visite;

L'autre rêve, dans son gîte,

Aux champs où fut son berceau.

35

Je volerais vite, vite, vite,

Si j'étais petit oiseau.

 

Puis, voulant rendre sensible

Un roi qui fuirait l'ennui,

Sur un olivier paisible

40

J'irais chanter près de lui.

Puis j'irais jusqu'où s'abrite

Quelque famille proscrite,

Porter de l'arbre un rameau.

Je volerais vite, vite, vite,

45

Si j'étais petit oiseau.

 

Puis, jusques où naît l'aurore,

Vous, méchants, je vous fuirais,

À moins que l'amour encore

Ne me surprît dans ses rets.

50

Que, sur un sein qu'il agite,

Ce chasseur que nul n'évite

Me dresse un piège nouveau,

J'y volerais vite, vite, vite,

Si j'étais petit oiseau.

 

 

LE  BON  VIEILLARD

 

Joyeux enfants, vous que Bacchus rassemble,

Par vos chansons, vous m'attirez ici.

Je suis bien vieux; mais en vain ma voix tremble:

Accueillez-moi, j'aime à chanter aussi.

5

Du temps passé j'apporte des nouvelles;

J'ai bu jadis avec le bon Panard.

Amis du vin, de la gloire et des belles,

Daignez sourire aux chansons d'un vieillard.

 

De me fêter, hé quoi, chacun s'empresse!

10

À ma santé coule un vin généreux.

Ce doux accueil enhardit ma vieillesse:

Je crains toujours d'attrister les heureux.

Que les plaisirs vous couvrent de leurs ailes;

Avec le temps vous compterez plus tard.

15

Amis du vin, de la gloire et des belles,

Daignez sourire aux chansons d'un vieillard.

 

Ainsi que vous j'ai vécu de caresses;

Vos grand'mamans diraient si je leur plus.

J'eus des châteaux, des amis, des maîtresses;

20

Amis, châteaux, maîtresses, ne sont plus.

Les souvenirs me sont restés fidèles;

Aussi parfois je soupire à l'écart.

Amis du vin, de la gloire et des belles,

Daignez sourire aux chansons d'un vieillard.

 

25

Dans nos discords j'ai fait plus d'un naufrage,

Sans fuir jamais la France et son doux ciel.

Au peu de vin que m'a laissé l'orage,

L'orgueil blessé ne mêle point de fiel.

J'ai chanté même aux vendanges nouvelles,

30

Sur des coteaux dont j'eus long-temps ma part.

Amis du vin, de la gloire et des belles,

Daignez sourire aux chansons d'un vieillard.

 

Vieux compagnon des guerriers d'un autre âge,

Comme Nestor je ne vous parle pas.

35

De tous les jours où brilla mon courage

J'achèterais un jour de vos combats.

Je l'avoûrai, vos palmes immortelles

M'ont rendu cher un nouvel étendard

Amis du vin, de la gloire et des belles,

40

Daignez sourire aux chansons d'un vieillard.

 

Sur vos vertus quel avenir se fonde!

Enfants, buvons à mes derniers amours.

La liberté va rajeunir le monde;

Sur mon tombeau brilleront d'heureux jours.

45

D'un beau printemps, aimables hirondelles,

J'ai pour vous voir différé mon départ.

Amis du vin, de la gloire et des belles,

Daignez sourire aux chansons d'un vieillard.

 

 

QU'ELLE  EST  JOLIE!

 

Grands dieux! Combien elle est jolie

Celle que j'aimerai toujours!

Dans leur douce mélancolie

Ses yeux font rêver aux amours.

5

Du plus beau souffle de la vie

À l'animer le ciel se plaît.

Grands dieux! Combien elle est jolie!

Et moi, je suis, je suis si laid!

 

Grands dieux, combien elle est jolie!

10

Elle compte au plus vingt printemps.

Sa bouche est fraîche épanouie;

Ses cheveux sont blonds et flottants.

Par mille talents embellie,

Seule elle ignore ce qu'elle est.

15

Grands dieux! Combien elle est jolie!

Et moi, je suis, je suis si laid!

 

Grands dieux! Combien elle est jolie!

Et cependant j'en suis aimé.

J'ai dû long-temps porter envie

20

Aux traits dont le sexe est charmé.

Avant qu'elle enchantât ma vie,

Devant moi l'amour s'envolait.

Grands dieux! Combien elle est jolie!

Et moi, je suis, je suis si laid!

 

25

Grands dieux! Combien elle est jolie!

Et pour moi ses feux sont constants.

La guirlande qu'elle a cueillie

Ceint mon front chauve avant trente ans.

Voiles qui parez mon amie,

30

Tombez; mon triomphe est complet.

Grands dieux! Combien elle est jolie!

Et moi, je suis, je suis si laid!

 

 

L'AVEUGLE

DE  BAGNOLET

 

 

À Bagnolet j'ai vu naguère

Certain vieillard toujours content.

Aveugle il revint de la guerre,

Et pauvre il mendie en chantant.

5

Sur sa vielle il redit sans cesse:

«Aux gens de plaisir je m'adresse.

Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît.»

Et de lui donner l'on s'empresse.

«Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît,

10

À l'aveugle de Bagnolet.»

 

Il a pour guide une fillette;

Et, près d'aimables étourdis,

À la contre-danse il répète:

«Comme vous j'ai dansé jadis.

15

Vous qui pressez avec ivresse

La main de plus d'une maîtresse,

Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît:

J'ai bien employé ma jeunesse.

Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît,

20

À l'aveugle de Bagnolet.»

 

Il dit aux dames de la ville

Qu'il trouve à de gais rendez-vous:

«Avec Babet, dans cet asile,

Combien j'ai ri de son époux!

25

Belles, qu'une ombre épaisse attire,

Là contre l'hymen tout conspire.

Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît;

Les maris me font toujours rire.

Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît,

30

À l'aveugle de Bagnolet.»

 

S'il parle à de certaines filles

Dont il fit long-temps ses amours:

«Ah! Leur dit-il, toujours gentilles,

Aimez bien et plaisez toujours.

35

Pour toucher la prude inhumaine,

Trop souvent ma prière est vaine.

Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît;

Refuser vous fait tant de peine!

Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît,

40

À l'aveugle de Bagnolet.»

 

Mais aux buveurs sous la tonnelle

Il dit: «Songez bien qu'ici-bas,

Même quand la vendange est belle,

Le pauvre ne vendange pas.

45

Bons vivants que met en goguette

Le vin d'une vieille feuillette,

Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît;

Je me régale de piquette.

Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît,

50

À l'aveugle de Bagnolet.»

 

D'autres buveurs, francs militaires,

Chantent l'amour à pleine voix,

Ou gaîment rapprochent leurs verres

Au souvenir de leurs exploits.

55

Il leur dit, ému jusqu'aux larmes:

«De l'amitié goûtez les charmes.

Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît;

Comme vous j'ai porté les armes!

Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît,

60

À l'aveugle de Bagnolet.»

 

Faut-il enfin que je le dise?

On le voit, pour son intérêt,

Moins à la porte de l'église

Qu'à la porte du cabaret.

65

Pour ceux que le plaisir couronne,

J'entends sa vielle qui résonne:

«Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît;

Le plaisir rend l'ame si bonne!

Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît,

70

À l'aveugle de Bagnolet.»

 

 

LE  PRINCE

DE  NAVARRE

 

Quoi! Tu veux régner sur la France!

Es-tu fou, pauvre Mathurin?

N'échange point ton indigence

Contre tout l'or d'un souverain.

5

Sur un trône l'ennui se carre,

Fier d'être encensé par des sots.

Croyez-moi, prince de Navarre,

Prince, faites-nous des sabots.

 

Des leçons que le malheur donne,

10

Tu n'as donc point tiré de fruit.

Réclamerais-tu la couronne,

Si le malheur t'avait instruit?

Cette ambition n'est point rare,

Même ailleurs que chez les héros.

15

Croyez-moi, prince de Navarre,

Prince, faites-nous des sabots.

 

Dans le rang que toi-même espères,

Trompés par des flatteurs câlins,

Que de rois se disent les pères

20

D'enfants qui se croient orphelins!

Régner, c'est n'être point avare

De lois, de rubans, de grands mots.

Croyez-moi, prince de Navarre,

Prince, faites-nous des sabots.

 

25

Quand tu combattrais avec gloire,

Sache que plus d'un conquérant

Se voit arracher la victoire

Par un général ignorant.

Un anglais, aidé d'un tartare,

30

Foule aux pieds de nobles drapeaux.

Croyez-moi, prince de Navarre,

Prince, faites-nous des sabots.

 

Combien d'agens illégitimes

Servent la légitimité!

35

Trop tard sur les malheurs de Nîmes

On éclairerait ta bonté.

Le roi qu'au pont-neuf on répare

Parle en vain pour les huguenots.

Croyez-moi, prince de Navarre,

40

Prince, faites-nous des sabots.

 

De tes maux quel serait le terme,

Si quelques alliés sans foi

Prétendaient que tu tiens à ferme

Le trône que tu dis à toi?

45

De jour en jour leur ligue avare

Augmenterait le prix des baux.

Croyez-moi, prince de Navarre,

Prince, faites-nous des sabots.

 

Enfin pourrais-tu sans scrupule,

50

Graissant la pate au saint-esprit,

Faire un concordat ridicule

Avec ton père en Jésus-Christ?

Pour lui redorer sa tiare,

Tu nous surchargerais d'impôts.

55

Croyez-moi, prince de Navarre,

Prince, faites-nous des sabots.

 

D'ailleurs ton métier nous arrange:

Nos amis nous ont fait capot.

C'est pour que l'étranger la mange

60

Que nous mettons la poule au pot.

De nos souliers même on s'empare

Après avoir pris nos manteaux.

Croyez-moi, prince de Navarre,

Prince, faites-nous des sabots.

 

 

LA  MORT  SUBITE

Couplets pour un dîner.

 

Mes amis, j'accours au plus vite,

Car vous ne pardonneriez pas,

À moins, dit-on, de mort subite,

De manquer à ce gai repas.

5

En vain l'amour qui me lutine

Pour m'arrêter tente un effort;

Avec vous il faut que je dîne:

Mes amis, je ne suis pas mort.

 

Mais bien souvent, quoiqu'heureux d'être,

10

On meurt sans s'en apercevoir.

Ah! Mon dieu! Je suis mort peut-être;

C'est ce qu'il est urgent de voir.

Je me tâte comme sosie;

Je ris, je mange, et je bois fort.

15

Ah! Je me connais à la vie:

Mes amis, je ne suis pas mort.

 

Si j'allais, couronné de lierre,

Ici fermer les yeux soudain;

En chantant, remplissez mon verre,

20

Et de vos mains pressez ma main.

Si Bacchus, dont je suis l'apôtre,

Ne m'inspire un joyeux transport,

Si ma main ne serre la vôtre,

Adieu, mes amis, je suis mort!

 

 

LES  CINQUANTE  ECUS

 

Grace à Dieu je suis héritier!

Le métier

De rentier

Me sied et m'enchante.

5

Travailler serait un abus;

J'ai cinquante écus,

J'ai cinquante écus,

J'ai cinquante écus de rente.

 

Mes amis, la terre est à moi.

10

J'ai de quoi

Vivre en roi

Si l'éclat me tente.

Les honneurs me sont dévolus;

J'ai cinquante écus,

15

J'ai cinquante écus,

J'ai cinquante écus de rente.

 

Pour user des droits d'un richard,

Sans retard

Sur un char

20

De forme élégante,

Fuyons mes créanciers confus.

J'ai cinquante écus,

J'ai cinquante écus,

J'ai cinquante écus de rente.

 

25

Adieu Surène et ses coteaux!

Le bordeaux,

Le mursaulx,

L'aï que l'on chante,

Vont donc enfin m'être connus.

30

J'ai cinquante écus,

J'ai cinquante écus,

J'ai cinquante écus de rente.

 

Parez-vous, Lise, mes amours,

Des atours

35

Que toujours

La richesse invente;

Le clinquant ne vous convient plus:

J'ai cinquante écus,

J'ai cinquante écus,

40

J'ai cinquante écus de rente.

 

Pour mes hôtes vous que je prends,

Amis francs,

Vieux parents,

Soeur jeune et fringante,

45

Soyez logés, nourris, vêtus;

J'ai cinquante écus,

J'ai cinquante écus,

J'ai cinquante écus de rente.

 

Amis, bons vins, loisirs, amours,

50

Pour huit jours

Des plus courts

Comblez mon attente;

Le fonds suivra les revenus.

J'ai cinquante écus,

55

J'ai cinquante écus,

J'ai cinquante écus de rente.

 

 

LE  CARNAVAL

DE  1818

 

On crie à la ville, à la cour:

Ah! Qu'il est court! Ah! Qu'il est court!

 

Des veuves, des filles, des femmes,

Tu dois craindre les épigrammes;

5

Carnaval dont chacun pâtit,

Dis-nous qui t'a fait si petit.

Carnaval, ah! Comment nos belles

T'accueilleront-elles?

 

On crie à la ville, à la cour:

10

Ah! Qu'il est court! Ah! Qu'il est court!

 

Chez nous quand si peu tu demeures,

Des prières de quarante heures

Les heures qu'on retranchera

Sont tout ce qu'on y gagnera.

15

Carnaval, ah! Comment nos belles

T'accueilleront-elles?

 

On crie à la ville, à la cour:

Ah! Qu'il est court! Ah! Qu'il est court!

 

Vendu sans doute au ministère,

20

Tu ne viens qu'afin qu'on t'enterre,

Quand sur toi nous avions compté

Pour quelques jours de liberté.

Carnaval, ah! Comment nos belles

T'accueilleront-elles?

 

25

On crie à la ville, à la cour:

Ah! Qu'il est court! Ah! Qu'il est court!

 

Des ministres, oui, je le gage,

À la chambre, on te croit l'ouvrage;

Et contre eux enfin déclaré,

30

Le ventre même a murmuré.

Carnaval, ah! Comment nos belles

T'accueilleront-elles?

 

On crie à la ville, à la cour:

Ah! Qu'il est court! Ah! Qu'il est court!

 

35

Dis-moi, ta maigreur sans égale

Est-elle une leçon morale

Que chez nous, en venant dîner,

Wellington veut encor donner?

Carnaval, ah! Comment nos belles

40

T'accueilleront-elles?

 

On crie à la ville, à la cour:

Ah! Qu'il est court! Ah! Qu'il est court!

 

En France on vit de sacrifice;

Aurait-on craint que la police,

45

Toujours prête à nous égayer,

N'eût trop de masques à payer?

Carnaval, ah! Comment nos belles

T'accueilleront-elles?

 

On crie à la ville, à la cour:

50

Ah! Qu'il est court! Ah! Qu'il est court!

 

 

LE  RETOUR

DANS  LA  PATRIE

 

Qu'il va lentement le navire

À qui j'ai confié mon sort!

Au rivage où mon coeur aspire,

Qu'il est lent à trouver un port!

5

France adorée!

Douce contrée!

Mes yeux cent fois ont cru te découvrir.

Qu'un vent rapide

Soudain nous guide

10

Aux bords sacrés où je reviens mourir.

Mais enfin le matelot crie:

Terre! Terre! Là-bas, voyez!

Ah! Tous mes maux sont oubliés.

Salut à ma patrie!

 

15

Oui, voilà les rives de France;

Oui, voilà le port vaste et sûr,

Voisin des champs où mon enfance

S'écoula sous un chaume obscur.

France adorée!

20

Douce contrée!

Après vingt ans enfin je te revois;

De mon village

Je vois la plage,

Je vois fumer la cime de nos toits.

25

Combien mon ame est attendrie!

Là furent mes premiers amours;

Là ma mère m'attend toujours.

Salut à ma patrie!

 

Loin de mon berceau, jeune encore,

30

L'inconstance emporta mes pas,

Jusqu'au sein des mers où l'aurore

Sourit aux plus riches climats.

France adorée!

Douce contrée!

35

Dieu te devait leurs fécondes chaleurs.

Toute l'année

Là brille ornée

De fleurs, de fruits, et de fruits et de fleurs.

Mais là, ma jeunesse flétrie

40

Rêvait à des climats plus chers;

Là, je regrettais nos hivers.

Salut à ma patrie!

 

J'ai pu me faire une famille,

Et des trésors m'étaient promis.

45

Sous un ciel où le sang pétille,

À mes voeux l'amour fut soumis.

France adorée!

Douce contrée!

Que de plaisirs quittés pour te revoir!

50

Mais sans jeunesse,

Mais sans richesse,

Si d'être aimé je dois perdre l'espoir;

De mes amours dans la prairie,

Les souvenirs seront présents;

55

C'est du soleil pour mes vieux ans.

Salut à ma patrie!

 

Poussé chez des peuples sauvages

Qui m'offraient de régner sur eux,

J'ai su défendre leurs rivages

60

Contre des ennemis nombreux.

France adorée!

Douce contrée!

Tes champs alors gémissaient envahis.

Puissance et gloire,

65

Cris de victoire,

Rien n'étouffa la voix de mon pays.

De tout quitter mon coeur me prie:

Je reviens pauvre, mais constant.

Une bêche est là qui m'attend.

70

Salut à ma patrie!

 

Au bruit des transports d'alégresse,

Enfin le navire entre au port.

Dans cette barque où l'on se presse

Hâtons-nous d'atteindre le bord.

75

France adorée!

Douce contrée!

Puissent tes fils te revoir ainsi tous!

Enfin, j'arrive,

Et sur la rive

80

Je rends au ciel, je rends grace à genoux.

Je t'embrasse, ô terre chérie!

Dieu! Qu'un exilé doit souffrir!

Moi, désormais je puis mourir.

Salut à ma patrie!

 

 

LE  VENTRU

Compte rendu de la session

de 1818 aux électeurs du

département de... par M.

 

Électeurs de ma province,

Il faut que vous sachiez tous

Ce que j'ai fait pour le prince,

Pour la patrie et pour vous.

5

L'état n'a point dépéri:

Je reviens gras et fleuri.

Quels dînés,

Quels dînés

Les ministres m'ont donnés!

10

Oh! Que j'ai fait de bons dînés!

 

Au ventre toujours fidèle,

J'ai pris, suivant ma leçon,

Place à dix pas de Villèle,

À quinze de D'Argenson;

15

Car dans ce ventre étoffé

Je suis entré tout truffé.

Quels dînés,

Quels dînés

Les ministres m'ont donnés!

20

Oh! Que j'ai fait de bons dînés!

 

Comme il faut au ministère

Des gens qui parlent toujours

Et hurlent pour faire taire

Ceux qui font de bons discours,

25

J'ai parlé, parlé, parlé;

J'ai hurlé, hurlé, hurlé.

Quels dînés,

Quels dînés

Les ministres m'ont donnés!

30

Oh! Que j'ai fait de bons dînés!

 

Si la presse a des entraves,

C'est que je l'avais promis;

Si j'ai bien parlé des braves,

C'est qu'on me l'avait permis.

35

J'aurais voté dans un jour

Dix fois contre et dix fois pour.

Quels dînés,

Quels dînés

Les ministres m'ont donnés!

40

Oh! Que j'ai fait de bons dînés!

 

J'ai repoussé les enquêtes,

Afin de plaire à la cour;

J'ai, sur toutes les requêtes,

Demandé l'ordre du jour.

45

Au nom du roi, par mes cris,

J'ai rebanni les proscrits.

Quels dînés,

Quels dînés

Les ministres m'ont donnés!

50

Oh! Que j'ai fait de bons dînés!

 

Des dépenses de police

J'ai prouvé l'utilité;

Et non moins français qu'un suisse,

Pour les suisses j'ai voté.

55

Gardons bien, et pour raison,

Ces amis de la maison.

Quels dînés,

Quels dînés

Les ministres m'ont donnés!

60

Oh! Que j'ai fait de bons dînés!

 

Malgré des calculs sinistres,

Vous paîrez, sans y songer,

L'étranger et les ministres,

Les ventrus et l'étranger.

65

Il faut que, dans nos besoins,

Le peuple dîne un peu moins.

Quels dînés,

Quels dînés

Les ministres m'ont donnés!

70

Oh! Que j'ai fait de bons dînés!

 

Enfin j'ai fait mes affaires:

Je suis procureur du roi;

J'ai placé deux de mes frères,

Mes trois fils ont de l'emploi.

75

Pour les autres sessions

J'ai cent invitations.

Quels dînés,

Quels dînés

Les ministres m'ont donnés!

80

Oh! Que j'ai fait de bons dînés!

 

 

LA COURONNE

Couplets chantés

par un roi de la fève.

 

Grace à la fève, je suis roi.

Nous le voulons: versez à boire!

Çà, mes sujets, couronnez-moi!

Et qu'on porte envie à ma gloire;

5

À l'espoir du rang le plus beau

Point de coeur qui ne s'abandonne.

Nul n'est content de son chapeau;

Chacun voudrait une couronne.

 

Un roi sur son front obscurci

10

Porte une couronne éclatante.

Le pâtre a sa couronne aussi,

Couronne de fleurs qui me tente.

À l'un le ciel la fait payer:

Mais au berger l'amour la donne;

15

Le roi l'ôte pour sommeiller,

Colin dort avec sa couronne.

 

Le français, poëte et guerrier,

Sert les muses et la victoire.

Le front ceint d'un double laurier,

20

Il triomphe et chante sa gloire.

Quand du rang qu'il doit occuper

Il tombe, trahi par Bellone,

Le sceptre lui peut échapper,

Mais il conserve sa couronne.

 

25

Belles, vous portez à quinze ans

La couronne de l'innocence:

Bientôt viennent les courtisans;

Comme les rois on vous encense.

Comme eux de pièges séducteurs

30

L'artifice vous environne;

Vous n'écoutez que vos flatteurs,

Et vous perdez votre couronne.

 

Perdre une couronne! à ces mots

Chacun doit penser à la sienne.

35

Je n'ai point doublé les impôts;

Je n'ai point de noblesse ancienne.

Mon peuple, buvons de concert:

La place me paraît si bonne!

N'allez pas avant le dessert

40

Me faire abdiquer la couronne.

 

 

LE  BON  MENAGE

 

Commissaire!

Commissaire!

Colin bat sa ménagère.

Commissaire,

5

Laissez faire;

Pour l'amour

C'est un beau jour.

 

Commissaire du quartier,

Cela point ne vous regarde;

10

Point n'est besoin de la garde

Qu'appelle en vain le portier.

Oui, Colin bat sa Colette;

Mais ainsi, tous les lundis,

L'amour, aux cris qu'elle jette,

15

S'éveille dans leur taudis.

 

Commissaire!

Commissaire!

Colin bat sa ménagère.

Commissaire,

20

Laissez faire;

Pour l'amour

C'est un beau jour.

 

Colin est un gros garçon

Qui chante dès qu'il s'éveille;

25

Colette, ronde et vermeille,

A la gaîté du pinson.

Chez eux la haine est sans force;

Car tous deux, de leur plein gré,

Pour se passer du divorce,

30

Se sont passés du curé.

 

Commissaire!

Commissaire!

Colin bat sa ménagère.

Commissaire,

35

Laissez faire;

Pour l'amour

C'est un beau jour.

 

Bras dessus et bras dessous,

Chaque soir à la guinguette

40

S'en vont Colin et Colette

Sabler du vin à six sous.

C'est pour trinquer sous l'ombrage

Où, sans témoin, fut passé

Leur contrat de mariage

45

Sur un banc qu'ils ont cassé.

 

Commissaire!

Commissaire!

Colin bat sa ménagère.

Commissaire,

50

Laissez faire;

Pour l'amour

C'est un beau jour.

 

Parfois pour d'autres attraits

Colin se met en dépense;

55

Mais Colette a pris l'avance,

Et s'en venge encore après.

On aura fait quelque conte,

Et, de dépit transportés,

Peut-être ils règlent le compte

60

De leurs infidélités.

 

Commissaire!

Commissaire!

Colin bat sa ménagère.

Commissaire,

65

Laissez faire;

Pour l'amour

C'est un beau jour.

 

Commissaire du quartier,

Cela point ne vous regarde;

70

Point n'est besoin de la garde

Qu'appelle en vain le portier.

Déja sans doute on s'embrasse,

Et dans son lit, à loisir,

Demain Colette un peu lasse

75

Ne s'en prendra qu'au plaisir.

 

Commissaire!

Commissaire!

Colin bat sa ménagère.

Commissaire,

80

Laissez faire,

Pour l'amour

C'est un beau jour.

 

 

LE  CHAMP  D'ASILE

(Août 1818)

 

Un chef de bannis courageux,

Implorant un lointain asile,

À des sauvages ombrageux

Disait: L'Europe nous exile.

 

5

Heureux enfants de ces forêts,

De nos maux apprenez l'histoire:

Sauvages! Nous sommes français;

Prenez pitié de notre gloire.

 

Elle épouvante encor les rois,

10

Et nous bannit des humbles chaumes

D'où, sortis pour venger nos droits,

Nous avons dompté vingt royaumes.

 

Nous courions conquérir la paix

Qui fuyait devant la victoire.

15

Sauvages! Nous sommes français;

Prenez pitié de notre gloire.

 

Dans l'Inde, Albion a tremblé

Quand de nos soldats intrépides

Les chants d'alégresse ont troublé

20

Les vieux échos des pyramides.

 

Les siècles pour tant de hauts faits

N'auront point assez de mémoire.

Sauvages! Nous sommes français;

Prenez pitié de notre gloire.

 

25

Un homme enfin sort de nos rangs;

Il dit: Je suis le dieu du monde.

L'on voit soudain les rois errants

Conjurer sa foudre qui gronde.

 

De loin saluant son palais,

30

À ce dieu seul ils semblaient croire.

Sauvages! Nous sommes français;

Prenez pitié de notre gloire.

 

Mais il tombe; et nous, vieux soldats

Qui suivions un compagnon d'armes,

35

Nous voguons jusqu'en vos climats,

Pleurant la patrie et ses charmes.

 

Qu'elle se relève à jamais

Du grand naufrage de la Loire!

Sauvages! Nous sommes français;

40

Prenez pitié de notre gloire.

 

Il se tait. Un sauvage alors

Répond: Dieu calme les orages.

Guerriers! Partagez nos trésors,

Ces champs, ces fleuves, ces ombrages.

 

45

Gravons sur l'arbre de la paix

Ces mots d'un fils de la victoire:

Sauvages! Nous sommes français;

Prenez pitié de notre gloire.

 

Le champ d'asile est consacré;

50

Élevez-vous, cité nouvelle!

Soyez-nous un port assuré

Contre la fortune infidèle.

 

Peut-être aussi des plus hauts faits

Nos fils vous racontant l'histoire,

55

Vous diront: nous sommes français;

Prenez pitié de notre gloire.

 

 

LA  MORT  DE

CHARLEMAGNE

 

Dans le vieux roman de la rose

J'ai vu que le fils de Pépin,

Redoutant son apothéose,

Disait à l'évêque Turpin:

5

«Prélat, sois bon à quelque chose;

L'âge m'accable, guéris-moi.»

«Oui, lui dit Turpin, et vive le roi!»

 

«Turpin, sais-tu qu'on me répète

Ce mot-là depuis bien long-temps?»

10

Turpin répond: «J'ai la recette

D'un coeur de vierge de vingt ans.

Fleur de vingt ans, vertu parfaite,

Vous rajeunira, sur ma foi.

Sauvons la patrie, et vive le roi!»

 

15

Vite un décret de Charlemagne

Met un haut prix à ce trésor:

On cherche à Rome, en Allemagne;

Même en France on le cherche encor.

Les curés cherchaient en campagne,

20

Disant: «Ce prince plein de foi

doublera la dîme, et vive le roi!»

 

Turpin d'abord trouve lui-même

Coeur de vingt ans non profané;

Mais un bon moine de Télème

25

Le croque à l'instant sous son nez.

Quoi! Sans respect du diadème!

«Oui, dit le moine, c'est ma loi.

L'église avant tout, et vive le roi!»

 

Un juge, espérant la simarre,

30

Loin de Paris cherche si bien

Qu'il découvre aussi l'oiseau rare

Qu'attendait le roi très chrétien.

Un seigneur dit: «Je m'en empare;

Le droit de jambage est à moi.

35

Tout pour la noblesse, et vive le roi!»

 

«Je serai duc!» s'écrie un page,

Dénichant enfin à son tour

Fille de vingt ans neuve et sage,

Que soudain il mène à la cour.

40

On illumine à son passage;

Et le peuple, qui sait pourquoi,

Chante un te deum, et vive le roi!

 

Mais, en voyant le doux remède,

Le roi dit: «C'est l'esprit malin.

45

Fi donc! Cette vierge est trop laide;

Mieux vaut mourir comme un vilain.»

Or, il meurt, son fils lui succède,

Et Turpin répète au convoi:

«Vite, qu'on l'enterre, et vive le roi!»

 

 

LE  VENTRU  AUX

ELECTIONS  DE  1819

 

Autour du pot c'est trop tourner,

Messieurs! L'on m'attend pour dîner.

 

Électeurs, j'ai, sans nul mystère,

Fait de bons dîners l'an passé.

5

On met la table au ministère;

Renommez-moi, je suis pressé.

 

Autour du pot c'est trop tourner,

Messieurs! L'on m'attend pour dîner.

 

Préfets, que tout nous réussisse,

10

Et du moins vous conserverez,

Si l'on vous traduit en justice,

Le droit de choisir les jurés.

 

Autour du pot c'est trop tourner,

Messieurs! L'on m'attend pour dîner.

 

15

Maires, soignez bien mes affaires;

Vous courez aussi des dangers.

Si les villes nommaient leurs maires,

Moins de loups deviendraient bergers.

 

Autour du pot c'est trop tourner,

20

Messieurs! L'on m'attend pour dîner.

 

Dévots, j'ai la foi la plus forte;

À Dieu je dis chaque matin:

Faites qu'à cent écus l'on porte

La patente d'ignorantin.

 

25

Autour du pot c'est trop tourner,

Messieurs! L'on m'attend pour dîner.

 

Ultras, c'est moi qu'il faut qu'on nomme;

Faisons la paix, preux chevaliers:

N'oubliez pas que je suis homme

30

À manger à deux râteliers.

 

Autour du pot c'est trop tourner,

Messieurs! L'on m'attend pour dîner.

 

Libéraux, dans vos doléances,

Pourquoi donc vous en prendre à moi,

35

Quand le creuset des ordonnances

Peut faire évaporer la loi?

 

Autour du pot c'est trop tourner,

Messieurs! L'on m'attend pour dîner.

 

Les emplois étant ma ressource

40

Aux impôts dois-je m'opposer?

Par honneur je remplis la bourse

Où par devoir j'aime à puiser.

 

Autour du pot c'est trop tourner,

Messieurs! L'on m'attend pour dîner.

 

45

On craindrait l'équité farouche

D'un tas d'orateurs éclatants;

Moi, dès que j'ouvrirai la bouche,

Les ministres seront contents.

 

Autour du pot c'est trop tourner,

50

Messieurs! L'on m'attend pour dîner.

 

 

LA  NATURE

 

Combien la nature est féconde

En plaisirs ainsi qu'en douleurs!

De noirs fléaux couvrent le monde

De débris, de sang et de pleurs.

5

Mais à ses pieds la beauté nous attire;

Mais des raisins le nectar est foulé.

Coulez, bons vins; femmes, daignez sourire;

Et l'univers est consolé.

 

Chaque pays eut son déluge;

10

Hélas! Peut-être jour et nuit

Une arche est encor le refuge

De mortels que l'onde poursuit.

Sitôt qu'Iris brille sur leur navire,

Et que vers eux la colombe a volé,

15

Coulez, bons vins; femmes, daignez sourire;

Et l'univers est consolé.

 

Quel autre champ de funérailles!

L'Etna s'agite, et, furieux,

Semble, du fond de ses entrailles,

20

Vomir l'enfer contre les cieux.

Mais pour renaître enfin sa rage expire:

Il se rasseoit sur le monde ébranlé.

Coulez, bons vins; femmes, daignez sourire;

Et l'univers est consolé.

 

25

Dieu! Que de souffrances nouvelles!

L'affreux vautour de l'Orient,

La peste a déployé ses ailes

Sur l'homme qui tombe en fuyant.

Le ciel s'apaise, et la pitié respire,

30

On tend la main au malade exilé.

Coulez, bons vins; femmes, daignez sourire;

Et l'univers est consolé.

 

Mars enfin comble nos misères:

Des rois nous payons les défis.

35

Humide encor du sang des pères,

La terre boit le sang des fils.

Mais l'homme aussi se lasse de détruire,

Et la nature à son coeur a parlé.

Coulez, bons vins; femmes, daignez sourire;

40

Et l'univers est consolé.

 

Ah! Loin d'accuser la nature,

Du printemps chantons le retour;

Des roses de sa chevelure

Parfumons la joie et l'amour.

45

Malgré l'horreur que l'esclavage inspire

Sur les débris d'un empire écroulé,

Coulez, bons vins; femmes, daignez sourire;

Et l'univers est consolé.

 

 

LES  CARTES,

OU  L'HOROSCOPE

 

Tandis qu'en faisant sa prière,

Au coin du feu maman s'endort,

Peu faite pour être ouvrière,

Dans les cartes cherchons mon sort.

5

Maman dirait: craignez les bagatelles!

Le diable est fin; tremblez, Suzon!

Mais j'ai seize ans: les cartes seront belles.

Les cartes ont toujours raison,

Toujours raison, toujours raison.

 

10

Amour, enfant ou mariage,

Sachons ce qui m'attend ici.

J'ai certain amant qui voyage:

Valet de coeur? Bon! Le voici.

Pour une veuve, aux pleurs il me condamne.

15

L'ingrat l'épouse, ô trahison!

J'entre au couvent; mon confesseur se damne.

Les cartes ont toujours raison,

Toujours raison, toujours raison.

 

Au parloir témoin de mes larmes,

20

Le roi de carreau vient souvent:

C'est un prince épris de mes charmes;

Il m'enlève de mon couvent.

Par des cadeaux son altesse m'entraîne

Jusqu'à sa petite maison.

25

La nuit survient, et je suis presque reine.

Les cartes ont toujours raison,

Toujours raison, toujours raison.

 

Je suis le prince à la campagne;

On vient lui parler contre moi.

30

En secret un brun m'accompagne,

Tout se découvre: adieu mon roi!

Un de perdu, j'en vois arriver douze;

J'enflamme un campagnard grison:

Je suis cruelle, et celui-là m'épouse.

35

Les cartes ont toujours raison,

Toujours raison, toujours raison.

 

En ménage d'une semaine,

Dans un char je brille à Paris.

C'est le roi de trèfle qui mène;

40

Mon mari gronde, et je m'en ris.

Dieu! L'amour fuit à l'aspect d'une vieille!

En ai-je passé la saison?

Eh! Non vraiment, c'est maman qui s'éveille.

Les cartes ont toujours raison,

45

Toujours raison, toujours raison.

 

 

LA  SAINTE  ALLIANCE

DES  PEUPLES

Chanson chantée à Liancourt pour la fête

donnée par M. le Duc de la Rochefoucault,

en réjouissance de l'évacuation

du territoire français, au mois d'octobre 1818.

 

 

J'ai vu la paix descendre sur la terre,

Semant de l'or, des fleurs et des épis.

L'air était calme, et du dieu de la guerre

Elle étouffait les foudres assoupis.

5

Ah! Disait-elle, égaux par la vaillance,

Français, anglais, belge, russe ou germain,

Peuples, formez une sainte alliance,

Et donnez-vous la main.

 

Pauvres mortels, tant de haine vous lasse!

10

Vous ne goûtez qu'un pénible sommeil.

D'un globe étroit divisez mieux l'espace;

Chacun de vous aura place au soleil.

Tous attelés au char de la puissance,

Du vrai bonheur vous quittez le chemin.

15

Peuples, formez une sainte alliance,

Et donnez-vous la main.

 

Chez vos voisins vous portez l'incendie:

L'aquilon souffle, et vos toits sont brûlés;

Et quand la terre est enfin refroidie,

20

Le soc languit sous des bras mutilés.

Près de la borne où chaque état commence,

Aucun épi n'est pur de sang humain.

Peuples, formez une sainte alliance,

Et donnez-vous la main.

 

25

Des potentats, dans vos cités en flammes,

Osent du bout de leur sceptre insolent

Marquer, compter et recompter les ames

Que leur adjuge un triomphe sanglant.

Faibles troupeaux, vous passez sans défense

30

D'un joug pesant sous un joug inhumain.

Peuples, formez une sainte alliance,

Et donnez-vous la main.

 

Que Mars en vain n'arrête point sa course.

Fondez les lois dans vos pays souffrants;

35

De votre sang ne livrez plus la source

Aux rois ingrats, aux vastes conquérants.

Des astres faux conjurez l'influence;

Effroi d'un jour, ils pâliront demain.

Peuples, formez une sainte alliance,

40

Et donnez-vous la main.

 

Oui, libre enfin, que le monde respire;

Sur le passé jetez un voile épais.

Semez vos champs aux accords de la lyre;

L'encens des arts doit brûler pour la paix.

45

L'espoir riant, au sein de l'abondance,

Accueillera les doux fruits de l'hymen.

Peuples, formez une sainte alliance,

Et donnez-vous la main.

 

Ainsi parlait cette vierge adorée,

50

Et plus d'un roi répétait ses discours.

Comme au printemps la terre était parée;

L'automne en fleurs rappelait les amours.

Pour l'étranger coulez, bons vins de France:

De sa frontière il reprend le chemin.

55

Peuples, formons une sainte alliance,

Et donnons-nous la main.

 

 

ROSETTE

 

Sans respect pour votre printemps,

Quoi! Vous me parlez de tendresse

Quand sous le poids de quarante ans

Je vois succomber ma jeunesse!

5

Je n'eus besoin pour m'enflammer

Jadis que d'une humble grisette.

Ah! Que ne puis-je vous aimer

Comme autrefois j'aimais Rosette!

 

Votre équipage tous les jours

10

Vous montre en parure brillante.

Rosette, sous de frais atours,

Courait à pied, leste et riante.

Par-tout ses yeux, pour m'alarmer,

Provoquaient l'oeillade indiscrète.

15

Ah! Que ne puis-je vous aimer

Comme autrefois j'aimais Rosette!

 

Dans le satin de ce boudoir

Vous souriez à mille glaces.

Rosette n'avait qu'un miroir;

20

Je le croyais celui des Graces.

Point de rideaux pour s'enfermer;

L'aurore égayait sa couchette.

Ah! Que ne puis-je vous aimer

Comme autrefois j'aimais Rosette!

 

25

Votre esprit, qui brille éclairé,

Inspirerait plus d'une lyre.

Sans honte je vous l'avoûrai,

Rosette à peine savait lire.

Ne pouvait-elle s'exprimer,

30

L'amour lui servait d'interprète.

Ah! Que ne puis-je vous aimer

Comme autrefois j'aimais Rosette!

 

Elle avait moins d'attraits que vous;

Même elle avait un coeur moins tendre:

35

Oui, ses yeux se tournaient moins doux

Vers l'amant heureux de l'entendre.

Mais elle avait, pour me charmer,

Ma jeunesse que je regrette.

Ah! Que ne puis-je vous aimer

40

Comme autrefois j'aimais Rosette!

 

 

LES  REVERENDS  PERES

(Décembre 1819)

 

Hommes noirs, d'où sortez-vous?

Nous sortons de dessous terre.

Moitié renards, moitié loups,

Notre règle est un mystère.

5

Nous sommes fils de Loyola;

Vous savez pourquoi l'on nous exila.

Nous rentrons; songez à vous taire!

Et que vos enfants suivent nos leçons.

C'est nous qui fessons,

10

Et qui refessons

Les jolis petits, les jolis garçons.

 

Un pape nous abolit;

Il mourut dans les coliques.

Un pape nous rétablit;

15

Nous en ferons des reliques.

Confessons, pour être absolus:

Henri Quatre est mort, qu'on n'en parle plus.

Vivent les rois bons catholiques!

Pour Ferdinand Sept nous nous prononçons.

20

Et puis nous fessons,

Et nous refessons

Les jolis petits, les jolis garçons.

 

Par le grand homme du jour

Nos maisons sont protégées.

25

Oui, d'un baptême de cour

Voyez en nous les dragées.

Le favori, par tant d'égards,

Espère acquérir de pieux mouchards.

Encor quelques lois de changées,

30

Et, pour le sauver, nous le renversons.

Et puis nous fessons,

Et nous refessons

Les jolis petits, les jolis garçons.

 

Si tout ne changeait dans peu,

35

Si l'on croyait la canaille,

La charte serait de feu,

Et le monarque de paille.

Nous avons le secret d'en haut:

La charte de paille est ce qu'il nous faut.

40

C'est litière pour la prêtraille;

Elle aura la dîme, et nous les moissons.

Et puis nous fessons,

Et nous refessons

Les jolis petits, les jolis garçons.

 

45

Du fond d'un certain palais

Nous dirigeons nos attaques.

Les moines sont nos valets:

On a refait leurs casaques.

Les missionnaires sont tous

50

Commis voyageurs trafiquant pour nous.

Les capucins sont nos cosaques:

À prendre Paris nous les exerçons.

Et puis nous fessons,

Et nous refessons

55

Les jolis petits, les jolis garçons.

 

Enfin reconnaissez-nous

Aux ames déja séduites.

Escobar va sous nos coups

Voir vos écoles détruites.

60

Au pape rendez tous ses droits;

Léguez-nous vos biens, et portez nos croix.

Nous sommes, nous sommes jésuites;

Français, tremblez tous: nous vous bénissons!

Et puis nous fessons,

65

Et nous refessons

Les jolis petits, les jolis garçons.

 

 

LES  ENFANTS

DE  LA  FRANCE

 

Reine du monde, ô France! ô ma patrie!

Soulève enfin ton front cicatrisé.

Sans qu'à tes yeux leur gloire en soit flétrie,

De tes enfants l'étendard s'est brisé.

5

Quand la fortune outrageait leur vaillance,

Quand de tes mains tombait ton sceptre d'or,

Tes ennemis disaient encor:

Honneur aux enfants de la France!

 

De tes grandeurs tu sus te faire absoudre,

10

France, et ton nom triomphe des revers.

Tu peux tomber, mais c'est comme la foudre

Qui se relève et gronde au haut des airs.

Le Rhin aux bords ravis à ta puissance

Porte à regret le tribut de ses eaux;

15

Il crie au fond de ses roseaux:

Honneur aux enfants de la France!

 

Pour effacer des coursiers du barbare

Les pas empreints dans tes champs profanés,

Jamais le ciel te fut-il moins avare?

20

D'épis nombreux vois ces champs couronnés.

D'un vol fameux prompts à venger l'offense,

Vois les beaux-arts, consolant leurs autels,

Y graver en traits immortels:

Honneur aux enfants de la France!

 

25

Prête l'oreille aux accents de l'histoire:

Quel peuple ancien devant toi n'a tremblé?

Quel nouveau peuple, envieux de ta gloire,

Ne fut cent fois de ta gloire accablé?

En vain l'anglais a mis dans la balance

30

L'or que pour vaincre ont mendié les rois,

Des siècles entends-tu la voix?

Honneur aux enfants de la France!

 

Dieu, qui punit le tyran et l'esclave,

Veut te voir libre, et libre pour toujours.

35

Que tes plaisirs ne soient plus une entrave:

La liberté doit sourire aux amours.

Prends son flambeau, laisse dormir sa lance,

Instruis le monde, et cent peuples divers

Chanteront en brisant leurs fers:

40

Honneur aux enfants de la France!

 

Relève-toi, France, reine du monde!

Tu vas cueillir tes lauriers les plus beaux.

Oui, d'âge en âge une palme féconde

Doit de tes fils protéger les tombeaux.

45

Que près du mien, telle est mon espérance,

Pour la patrie admirant mon amour,

Le voyageur répète un jour:

Honneur aux enfants de la France!