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B  I  B  L  I  O  T  H  E  C  A    A  U  G  U  S  T  A  N  A

 

 

 

 
Marceline Desbordes-Valmore
1786 - 1859
 


 






 




L e s   P l e u r s
1833

______________________


 
198
R E V E L A T I O N


Vois-tu! D'un coeur de femme il faut avoir pitié;
Quelque chose d'enfant s'y mêle à tous les âges;
Quand elles diraient non, je dis oui. Les plus sages
Ne peuvent sans transport se prendre d'amitié:
5
Juge d'amour! Ce mot nous rappelle nos mères;
Le berceau balancé dans leurs douces prières;
L'ange gardien qui veille et plane autour de nous,
Qu'une petite fille écoute à deux genoux;
Dieu qui parle et se plaît dans une âme ingénue,
10
Que l'on a vu passer avec l'errante nue,
Dont on buvait l'haleine au fond des jeunes fleurs,
Qu'on regardait dans l'ombre et qui séchait nos pleurs;
Et le pardon qui vint, un jour de pénitence,
Dans un baiser furtif redorer l'existence!

15
Ce suave lointain reparaît dans l'amour;
Il redonne à nos yeux l'étonnement du jour;
Sous ses deux ailes d'or qu'il abat sur notre âme,
Des prismes mal éteints il rallume la flamme;
Tout s'illumine encor de lumière et d'encens;
20
Et le rire d'alors roule avec nos accents!

Des pompes de Noël la native harmonie
Verse encore sur l'hiver sa grâce indéfinie;
La cloche bondissante avec sa grande voix
Clame dans l'air: NOEL! NOEL! comme autrefois;
25
Et ce ciel qui s'emplit d'accords et de louanges
C'est le SALUTARIS et le souffle des anges!
Et puis, comme une lampe aux rayons blancs et doux,
La lune, d'un feu pur inondant sa carrière,
Semble ouvrir sur le monde une immense paupière,
30
Pour chercher son Dieu jeune, égaré parmi nous.
«Oh! qu'elle soit heureuse entre toutes les femmes!»
Dit une femme heureuse et choisie à son tour,
«Oh! qu'elle règne aux cieux; j'ai mon ciel, j'ai l'amour!
Par lui, l'éternité sauve toutes nos âmes!»

35
La pitié fend la nue, et fait pleuvoir ses dons
Sur l'indigent qui court vers le divin baptême.
Regarde! son flambeau repousse l'anathème;
Et son manteau qui s'ouvre est chargé de pardons.
Noël! Noël! l'enfant lève sa tête blonde,
40
Car il sait qu'à minuit les anges font la ronde!
Quel bonheur de t'attendre à travers ce bonheur,
Dis! d'attirer ta vie à mon foyer réveur!
Répands-y de tes yeux la lumière chérie;
Viens! J'ai besoin d'entendre et de baiser ta voix.
45
     C'est avec ta voix que je prie,
     C'est avec tes yeux que je vois!

Quand l'orgue exhale aux cieux les soupirs de l'église,
Ce qui se passe en moi, viens! que je te le dise;
Viens! Et salut à toi, culte enfant, pur trésor!
50
Par toi, la neige brûle et la nuit étincelle;
Par toi, la vie est riche; elle a chaud sous ton aile;
Le reste est pour le pauvre, et ce n'est qu'un peu d'or!
Mon Dieu! qu'il est facile et doux d'être prodigue,
Quand on vit d'avenir, de prière, d'espoir;
55
Quand le monde fait peur; quand la foule fatigue;
Quand le coeur n'a qu'un cri: Te voir, te voir, te voir!

          Et quand le silence
          Adore à son tour,
          La foi qui s'élance,
60
          Aux cieux se balance
          Et pleure d'amour!

          Vivre! toujours vivre,
          D'un feu sans remords!
          Nous sauver et suivre
65
          Un Dieu qui se livre
          Pour tuer la mort!

          Aimer ce que j'aime,
          Une éternité,
          Et dans ton baptême
70
          M'abreuver moi-même
          D'immortalité:

          Quelle immense voie!
          Que d'ans, que de jours!
          Viens, que je te voie!
75
          Je tremble de joie;
          Tu vivras toujours!

L'été, le monde ému frémit comme une fête;
La terre en fleurs palpite et parfume sa tête;
Les cailloux plus cléments, loin d'offenser nos pas,
80
Nous font un doux chemin, on vole, on dit tout bas:
«Voyez! tout m'obéit, tout m'appartient, tout m'aime!
Que j'ai bien fait de naître! et Dieu, car c'est Dieu même,
Est-il assez clément de protéger nos jours
Sous une image ardente à me suivre toujours!»

85
Que de portraits de toi j'ai vus dans les nuages!
Que j'ai dans tes bouquets respiré de présages!
Que de fois j'ai senti par un noeud doux et fort,
Ton âme s'enlacer à l'entour de mon sort!
Quand tu me couronnais d'une seconde vie
90
Que de fois sur ton sein je m'en allais ravie,
Et reportée aux champs que mon père habitait,
Quand j'étais blonde et frêle, et que l'on me portait!
Que de fois dans tes yeux j'ai reconnu ma mère!
Oui! toute femme aimée a sa jeune chimère,
95
Sois-en sûr; elle prie, elle chante, et c'est toi
Qui gardais ces tableaux longtemps voilés pour moi.
Oui! si quelque musique à mon âme cachée,
Frappe sur mon sommeil et m'inspire d'amour,
C'est pour ta douce image à ma vie attachée
100
Caressante chaleur sur mon sort épanchée,
Comme sur un mur sombre un sourire du jour!
Mais par un mot changé troubles-tu ma tendresse,
Oh! de quel paradis tu fais tomber mon coeur!
D'une larme versée au fond de mon ivresse,
105
Si tu savais le poids, ému de ta rigueur,
Penché sur mon regard qui tremble et qui t'adore,
Comme on baise les pleurs dont l'enfant nous implore,
A ton plus faible enfant, tu viendrais, et tout bas:
«J'ai voulu t'éprouver, grâce! ne pleure pas...»

110
Parle-moi doucement; sans voix, parle à mon âme;
Le souffle appelle un souffle, et la flamme une flamme.
Entre deux coeurs charmés il faut peu de discours,
Comme à deux filets d'eau peu de bruit dans leur cours.
Ils vont! Les vents d'été parfument leur voyage.
115
Altérés l'un de l'autre et contents de frémir,
Ce n'est que de bonheur qu'on les entend gémir.
Quand l'hiver les cimente et fixe leur image,
Ils dorment, suspendus sous le même pouvoir,
Et si bien emmêlés qu'ils ne font qu'un miroir.

120
On a si peu de temps à s'aimer sur la terre!
Oh! Qu'il faut se hâter de dépenser son coeur!
Grondé par le remords, prends garde! Il est grondeur,
L'un des deux, mon amour, pleurera solitaire.
Parle-moi doucement, afin que dans la mort
125
Tu scelles nos adieux d'un baiser sans remord,
Et qu'en entrant aux cieux, toi calme, moi légère,
Nous soyons reconnus pour amants de la terre.
Que si l'ombre d'un mot t'accusait devant moi,
À Dieu, sans le tromper, je réponde pour toi:
130
«Il m'a beaucoup aimée! Il a bu de mes larmes;
Son âme a regardé dans toutes mes douleurs;
Il a dit qu'avec moi l'exil aurait des charmes,
La prison du soleil, la vieillesse des fleurs!»

Et Dieu nous unira d'éternité. Prends garde!
135
Fais-moi belle de joie! Et quand je te regarde,
Regarde-moi; jamais ne rencontre ma main
Sans la presser. Cruel! On peut mourir demain,
Songe donc! Crains surtout qu'en moi-même enfermée,
Ne me souvenant plus que je fus trop aimée,
140
Je ne dise, pauvre âme oublieuse des cieux,
Pleurant sous mes deux mains et me cachant les yeux:
«Dans tous mes souvenirs, je sens couler mes larmes;
Tout ce qui fit ma joie enfermait mes douleurs;
Mes jeunes amitiés sont empreintes des charmes
145
Et des parfums mourants qui survivent aux fleurs.»

Je dis cela, jalouse, et je sens ma pensée
Sortir en cris plaintifs de mon âme oppressée.
Quand tu ne réponds pas, j'ai honte à tant d'amour,
Je gronde mes sanglots, je m'évite à mon tour,
150
Je m'en retourne à Dieu, je lui demande un père,
Je lui montre mon coeur gonflé de ta colère,
Je lui dis, ce qu'il sait, que je suis son enfant,
Que je veux espérer et qu'on me le défend!

Ne me le défends plus! Laisse brûler ma vie.
155
Si tu sais le doux mal où je suis asservie,
Oh! Ne me dis jamais qu'il faudra se guérir,
Qu'aimer use le coeur et que tout doit mourir!
Car tu me vois dans l'âme, approche, tu peux lire;
Voilà notre secret: est-ce mal de le dire?
160
Non, rien ne meurt. Pieux d'amour ou d'amitié,
Vois-tu! D'un coeur de femme il faut avoir pitié!
 


201
L ' A T T E N T E


Quand je ne te vois pas, le temps m'accable, et l'heure
A je ne sais quel poids impossible à porter:
Je sens languir mon coeur, qui cherche à me quitter;
Et ma tête se penche, et je souffre et je pleure.

5
Quand ta voix saisissante atteint mon souvenir,
Je tressaille, j'écoute ... et j'espère immobile;
Et l'on dirait que Dieu touche un roseau débile;
Et moi, tout moi répond: Dieu! faites-le venir!

Quand sur tes traits charmants j'arrête ma pensée,
10
Tous mes traits sont empreints de crainte et de bonheur;
J'ai froid dans mes cheveux; ma vie est oppressée,
Et ton nom, tout à coup, s'échappe de mon coeur.

Quand c'est toi-même, enfin! quand j'ai cessé d'attendre,
Tremblante, je me sauve en te tendant les bras;
15
Je n'ose te parler, et j'ai peur de t'entendre;
Mais tu cherches mon âme, et toi seul l'obtiendras!

Suis-je une soeur tardive à tes voeux accordée?
Es-tu l'ombre promise à mes timides pas?
Mais je me sens frémir. Moi, ta soeur! quelle idée!
20
Toi, mon frère! ... ô terreur! Dis que tu ne l'es pas!
 


201
D O R S - T U ?


Et toi! dors-tu quand la nuit est si belle,
Quand l'eau me cherche et me fuit comme toi;
Quand je te donne un coeur longtemps rebelle?
Dors-tu, ma vie! ou rêves-tu de moi?

5
Démêles-tu, dans ton âme confuse,
Les doux secrets qui brûlent entre nous?
Ces longs secrets dont l'amour nous accuse,
Viens-tu les rompre en songe à mes genoux?

As-tu livré ta voix tendre et hardie
10
Aux fraîches voix qui font trembler les fleurs?
Non! c'est du soir la vague mélodie;
Ton souffle encor n'a pas séché mes pleurs!

Garde toujours ce douloureux empire
Sur notre amour qui cherche à nous trahir:
15
Mais garde aussi son mal dont je soupire;
Son mal est doux, bien qu'il fasse mourir!
 


207
M A L H E U R
A   M O I



Ah! ce n'est pas aimer que prendre sur soi-même
De pouvoir vivre ainsi loin de l'objet qu'on aime.
          André Chénier.


Malheur à moi! je ne sais plus lui plaire;
Je ne suis plus le charme de ses yeux;
Ma voix n'a plus l'accent qui vient des cieux,
Pour attendrir sa jalouse colère;
5
Il ne vient plus, saisi d'un vague effroi,
Me demander des serments ou des larmes:
Il veille en paix, il s'endort sans alarmes:
     Malheur à moi!

Las de bonheur, sans trembler pour ma vie,
10
Insoucieux, il parle de sa mort!
De ma tristesse il n'a plus le remord,
Et je n'ai pas tous les biens qu'il envie!
Hier, sur mon sein, sans accuser ma foi,
Sans les frayeurs que j'ai tant pardonnées,
15
Il vit des fleurs qu'il n'avait pas données:
     Malheur à moi!

Distrait d'aimer, sans écouter mon père,
Il l'entendit me parler d'avenir:
Je n'en ai plus, s'il n'y veut pas venir;
20
Par lui je crois, sans lui je désespère;
Sans lui, mon Dieu! comment vivrai-je en toi?
Je n'ai qu'une âme, et c'est par lui qu'elle aime:
Et lui, mon Dieu, si ce n'est pas toi-même,
     Malheur à moi!
 


215
T R I S T E S S E


Une fille est née dans la classe du peuple, et malgré le triste avenir qui lui est réservé, sa naissance a été accueillie comme un joyeux événement.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Elle est heureuse, car le soleil brille, la pluie tombe, l'arc-en-ciel étend ses couleurs, et les oiseaux chantent pour elle. Son sommeil est profond et doux, ses jeux gais et vifs, son pain délicieux! Elle ne sait pas le secret d'être mécontente de ce qu'elle possède.
          Un auteur anglais.


N'irai-je plus courir dans l'enclos de ma mère?
N'irai-je plus m'asseoir sur les tombes en fleurs?
D'où vient que des beaux ans la mémoire est amère?
D'où vient qu'on aime tant une joie éphémère?
5
D'où vient que d'en parler ma voix se fond en pleurs?

C'est que, pour retourner à ces fraîches prémices,
À ces fruits veloutés qui pendent au berceau,
Prête à se replonger aux limpides calices
De la source fuyante et des vierges délices,
10
L'âme hésite à troubler la fange du ruisseau.

Quel effroi de ramper au fond de sa mémoire,
D'ensanglanter son coeur aux dards qui l'ont blessé,
De rapprendre un affront que l'on crut effacé,
Que le temps... que le ciel a dit de ne plus croire,
15
Et qui siffle aux lieux même où la flèche a passé!

Qui n'a senti son front rougir, brûler encore
Sous le flambeau moqueur d'un amer souvenir?
Qui n'a pas un écho cruellement sonore,
Jetant par intervalle un nom que l'âme abhorre,
20
Et la fait s'envoler au fond de l'avenir?

Vous aussi, ma natale, on vous a bien changée!
Quoi! Quand mon coeur remonte à vos gothiques tours,
Qu'il traverse, rêveur, notre absence affligée,
Il ne reconnaît plus la grâce négligée
25
Qui donne tant de charme au maternel séjour!

Il voit rire un jardin sur l'étroit cimetière,
Où la lune souvent me prenait à genoux;
L'ironie embaumée a remplacé la pierre
Où j'allais, d'une tombe indigente héritière,
30
Relire ma croyance au dernier rendez-vous!

Tristesse! Après longtemps revenir isolée,
Rapporter de sa vie un compte douloureux,
La renouer malade à quelque mausolée,
Chercher un coeur à soi sous la croix violée,
35
Et ne plus oser dire: «Il est là!» c'est affreux!

Mais cet enfant qui joue et qui dort sur la vie,
Qui s'habille de fleurs, qui n'en sent pas l'effroi,
Ce pauvre enfant heureux que personne n'envie,
Qui, né pour le malheur, l'ignore et s'y confie,
40
Je le regrette encor, cet enfant, c'était moi.

Au livre de mon sort si je cherche un sourire,
Dans sa blanche préface, oh! Je l'obtiens toujours
À des mots commencés que je ne peux écrire,
Éclatants d'innocence et charmants à relire,
45
Parmi les feuillets noirs où s'inscrivent mes jours!

Un bouquet de cerise, une pomme encor verte,
C'étaient là des festins savourés jusqu'au coeur!
À tant de volupté l'âme neuve est ouverte,
Quand l'âpre affliction, de miel encor couverte,
50
N'a pas trempé nos sens d'une amère saveur!

Parmi les biens perdus dont je soupire encore,
Quel nom portait la fleur... la fleur d'un bleu si beau,
Que je vis poindre au jour, puis frémir, puis éclore,
Puis que je ne vis plus à la suivante aurore?
55
Ne devrait-elle pas renaître à mon tombeau!

Douce église! Sans pompe, et sans culte et sans prêtre,
Où je faisais dans l'air jouer ma faible voix,
Où la ronce montait fière à chaque fenêtre,
Près du christ mutilé qui m'écoutait peut-être,
60
N'irai-je plus rêver du ciel comme autrefois?

Oh! N'a-t-on pas détruit cette vigne oubliée,
Balançant au vieux mur son fragile réseau?
Comme l'aile d'un ange aimante et dépliée,
L'humble pampre embrassait l'église humiliée
65
De sa pâle verdure où tremblait un oiseau.

L'oiseau chantait, piquait le fruit mûr, et ses ailes
Frappaient l'ogive sombre avec un bruit joyeux;
Et le soleil couchant dardait ses étincelles
Aux vitraux rallumés de rougeâtres parcelles
70
Qui me restaient longtemps ardentes dans les yeux.

Notre-Dame! Aujourd'hui belle et retentissante,
Triste alors, quel secret m'avez-vous dit tout bas?
Et quand mon timbre pur remplaçait l'orgue absente,
Pour répondre à l'écho de la nef gémissante,
75
Mon frêle et doux ave, ne l'écoutiez-vous pas?

Et ne jamais revoir ce mur où la lumière
Dessinait Dieu visible à ma jeune raison!
Ne plus mettre à ses pieds mon pain et ma prière!
Ne plus suivre mon ombre au bord de la rivière,
80
Jusqu'au chaume enlierré que j'appelais maison!

Ni le puits solitaire, urne sourde et profonde,
Crédule, où j'allais voir descendre le soleil,
Qui faisait aux enfants un miroir de son onde.
Elle est tarie... hélas! Tout se tarit au monde;
85
Hélas! La vie et l'onde ont un destin pareil!

Ne plus passer devant l'école bourdonnante,
Cage en fleurs où couvaient, où fermentaient nos jours,
Où j'entendis, captive, une voix résonnante
Et chère! à ma prison m'enlever frissonnante:
90
Voix de mon père, ô voix! M'appelez-vous toujours?

Où libre je pâlis de tendresse éperdue,
Où je crus voir le ciel descendre, et l'humble lieu
S'ouvrir! Mon père au loin m'avait donc entendue!
Fière, en tenant sa main, je traversai la rue;
95
Il la remplissait toute; il ressemblait à Dieu!

Albertine! Et là bas flottait ta jeune tête
Sous le calvaire en fleurs; et c'était loin du soir!
Et ma voix bondissante avait dit: «Est-ce fête?
Ô joie! Est-ce demain que Dieu passe et s'arrête?»
100
Et tu m'avais crié: «Tu vas voir! Tu vas voir!»

Oui! c'était une fête, une heure parfumée;
On moissonnait nos fleurs, on les jetait dans l'air;
Albertine riait sous la pluie embaumée;
Elle vivait encor; j'étais encore aimée!
105
C'est un parfum de rose... il n'atteint pas l'hiver.

Du moins n'irai-je plus dans l'enclos de ma mère?
N'irai-je plus m'asseoir sur les tombes en fleurs?
D'où vient que des beaux ans la mémoire est amère?
D'où vient qu'on aime tant une joie éphémère?
110
D'où vient que d'en parler ma voix se fond en pleurs?
 


217
L E   M A L   D U   P A Y S


Ce front facile à se rider, ces joues légèrement creusée, gardaient l'empreinte du sceau dont le malheur marque ses sujets, comme pour leur laisser la consolation de se reconnaître d'un regard fraternel, et de s'unir pour lui résister.
          Madame de Balzac.

Clémentine adorée, âme céleste et pure,
Qui parmi les rigueurs d'une injuste maison,
Ne perd point l'innocence en perdant la raison.
          André Chénier.


Je veux aller mourir aux lieux où je suis née;
Le tombeau d'Albertine est près de mon berceau;
Je veux aller trouver son ombre abandonnée;
Je veux un même lit près du même ruisseau.

5
Je veux dormir. J'ai soif de sommeil, d'innocence,
D'amour! D'un long silence écouté sans effroi,
De l'air pur qui soufflait au jour de ma naissance,
Doux pour l'enfant du pauvre et pour l'enfant du roi.

J'ai soif d'un frais oubli, d'une voix qui pardonne.
10
Qu'on me rende Albertine! Elle avait cette voix
Qu'un souvenir du ciel à quelques femmes donne;
Elle a béni mon nom... autre part... autrefois!

Autrefois! ... qu'il est loin le jour de son baptême!
Nous entrâmes au monde un jour qu'il était beau:
15
Le sel qui l'ondoya fut dissous sur moi-même,
Et le prêtre pour nous n'alluma qu'un flambeau.

D'où vient-on quand on frappe aux portes de la terre?
Sans clarté dans la vie, où s'adressent nos pas?
Inconnus aux mortels qui nous tendent les bras,
20
Pleurants, comme effrayés d'un sort involontaire.

Où va-t-on quand, lassé d'un chemin sans bonheur,
On tourne vers le ciel un regard chargé d'ombre?
Quand on ferme sur nous l'autre porte, si sombre!
Et qu'un ami n'a plus que nos traits dans son coeur?

25
Ah! Quand je descendrai rapide, palpitante,
L'invisible sentier qu'on ne remonte pas,
Reconnaîtrai-je enfin la seule âme constante
Qui m'aimait imparfaite et me grondait si bas?

Te verrai-je, Albertine! Ombre jeune et craintive?
30
Jeune, tu t'envolas peureuse des autans:
Dénouant pour mourir ta robe de printemps,
Tu dis: «Semez ces fleurs sur ma cendre captive.»

Oui! Je reconnaîtrai tes traits pâles, charmants,
Miroir de la pitié qui marchait sur tes traces,
35
Qui pleurait dans ta voix, angélisait tes grâces,
Et qui s'enveloppait dans tes doux vêtements!

Oui, tu ne m'es qu'absente, et la mort n'est qu'un voile,
Albertine! Et tu sais l'autre vie avant moi.
Un jour, j'ai vu ton âme aux feux blancs d'une étoile;
40
Elle a baisé mon front, et j'ai dit: «C'est donc toi!»

Viens encor, viens! J'ai tant de choses à te dire!
Ce qu'on t'a fait souffrir, je le sais! J'ai souffert.
Ô ma plus que soeur, viens! Ce que je n'ose écrire,
Viens le voir palpiter dans mon coeur entr'ouvert!
 


220
L A   S I N C E R E


Ah! c'est vous que je vois
Enfin! et cette voix qui parle est votre voix!
Pourquoi le sort mit-il mes jours si loin des vôtre?
J'ai tant besoin de vous pour oublier les autres!
          Victor Hugo.


Veux-tu l'acheter?
Mon coeur est à vendre.
Veux-tu l'acheter,
Sans nous disputer?

5
Dieu l'a fait d'aimant;
Tu le feras tendre;
Dieu l'a fait d'aimant
Pour un seul amant!

Moi, j'en fais le prix;
10
Veux-tu le connaître?
Moi, j'en fais le prix;
N'en sois pas surpris.

As-tu tout le tien?
Donne! et sois mon maître.
15
As-tu tout le tien,
Pour payer le mien?

S'il n'est plus à toi,
Je n'ai qu'une envie;
S'il n'est plus à toi,
20
Tout est dit pour moi.

Le mien glissera,
Fermé dans la vie;
Le mien glissera,
Et Dieu seul l'aura!

25
Car, pour nos amours,
La vie est rapide;
Car, pour nos amours,
Elle a peu de jours.

L'âme doit courir
30
Comme une eau limpide;
L'âme doit courir,
Aimer! et mourir.
 


226
M A   F I L L E


T'is very strange, my little dove,
That all I ever loved, or love,
In wondrous visions still I trace
While gazing on thy guiltless face.
          Robort Burns.


Ondine! enfant joyeux qui bondis sur la terre,
Mobile comme l'eau qui t'a donné son nom,
Es-tu d'un séraphin le miroir solitaire?
Sous ta grâce mortelle orne-t-il ma maison?

5
Quand je t'y vois glisser dansante et gracieuse,
Je sens flotter mon âme errante autour de toi:
Je me regarde vivre, ombre silencieuse;
Mes jours purs, sous tes traits, repassent devant moi!

Car toujours ramenés vers nos jeunes annales,
10
Nous retrempons nos yeux dans leurs fraiches couleurs;
Midi n'a plus le goût des heures matinales
Où l'on a respiré tant de sauvages fleurs!
Le champ, le plus beau champ que renfermât la terre
Furent les blés bordant la maison de mon père,
15
Où je dansais, volage, en poursuivant du coeur
Un rêve qui criait: «Bonheur! bonheur! bonheur!»

C'est toi! mes yeux blessés par le temps et les larmes,
Redevenus miroirs, se rallument d'amour!
N'es-tu pas tout ce monde infini, plein de charmes,
20
Que j'encerclais d'espoir, en essayant le jour?

Viens donc, ma vie enfant! et si tu la prolonges,
Ondine! aux mèmes flots ne l'abandonne pas.
Que les ruisseaux, les bois, les fleurs où tu te plonges,
Gardent leur fraîche amorce au penchant de tes pas;
25
Viens! mon âme sur toi pleure et se désaltère.
Ma fille, ils m'ont fait mal!... Mets tes mains sur mes yeux,
Montre-moi l'espérance et cache-moi la terre;
Ange! retiens mon vol, ou suis-moi dans les cieux.

Mais tu n'entendras pas mes plaintes interdites.
30
Dit-on au passereau de haïr, d'avoir peur?
Tes oreilles encor sont tendres et petites, Enfant! je ne veux pas méchantiser ton coeur.

Garde-le plein d'écho de ma voix maternelle:
Dieu qui t'écoute encore ainsi m'écoutera.
35
O ma blanche colombe! entr'ouvre-moi ton aile;
Mon coeur a fait le tien; il s'y renfermera;
Car ce serait affreux et pitié de t'apprendre,
Quand tu baises mes pleurs, ce qui les fait couler;
Va les porter à Dieu, sans chercher à comprendre
40
Ce qu'une larme pèse et coûte à révéler!

Tout pleure! et l'innocent que le torrent entraîne,
Et ceux qui, pour prier, n'ont que leurs repentirs;
Peut-ètre en ce moment les soupirs d'une reine,
Sur la route du ciel, rencontrent mes soupirs.

45
Mais que l'oiseau des nuits t'effleure en sa tristesse:
Il passe, mon Ondine, il passe avec vitesse:
Sur tes traits veloutés j'aime à boire tes pleurs
C'est l'ondée en avril qui roule sur les fleurs.

Que tes cheveux sont doux! étends-les sur mes larmes,
50
Comme un voile doré sur un noir souvenir.
Embrassons-nous!. . . Sais-tu qu'il reste bien des charmes
A ce monde pour moi plein de ton avenir?
Et le monde est en nous: demeure avec toi-même;
L'oiseau pour ses concerts goûte un sauvage lieu;
55
L'innocence a partout un confident qui l'aime.
Oh! ne livre ta voix qu'à cet écho: c'est Dieu!
 


228
LOUISE LABE


Tant que mes yeux pourront larmes espandre
A l'heur passé avec toy regretter;
Et qu'aus sanglots et soupirs résister,
Pourra ma vois, et un peu faire entendre;
Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignard lut, pour tes graces chanter;
Tant que l'esprit voudra se contenter
De ne vouloir rien fors que toi comprendre;
Je ne souhaite encore point mourir.
Mais quand mes yeux je sentiray tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante,
Et mon esprit en ce mortel séjour
Ne pouvant plus montrer sygne d'amante,
Priray la mort noircir mon plus cher jour.
          Louise Labé.

Quand vous lirez, ô dames lionnoises!
Les miens écrits pleins d'amoureuses noises;
Quand mes regrets, ennuis, dépits et larmes
M'orrez chanter en pitoyables carmes,
Ne veuillez point condamner ma simplesse,
Et jeune erreur de ma folle jeunesse,
     Si c'est erreur!


Quoi! C'est là ton berceau, poétique Louise!
Mélodieux enfant, fait d'amour et d'amour,
Et d'âme, et d'âme encore, et de mollesse exquise!
Quoi! C'est là que ta vie a pris l'air et le jour!

5
Quoi! Les murs étouffants de cette étroite rue
Ont laissé, sans l'éteindre, éclore ta raison!
Quoi! C'est là qu'a brillé ta lampe disparue!
La jeune perle ainsi colore sa prison...

Où posais-tu tes pieds délicats et sensibles
10
Sur le sol irrité que j'effleure en tremblant?
Quel ange, aplanissant ces sentiers impossibles,
A soutenu ton vol sur leur pavé brûlant?
Oh! les cailloux aigus font chanceler la grâce;
Ici l'enfance, lente et craintive à souffrir
15
Pour s'élancer aux fleurs, pour en chercher la trace,
En sortant du berceau, n'apprend pas à courir:
Paresseuse, elle marche; et sa timide joie
Ressemble au papillon sur l'épine arrété:
Son aile s'y déchire avant qu'il ne la voie,
20
A son instinct rôdeur il boude tout l'été.
As-tu vu ce radeau, longue et mouvante rue,
Qui s'enfuit sur le dos du fleuve voyageur?
Osais-tu regarder, de mille ondes accrue,
Cette onde qui surgit comme un fléau vengeur!

25
Non, ce n'est pas ainsi que je rêvais ta cage,
Fauvette à tête blonde, au chant libre et joyeux!
Je suspendais ton aile à quelque frais bocage,
Plein d'encens et de jour aussi doux que tes yeux!
Et le Rhône en colère, et la Saône dormante,
30
N'avaient point baptisé tes beaux jours tramés d'or;
Dans un cercle de feu tourmentée et charmante,
J'ai cru qu'avec des fleurs tu décrivais ton sort,
Et que ton aile au vent n'était point arrêtée
Sous ces réseaux de fer aux rigides couleurs;
35
Et que tu respirais la tristesse enchantée
Que la paix du désert imprime aux jeunes fleurs;
Que tu livrais aux flots tes amoureuses larmes,
Miroir pur et profond qu'interrogeaient tes charmes;
Et que tes vers émus, nés d'un frais souvenir,
40
S'en allaient sans efforts chanter dans l'avenir!

          Mais tu vivais d'une flamme
          Raillée en ce froid séjour;
          Et tu pleurais de ton âme,
          Ô salamandre d'amour!

45
          Quand sur les feuilles parlantes
          Que ton coeur sut embraser,
          Tu laisses dans un baiser
          Courir tes larmes brûlantes,

Ô Louise! On croit voir l'éphémère éternel
50
Filer dans les parfums sa soyeuse industrie,
Lorsque, tombé du ciel, son ardente patrie,
Il en retient dans l'ombre un rayon paternel.
Fiévreux, loin du soleil, l'insecte se consume;
D'un fil d'or sur lui-même ourdissant la beauté,
55
Inaperçu dans l'arbre où le vent l'a jeté,
Sous un linceul de feu son âme se rallume!

Oui! ce sublime atome est le rêve des arts
Oui! les arts dédaignés meurent en chrysalides,
Quand la douce chaleur de caressants regards
60
Fait pousser par degrés leurs ailes invalides.
Telle, étonnée et triste au bord de son réveil,
Quelque jeune Louise ignorant sa couronne,
N'ose encor révéler à l'air qui l'environne
Qu'une âme chante et pleure autour de son sommeil.
65
Car tu l'as dit: longtemps un silence invincible,
Etendu sur ta voix qui s'éveillait sensible,
Fit mourir dans ton sein des accents tout amour,
Que tu tremblais d'entendre et de livrer au jour.

Mais l'amour! oh! l'amour se venge d'être esclave.
70
Fièvre des jeunes coeurs, orage des beaux jours,
Qui consume la vie et la promet toujours,
Indompté sous les noeuds qui lui servent d'entrave,
Oh! L'invisible amour circule dans les airs,
Dans les flots, dans les fleurs, dans les songes de l'âme,
75
Dans le jour qui languit trop chargé de sa flamme,
     Et dans les nocturnes concerts!
Et tu chantas l'amour! Ce fut ta destinée.
Belle, et femme, et naïve, et du monde étonnée,
De la foule qui passe évitant la faveur,
80
Inclinant sur ton fleuve un front tendre et rêveur,
Louise, tu chantas! à peine de l'enfance
Ta jeunesse hâtive eut perdu les liens,
L'amour te prit sans peur, sans débats, sans défense;
Il fit tes jours, tes nuits, tes tourments et tes biens!

85
Et toujours par ta chaîne au rivage attachée,
Comme une nymphe triste au milieu des roseaux,
     Des roseaux à demi cachée,
Louise, tu chantas dans les fleurs et les eaux.

De cette cité sourde, oh! que l'âme est changée!
90
Autrefois tu charmais l'oreille des pasteurs;
Autrefois, en passant, d'humbles navigateurs
Suspendaient à ta voix la rame négligée,
Et recueillant dans l'air ton rire harmonieux
Comme un écho fuyant on les entendait rire;
95
     Car sous tes doigts ingénieux,
Le luth ému disait tout ce qu'il voulait dire!

Tout ce que tu voyais de beau dans l'univers,
N'est-ce pas? comme au fond de quelque glace pure,
Coulait dans ta mémoire et s'y gravait en vers!
100
Oui! l'âme poétique est une chambre obscure
Où s'enferme le monde et ses aspects divers!
 


235
L ' I M P O S S I B L E


On ne jette point l'ancre dans la fleuve de la vie. Il emporte également celui qui lutte contre son cours et celui qui s'y abandonne.
          Bernardin de Saint-Pierre.


Qui me rendra ces jours où la vie a des ailes
Et vole, vole ainsi que l'alouette aux cieux,
Lorsque tant de clarté passe devant ses yeux,
Qu'elle tombe éblouie au fond des fleurs, de celles
5
Qui parfument son nid, son âme, son sommeil,
Et lustrent son plumage ardé par le soleil!

Ciel! un de ces fils d'or pour ourdir ma journée,
Un débris de ce prisme aux brillantes couleurs!
Au fond de ces beaux jours et de ces belles fleurs,
10
Un rêve! où je sois libre, enfant, à peine née,

Quand l'amour de ma mère était mon avenir,
Quand on ne mourait pas encor dans ma famille,
Quand tout vivait pour moi, vaine petite fille!
Quand vivre était le ciel, ou s'en ressouvenir,

15
Quand j'aimais sans savoir ce que j'aimais, quand l'âme
Me palpitait heureuse, et de quoi? Je ne sais;
Quand toute la nature était parfum et flamme,
Quand mes deux bras s'ouvraient devant ces jours... passés.



A U X   P E T I T S   E N F A N T

Seigneur! préservez-moi, préservez ceux que j'aime:
Frères, parents, amis, et mes ennemis même,
     Dans le mal triomphants,
De jamais voir, Seigneur! l'été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
     La maison sans enfants!

               Les Feuilles d'Automne.

 

250
L E   C O U C H E R
D ' U N   P E T I T   G A R C O N



Regarde: plus de feux, plus de bruit. Tout se tait.
La lune tout à l'heure à l'horizon montait,
Tandis que tu parlais.
          Victor Hugo.


Couchez-vous, petit Paul! il pleut. C'est nuit: c'est l'heure.
Les loups sont au rempart. Le chien vient d'aboyer.
La cloche a dit: «Dormez!» et l'ange gardien pleure,
Quand les enfants si tard font du bruit au foyer.

5
«Je ne veux pas toujours aller dormir; et j'aime
A faire étinceler mon sabre au feu du soir;
Et je tuerai les loups! Je les tuerai moi-même!»
Et le petit méchant, tout nu! vint se rasseoir.

Où sommes-nous? mon Dieu! donnez-nous patience;
10
Et surtout soyez Dieu! Soyez lent à punir:
L'âme qui vient d'éclore a si peu de science!
Attendez sa raison, mon Dieu! dans l'avenir.

L'oiseau qui brise l'oeuf est moins près de la terre,
Il vous obéit mieux: au coucher du soleil,
15
Un par un descendus dans l'arbre solitaire,
Sous le rideau qui tremble ils plongent leur sommeil.

Au colombier fermé nul pigeon ne roucoule;
Sous le cygne endormi l'eau du lac bleu s'écoule,
Paul! trois fois la couveuse a compté ses enfants;
20
Son aile les enferme; et moi, je vous défends!

La lune qui s'enfuit, toute pâle et fâchée,
Dit: «Quel est cet enfant qui ne dort pas encor?»
Sous son lit de nuage elle est déjà couchée;
Au fond d'un cercle noir la voilà qui s'endort.

25
Le petit mendiant, perdu seul à cette heure,
Rôdant avec ses pieds las et froids, doux martyrs!
Dans la rue isolée où sa misère pleure,
Mon Dieu! qu'il aimerait un lit pour s'y blottir!»

Et Paul, qui regardait encore sa belle épée,
30
Se coucha doucement en pliant ses habits:
Et sa mère bientôt ne fut plus occupée
Qu'à baiser ses yeux clos par un ange assoupis!
 


250
L ' O R E I L L E R
D ' U N E   P E T I T E   F I L L E



Aux petits des oiseaux il donne la pâture,
Et sa bonté s'étend sur toute la nature.
          Athalie.


Cher petit oreiller, doux et chaud sous ma tête,
Plein de plume choisie, et blanc, et fait pour moi!
Quand on a peur du vent, des loups, de la tempête,
Cher petit oreiller, que je dors bien sur toi!

5
Beaucoup, beaucoup d'enfants, pauvres et nus, sans mère,
Sans maison, n'ont jamais d'oreiller pour dormir;
Ils ont toujours sommeil, ô destinée amère!
Maman! douce maman! cela me fait gémir.

Et quand j'ai prié Dieu pour tous ces petits anges
10
Qui n'ont pas d'oreiller, moi j'embrasse le mien.
Seule, dans mon doux nid qu'à tes pieds tu m'arranges,
Je te bénis, ma mère, et je touche le tien!

Je ne m'éveillerai qu'à la lueur première
De l'aube; au rideau bleu c'est si gai de la voir!
15
Je vais dire tout bas ma plus tendre prière:
Donne encore un baiser, douce maman! Bonsoir!

          P r i è r e

Dieu des enfants! le coeur d'une petite fille,
Plein de prière, (écoute!) est ici sous mes mains;
On me parle toujours d'orphelins sans famille:
20
Dans l'avenir, mon Dieu, ne fais plus d'orphelins!

Laisse descendre au soir un ange qui pardonne,
Pour répondre à des voix que l'on entend gémir.
Mets, sous l'enfant perdu que la mère abandonne,
Un petit oreiller qui le fera dormir!
 


251
L ' E P H E M E R E


Je suis trop délicat, trop faible et trop petit,
Pour porter vos fruits mûrs et porter vos corbeilles,
Dépouiller les tilleuls du trésor des abeilles,
Courber de vos moissons la féconde épaisseur;
Mais je vous enverrai l'Automne: c'est ma soeur.
          M. H. de Latouche.


Frêle création de la fuyante aurore,
Ouvre-toi comme un prisme au soleil qui le dore,
Va dire ta naissance au liseron d'un jour,
Va! Tu n'as que le temps de deviner l'amour!

5
Et c'est mieux, c'est bien mieux que de le trop connaître,
Mieux de ne pas survivre au jour qui le vit naître.
Happe sa douce amorce, et que ton aile, enfant,
Joue avec ce flambeau! Rien ne te le défend.
Né dans le feu, ton vol en cercles s'y déploie
10
Et sème des anneaux de lumière et de joie.
Le fil de tes hasards est court, mais il est d'or!
Nul regret ne pendra lugubre sur ton sort,
Nul adieu ne viendra gémir dans l'harmonie
De ton jour de musique et d'ivresse infinie;
15
Ce que tu vas aimer durera tes instants;
Tu ne verras le deuil ni les rides du temps.
Les feuillets de ton sort sont des feuilles de rose.
Fiévreuse de soleil et d'encens, quel destin!
Atome délecté dans le miel qui l'arrose,
20
Sonne ta bien-venue au banquet du matin.

Je t'envie! Et Dieu t'aime, innocent éphémère;
Tu nais sans déchirer le beau flanc de ta mère;
Ce penser triste et doux ne te fait point de pleurs:
Il ne t'impose pas comme un remords de vivre.
25
Tu n'as point à traîner ton coeur lourd comme un livre.
Heureux rien! Ta carrière est au bout de ces fleurs.
Bois ta vie à leur âme, et que ta prompte haleine
Goûte à tous les parfums dont s'abreuve la plaine.
Hâte-toi! Si le ciel commence à se couvrir,
30
Une goutte de pluie inondera tes ailes:
Avant d'avoir vécu, tu ne veux pas mourir.
Toi! Les fleurs vont au soir: ne tombe qu'après elles.
Bonjour! Bonheur! Adieu! Trois mots pour ton soleil.
Et pour nous, que de nuits jusqu'au dernier sommeil!
35
Le long vivre n'apprend que des fables railleuses.
Tristement recueillis sous nos ailes frileuses,
Nous épions l'espoir, qui n'ourdit qu'un regret:
Et l'espoir n'ouvre pas sa belle chrysalide,
Et c'est un fruit coulé sous son écorce vide,
40
Et le vrai, c'est la mort! - et j'attends son secret.

Oh! Ce sera la vie. Oh! Ce sera vous-même,
Rêve, à qui ma prière a tant dit: Je vous aime.
Ce sera pleur par pleur, et tourment par tourment,
Des âmes en douleurs le chaste enfantement!
 


252
L E   C O N V O I
D ' U N   A N G E



A ma mère qui n'est plus

L'esprit céleste, ému d'une sainte tristesse,
Consulte, l'oeil aux cieux, l'eternelle sagesse;
La Tout-Puissant faire signe, et, d'un facile effort,
Soulevant dans ses bras l'innocent qui sommeille,
Il presse sa paupière et sa lèvre vermeille:
«Sois heureux!» lui dit-il; et l'enfant était mort.
          Feu Ch. Loyson.


Mon dieu! Ce que j'entends si suave en moi-même,
Qui s'éveille, qui chante au milieu de mon coeur,
Sonore tremblement qui m'attriste et que j'aime,
Est-ce un timbre dans l'âme? Est-ce un oiseau moqueur,
5
Qui fait ces voix d'enfant autre part entendues,
Douces voix que la terre a pour jamais perdues?
Dieu! Quel écho profond pour de si faibles voix!

Quand j'ignorais la mort, je pense qu'une fois
On me fit blanche et belle, et qu'on serra ma tête
10
D'une tresse de fleurs comme pour une fête;
Qu'une gaze tombait sur mes souliers plus beaux;
Et qu'à travers le jour nous portions des flambeaux:
Et puis, qu'un long ruban nous tenait, jeunes filles
Prises pour le cortège au sein de nos familles.

15
Oui, de mes jours pleurés je vois sortir ce jour
Tout soleil! Ruisselant sur la fraîche chapelle
Où je voudrais prier quand je me la rappelle.
Enfants, nous emportions à son dernier séjour
Un enfant plus léger, plus peureux de la terre,
20
Et qui s'en retournait habillé de mystère,
Furtif comme l'oiseau sur nos toits entrevu,
Posé pour nous chanter son passage imprévu,
Dont la flèche invisible a détendu les ailes,
Et qui se traîne aux fleurs, et disparaît sous elles!

25
Je souriais pourtant, car je ne savais pas
Si l'église tintait la vie ou le trépas.
Ma mère était plus tendre et me pressait contre elle.
«Dieu!» disait-elle, «ô Dieu! cachez-la dans votre aile!»
Et puis en me baisant: «Tu laisseras tomber
30
Tes fleurs en saluant l'autel de la madone;
Dans l'eau sainte, petite, il faut les imbiber;
Mets ton flambeau dans l'ombre; elle sait bien qui donne.
Regarde si la flamme a monté vers les cieux,
Ma fille, et ne va pas en détourner les yeux!
35
Tiens, voilà pour le pauvre: il faut l'aider; il prie
Celle qui va te voir et qu'on nomme Marie.»
Émue elle ajouta: «Toi, tu vivras toujours!»
Et je trouvai ce jour plus beau que d'autres jours.

Bel âge somnambule! Enchanté d'ignorance,
40
Qui ne sait pas qu'on meurt, et qui vit d'espérance!
Qui croit que le malheur et pour le méchant... Mais
Où sont-ils les méchants? En a-t-on vu jamais?
O tissu d'harmonie! ô premières années,
Où les âmes sans peur s'envolent pardonnées,
45
Où pas un chant n'est faux, pas un écho défait,
Où chaque bruit nouveau frappe un accord parfait!

Nous entrâmes sans bruit dans la chapelle ouverte,
Étrangère au soleil sous sa coupole verte.
Là, comme une eau qui coule au milieu de l'été,
50
On entendait tout bas courir l'éternité.
Quelque chose de tendre y languissait: du lierre
Y tenait doucement la vierge prisonnière;
Parmi le jour douteux qui flottait dans le choeur,
On voyait s'abaisser et s'élever son coeur.
55
Je le croirai toujours: c'était comme une femme
Sur ses genoux émus tenant son premier-né,
Chaste et nu, doux et fort, humble et prédestiné,
Déjà si plein d'amour qu'il nous attirait l'âme!

La mort passait sans pleurs. Hélas! On n'avait pu
60
Porter la mère au seuil où la blanche volée,
Sur la petite boîte odorante et voilée,
Reprenait l'hymne frêle aux vents interrompu:
Et le deuil n'était pas dans notre frais cortège;
Car le prêtre avait dit: «Enfant, Dieu te protège;
65
Dieu t'enlève au banquet mortel qui t'appelait,
Encor gonflé pour toi de larmes et de lait!»

Et quand je ne vis plus ce doux fardeau de roses
Trembler au fond du voile au soleil étendu,
On dit: «Regarde au ciel!» et je vis tant de choses
70
Que je l'y crus porté par le vent, ou perdu,
Fait ange dans l'azur inondé de lumière;
Car l'or du ciel fondait en fils étincelants,
Et tant de jour coulait sur nos vêtements blancs
Qu'il fallut curieuse en ôter ma paupière.

75
Longtemps tout fut mobile et rouge sous ma main,
Et je ne pus compter les arbres du chemin.
Sous le toit sans bonheur on nous reçut encore;
Le jardin nous offrit ce que l'enfance adore,
Et nous trouvâmes bons les fruits de l'ange. Hélas!
80
Une chambre était triste: elle ne s'ouvrit pas;
Et nous fîmes un feu des églantines mortes,
Dont l'enfant qui s'en va fait arroser les portes.

L'enfant aimé de Dieu n'est jamais revenu;
Sage, il trouva son nid assez grand pour sa tombe.
85
Oui, vous l'aimiez, mon dieu! Car la jeune colombe
N'emporta point de terre à son pied rose et nu.

 
 
 
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