BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Jules Laforgue

1860 – 1887

 

Le Sanglot de la terre

 

5° SPLEEN

 

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[COUCHANT D'ÉTÉ]

SOLEIL COUCHANT DE JUIN

 

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Au Bois

 

Ah! triste, n'est-ce pas, triste, inutile et sale,

Ta besogne, ô Soleil, malgré tes aubes d'or,

Malgré tes beaux couchants si douloureux d'essor,

Roses d'amour de quelque ardente cathédrale!

 

Partout, toujours, fouailler les Vices noirs blottis!

– Car, depuis que la vie ici-bas est éclose,

Ò coeur de Pureté, tu ne fais autre chose

Que chasser devant toi des êtres de leurs lits!

 

À travers nos rideaux tu sonnes tes fanfares

Et les couples poussifs aux yeux bouffis d'amour

Réparent leur désordre, en se cachant du jour

Qui glace les sueurs des voluptés trop rares.

 

Mais tu ne songes pas que là-bas, ô Soleil,

Là-bas, l'autre moitié n'attendait que ta chute,

Et rentre en ce moment dans ses fanges de brute

En prétextant le noir,... l'usage,... le sommeil!

 

Or, à notre horizon tu n'es pas mort encore

Pour aller fustiger de rayons ces pourceaux,

Que nos millions de lits referment leurs rideaux

Sur des couples rêvant de ne plus voir l'aurore!

 

– Ah! triste, triste va, triste, inutile et sale,

Ta besogne, ô Soleil!, malgré tes aubes d'or,

Malgré tes beaux couchants si douloureux d'essor,

Roses d'amour de quelque ardente cathédrale.

 

30 juin, Luxembourg.