BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Jules Laforgue

1860 – 1887

 

Le Sanglot de la terre

 

Poèmes contemporains

du «Sanglot de la Terre»

 

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AU LIEU DES

«DERNIERS SACREMENTS»

 

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Il me fit appeler; c'était un soir d'automne.

Dans sa mansarde au froid de loup,

Il grelottait au lit, phtisique et le teint jaune

Comme une chandelle d'un sou.

Son coffre caverneux râlait comme un vieil orgue,

Sa peau prenait déjà le ton

Des verdâtres noyés qu'aux dalles de la Morgue

On voit s'étaler tout du long.

– Mon cher, je vais crever, me dit-il dans un rire

Qui figea la moelle en mes os,

Pour m'achever, sais-tu, je voudrais un vampire

Qui d'un baiser vidât mon dos!

Je descendis très-calme, au coin d'une ruelle

Sifflai le premier blanc jupon

Que j'aperçus flairant un mâle en quête de femelle

Et lui montrai le moribond.

Quand je l'eus mise au fait de sa besogne sombre

Je vis se cabrer ses deux seins

Et dans ses regards chauds de nuits folles sans nombre

Se réveiller ses sens éteints.

Elle se dévêtit, bâilla, fit une pause

Puis, comme sous un fouet cuisant,

Sur sa babine en feu passant sa langue rose

Bondit près de l'agonisant!

Lui, sentant à ce Souffle un hurlant flot de lave

Bouillonner dans ses reins gelés,

Un éclair de rut fou flamba dans son oeil cave

Il dit quelques mots étranglés

Et je les vis s'étreindre. Ainsi sur un roc chauve

Un noeud de vipères se tord.

Je sortis, les laissant à leur lutte âpre et fauve.

Le lendemain, il était mort.

Il gisait pâle et grêle étendu sur sa couche,

Les flancs vidés, les sens repus.

La pieuvre avait pompé sa vie avec sa bouche

Collée en des baisers goulus!

D'un drap propre où le coudre elle lui fit l'aumône,

On le descendit dans un trou –

Et moi j'ai mis en vers le phtisique au teint jaune

Comme une chandelle d'un sou.