BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Charles Baudelaire

1821 - 1867

 

Franciscae meae laudes

 

Flores mali LX

1857

 

Textus:

Les Fleurs du mal (1857), Wikisource

 

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Franciscæ meæ laudes

 

Vers composés pour une modiste érudite et dévote.

 

«Ne semble-t-il pas au lecteur, comme à moi, que la langue de la dernière décadence latine - suprême soupir d'une personne robuste, déjà transformée et préparée pour la vie spirituelle - est singulièrement propre à exprimer la passion telle que l'a comprise et sentie le monde poétique moderne ? La mysticité est l'autre pôle de cet aimant dont Catulle et sa bande, poètes brutaux et purement épidermiques, n'ont connu que le pôle sensualité. Dans cette merveilleuse langue, le solécisme, le barbarisme me paraissent rendre les négligences forcées d'une passion qui s'oublie et se moque des règles. Les mots, pris dans une acception nouvelle, révèlent la maladresse charmante du barbare du nord, agenouillé devant la beauté romaine. Le calembour lui-même, quand il traverse ces pédantesques bégayements, ne joue-t-il pas la grâce sauvage et baroque de l'enfance?»

 

Novis te cantabo chordis,

O novelletum quod ludis

In solitudine cordis.

 

Esto sertis implicata,

5

O femina delicata,

Per quam solvuntur peccata!

 

Sicut beneficum Lethe,

Hauriam oscula de te,

Quæ imbuta es magnete.

 

10

Quum vitiorum tempestas

Turbabat omnes semitas,

Apparuisti, Deitas,

 

Velut stella salutaris

In naufragiis amaris.

15

– Suspendam cor tuis aris!

 

Piscina plena virtutis,

Fons æternæ juventutis,

Labris vocem redde mutis !

 

Quod erat spurcum, cremasti;

20

Quod rudius, exæquasti;

Quod debile, confirmasti.

 

In fame mea taberna,

In nocte mea lucerna,

Recte me semper guberna.

 

25

Adde nunc vires viribus,

Dulce balneum suavibus

Unguentatum odoribus!

 

Meos circa lumbos mica,

O castitatis lorica,

30

Aqua tincta seraphica;

 

Patera gemmis corusca,

Panis salsus, mollis esca,

Divinum vinum, Francisca!

 

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«... En effet, les hommes qui ont été élevés par les femmes et parmi les femmes ne ressemblent pas tout à fait aux autres hommes, en supposant même l'égalité dans le tempérament ou dans les facultés spirituelles. Le bercement des nourrices, les câlineries maternelles, les chatteries des soeurs, surtout des soeurs aînées, espèce de mères diminutives, transforment, pour ainsi dire, en la pétrissant, la pâte masculine.

L'homme qui, dès le commencement, a été longtemps baigné dans la molle atmosphère de la femme, dans l'odeur de ses mains, de son sein, de ses genoux, de sa chevelure, de ses vêtements souples et flottants,

Dulce balneum suavibus

Unguentatum odoribus,

y a contracté une délicatesse d'épiderme et une distinction d'accent, une espèce d'androgynéité, sans lesquelles le génie le plus âpre et le plus viril reste, relativement à la perfection dans l'art, un être incomplet. Enfin, je veux dire que le goût précoce du monde féminin, mundi muliebris, de tout cet appareil ondoyant, scintillant et parfumé, fait les génies supérieurs; et je suis convaincu que ma très intelligente lectrice absout la forme presque sensuelle de mes expressions, comme elle approuve et comprend la pureté de ma pensée. ...»

(Les Paradis artificiels)