bibliotheca Augustana
BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

François Villon

1431 - vers 1470

 

L'Epitaphe Villon

(Ballade des pendus)

 

1462

 

Texte:

François Villon, Oeuvres

Édition critique avec notices et glossaire

par Louis Thuasne, Paris: Auguste Picard 1923

Fac-similé: Internet Archive

 

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L'Epitaphe Villon

 

Édition 1489, fol. 45r (BNF Gallica)

 

Freres humains qui apres nous vivez,

N'ayez les cuers contre nous endurcis,

Car, se pitié de nous povres avez,

Dieu en aura plus tost de vous mercis.

5

Vous nous voiez cy attachez cinq, six:

Quant de la char, que trop avons nourrie,

Elle est pieça devoree et pourrie,

Et nous, les os, devenons cendre et pouldre.

De nostre mal personne ne s'en rie;

10

Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

 

Se vous clamons freres, pas n'en devez

Avoir desdaing, quoy que fusmes occis

Par justice. Toutesfois, vous sçavez

Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis;

15

Excusez nous, puis que sommes transis,

Envers le fils de la Vierge Marie,

Que sa grace ne soit pour nous tarie,

Nous preservant de l'infernale fouldre.

Nous sommes mors, ame ne nous harie;

20

Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

 

La pluye nous a buez et lavez,

Et le soleil dessechiez et noircis;

Pies, corbeaulx, nous ont les yeux cavez.

Et arrachié la barbe et les sourcis.

25

Jamais nul temps nous ne sommes assis;

Puis ça, puis la, comme le vent varie,

A son plaisir sans cesser nous charie,

Plus becquetez d'oyseaulx que dez a couldre.

Ne soiez donc de nostre confrarie;

30

Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

 

Prince Jhesus, qui sur tous seigneurie,

Garde qu'Enfer n'ait de nous la maistrie:

A luy n'ayons que faire ne que souldre.

Hommes, icy n'a point de mocquerie;

35

Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!