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BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

François Villon

1431 - vers 1470

 

Épître à Marie d'Orléans

(Le Dit de la naissance Marie)

 

1458

 

Texte:

François Villon, Oeuvres

Édition critique avec notices et glossaire

par Louis Thuasne, Paris: Auguste Picard 1923

Fac-similé: Internet Archive

 

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Épître à Marie d'Orléans

 

Jam nova progenies celo demittitur alto.

O louee conception

Envoiee ça jus des cieulx,

Du noble lis digne syon,

4

Don de Jhesus tres precieulx,

MARIE, nom tres gracieulx,

Fons de pitié, source de grace,

La joye, confort de mes yeulx,

8

Qui nostre paix bastist et brasse!

 

La paix, c'est assavoir, des riches,

Des povres le substantement,

Le rebours des felons et chiches,

12

Tres necessaire enfantement,

Conceu, porté honnestement,

Hors le pechié originel,

Que dire je puis sainctement

16

Souvrain bien de Dieu eternel!

 

Nom recouvré, joye de peuple,

Confort des bons, des maulx retraicte;

Du doulx seigneur premiere et seule

20

Fille, de son cler sang extraicte,

Du dextre costé Clovis traicte;

Glorieuse ymage en tous fais,

Ou hault ciel creee et pourtraicte

24

Pour esjouÿr et donner paix!

 

En l'amour et crainte de Dieu

Es nobles flans Cesar conceue,

Des petis et grans en tout lieu

28

A tres grande joye receue,

De l'amour Dieu traicte, tissue,

Pour les discordez ralier

Et aux enclos donner yssue,

32

Leurs lians et fers delier.

 

Aucunes gens, qui bien peu sentent,

Nourris en simplesse et confis,

Contre le vouloir Dieu attentent,

36

Par ignorance desconfis,

Desirans que feussiez ung fils;

Mais qu'ainsi soit, ainsi m'aist Dieux,

Je croy que ce soit grans proufis.

40

Raison: Dieu fait tout pour le mieulx.

 

Du Psalmiste je prens les dis:

Delectasti me, Domine,

In factura tua; si dis:

44

Noble enfant, de bonne heure né,

A toute doulceur destiné,

Manne du Ciel, céleste don,

De tous bienfais le guerdonné,

48

Et de noz maulx le vray pardon!

 

[Double ballade.]

 

Combien que j'ay leu en ung dit:

Inimicum putes, y a,

Qui te presentem laudabit,

Toutesfois, non obstant cela,

52

Oncques vray homme ne cela

En son courage aucun grant bien,

Qui ne le montrast ça et la:

56

On doit dire du bien le bien.

 

Saint Jehan Baptiste ainsy le fist,

Quant l'Aignel de Dieu descela.

En ce faisant pas ne mesfist,

60

Dont sa voix es tourbes vola;

De quoy saint Andry Dieu loua,

Qui de lui cy ne sçavoit rien,

Et au Fils de Dieu s'aloua:

64

On doit dire du bien le bien.

 

Envoiee de Jhesuschrist,

Rappeliez ça jus par deça

Les povres que Rigueur proscript

68

Et que Fortune betourna.

Si sçay bien comment il m'en va:

De Dieu, de vous, vie je tien.

Benoist celle qui vous porta!

72

On doit dire du bien le bien.

 

Cy, devant Dieu, fais congnoissance

Que creature feusse morte,

Ne feust vostre doulce naissance,

76

En charité paissant et forte,

Qui ressuscite et reconforte

Ce que Mort avoit prins pour sien.

Vostre presence me conforte:

80

On doit dire du bien le bien.

 

Cy vous rans toute obeÿssance,

Ad ce faire raison m'exorte,

De toute ma povre puissance;

84

Plus n'est deul qui me desconforte,

N'aultre ennuy de quelconque sorte.

Vostre je suis et non plus mien;

Ad ce, droit et devoir m'enhorte:

88

On doit dire du bien le bien.

 

O grace et pitié tres immence,

L'entree de paix et la porte,

Some de bénigne clémence,

92

Qui noz faultes toult et supporte,

Si de vous louer me deporte,

Ingrat suis, et je le maintien,

Dont en ce refrain me transporte:

96

On doit dire du bien le bien.

 

Princesse, ce loz je vous porte,

Que sans vous je ne fausse rien.

A vous et a tous m'en rapporte:

100

On doit dire du bien le bien.

 

Euvre de Dieu, digne, louee

Autant que nulle creature,

De tous biens et vertus douee,

104

Tant d'esperit que de nature

Que de ceulx qu'on dit d'aventure,

Plus que rubis noble ou balais;

Selon de Caton l'escripture:

108

Patrem insequitur proles.

 

Port asseuré, maintien rassiz,

Plus que ne peut nature humaine,

Et eussiez des ans trente six;

112

Enfance en riens ne vous demaine.

Que jour ne le die et sepmaine.

Je ne sçay qui le me deffant.

Ad ce propos ung dit ramaine:

116

«De saige mere saige enfant.»

 

Dont resume ce que j'ay dit:

Nova progenies celo,

Car c'est du poëte le dit,

120

Jamjam demittitur alto.

Saige Cassandre, belle Echo,

Digne Judith, caste Lucresse,

Je vous cognois, noble Dido,

124

A ma seule dame et maistresse.

 

En priant Dieu, digne pucelle,

Qu'il vous doint longue et bonne vie;

Qui vous ayme, ma damoiselle,

128

Ja ne coure sur luy envie.

Entiere dame et assouvie,

J'espoir de vous servir ainçoys,

Certes, se Dieu plaist, que devie

132

Vostre povre escolier FRANÇOYS.