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B  I  B  L  I  O  T  H  E  C  A    A  U  G  U  S  T  A  N  A

 

 

 

 
Louïze Labé
vers 1525 - 1566
 


 






 






Page de titre 1555


     A M[ademoiselle]
     C[lémence] D[e] B[ourges]
     L[yonnoise]



     Estant le tems venu, Madamoiselle, que les severes loix des hommes n'empeschent plus les femmes de s'apliquer aus sciences et disciplines: il me semble que celles qui ont la commodité, doivent employer cette honneste liberté que notre sexe ha autrefois tant desiree, à icelles aprendre: et montrer aus hommes le tort qu'ils nous faisoient en nous privant du bien et de l'honneur qui nous en pouvoit venir: Et si quelcune parvient en tel degré, que de pouvoir mettre ses concepcions par escrit, le faire songneusement et non dédaigner la gloire, et s'en parer plustot que de chaines, anneaus, et somptueus habits: lesquels ne pouvons vrayment estimer notres, que par usage. Mais l'honneur que la science nous procurera, sera entierement notre: et ne nous pourra estre oté, ne par finesse de larron, ne force d'ennemis, ne longueur du temps. Si j'eusse esté tant favorisee des Cieus, que d'avoir l'esprit grand assez pour comprendre ce dont il ha ù envie, je servirois en cet endroit plus d'exemple que d'amonicion. Mais ayant passé partie de ma jeunesse à l'exercice de la Musique, et ce qui m'a resté de tems l'ayant trouvé court pour la rudesse de mon entendement, et ne pouvant de moymesme, satisfaire au bon vouloir que je porte à notre sexe, de le voir non en beauté seulement, mais en science et vertu passer ou egaler les hommes: je ne puis faire autre chose que prier les vertueuses Dames d'eslever un peu leurs esprits par-dessus leurs quenoilles et fuseaus, et s'employer à faire entendre au monde que si nous ne sommes faites pour commander, si ne devons nous estre desdaignees pour compagnes tant en afaires domestiques que publiques, de ceus qui gouvernent et se font obeïr. Et outre la reputacion que notre sexe en recevra, nous aurons valù au publiq, que les hommes mettront plus de peine et d'estude aus sciences vertueuses, de peur qu'ils n'ayent honte de voir preceder celles, desquelles ils ont pretendu estre tousjours superieurs quasi en tout. Pource, nous faut il animer l'une l'autre à si louable entreprise: De laquelle ne devez eslongner ny espargner votre esprit, jà de plusieurs et diverses graces accompagné, ny votre jeunesse, et autres faveurs de fortune, pour aquerir cet honneur que les lettres et les sciences ont acoutumé porter aus personnes qui les suyvent. S'il y ha quelque chose recommandable apres la gloire et l'honneur, le plaisir que l'estude des lettres ha accoutumé donner nous y doit chacune inciter: qui est autre que les autres recreacions: desquelles quand on en ha pris tant que l'on veut, on ne se peut vanter d'autre chose, que d'avoir passé le tems. Mais celle de l'estude laisse un contentement de soy, qui nous demeure plus longuement: Car le passé nous resjouit, et sert plus que le present: mais les plaisirs des sentimens se perdent incontinent, et ne reviennent jamais, et en est quelquefois la memoire autant facheuse, comme les actes ont esté delectables. Davantage les autres voluptez sont telles, que quelque souvenir qui en vienne, si ne nous peut il remettre en telle disposicion que nous estions: et quelque imaginacion forte que nous imprimions en la teste, si connoissons nous bien que ce n'est qu'une ombre du passé qui nous abuse et trompe. Mais quand il avient que mettons par escrit nos concepcions, combien que puis apres notre cerveau coure par une infinité d'afaires et incessamment remue, si est ce que long tems apres, reprenans nos escrits, nous revenons au mesme point, et à la mesme disposicion ou nous estions. Lors nous redouble notre aise, car nous retrouvons le plaisir passé qu'avons ù ou en la matiere dont nous escrivions, ou en l'intelligence des sciences ou lors estions adonnez. Et outre ce, le jugement que font nos secondes concepcions des premieres, nous rend un singulier contentement. Ces deus biens qui proviennent d'escrire vous y doivent inciter, estant asseuree que le premier ne faudra d'accompagner vos escrits, comme il fait tous vos autres actes et façons de vivre. Le second sera en vous de le prendre, ou ne l'avoir point: ainsi que ce dont vous escrirez vous contentera. Quant à moy tout en escrivant premierement ces jeunesses que en les revoyant depuis, je n'y cherchois autre chose qu'un honneste passetems et moyen de fuir oisiveté: et n'avoy point intencion que personne que moy les dust jamais voir. Mais depuis que quelcuns de mes amis ont trouvé moyen de les lire sans que j'en susse rien, et que (ainsi comme aisément nous croyons ceus qui nous louent) ils m'ont fait à croire que les devois mettre en lumiere: je ne les ay osé esconduire, les menassant ce pendant de leur faire boire la moitié de la honte qui en proviendroit. Et pource que les femmes ne se montrent volontiers en publiq seules, je vous ay choisie pour me servir de guide, vous dediant ce petit euvre, que ne vous envoye à autre fin que pour vous acertener du bon vouloir lequel de long tems je vous porte, et vous inciter et faire venir envie en voyant ce mien euvre rude et mal bati, d'en mettre en lumiere un autre, qui soit mieus limé et de meilleure grace.

     Dieu vous maintienne en santé.

     De Lion, ce 24 juillet 1555.

     Votre humble Amie,

     Louïze Labé.


     

     Portrait de Louise Labé
     par Pierre Waeiriot, 1555

 
 
 
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