B  I  B  L  I  O  T  H  E  C  A    A  U  G  U  S  T  A  N  A
           
  Voltaire
1694 - 1778
     
   


D i c t i o n n a i r e
p h i l o s o p h i q u e ,
p o r t a t i f


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     B E A U ,   B E A U T É .

     Demandez à un crapaud ce que c'est que la beauté, le grand beau, le to kalon. Il vous répondra que c'est sa femelle avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. Interrogez un nègre de Guinée; le beau est pour lui une peau noire, huileuse, des yeux enfoncés, un nez épaté.
     Interrogez le diable; il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes, et une queue. Consultez enfin les philosophes, ils vous répondront par du galimatias; il leur faut quelque chose de conforme à l'archétype du beau en essence, au to kalon.
     J'assistais un jour à une tragédie auprès d'un philosophe. «Que cela est beau! disait-il. - Que trouvez-vous là de beau? lui dis-je. - C'est, dit-il, que l'auteur a atteint son but.» Le lendemain il prit une médecine qui lui fit du bien. «Elle a atteint son but, lui dis-je; voilà une belle médecine!» Il comprit qu'on ne peut pas dire qu'une médecine est belle, et que pour donner à quelque chose le nom de beauté, il faut qu'elle vous cause de l'admiration et du plaisir. Il convint que cette tragédie lui avait inspiré ces deux sentiments, et que c'était là le to kalon, le beau.
     Nous fîmes un voyage en Angleterre: on y joua la meme pièce, parfaitement traduite; elle fit bâiller tous les spectateurs. «Oh! oh, dit-il, le to kalon n'est pas le même pour les Anglais et pour les Français.» Il conclut, après bien des réflexions, que le beau est souvent très relatif, comme ce qui est décent au Japon est indécent à Rome, et ce qui est de mode à Paris ne l'est pas à Pékin; et il s'épargna la peine de composer un long traité sur le beau.