BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Le Cousin Jacques

1757 - 1811

 

Lettre de

Guillaume-Le-Disputeur

au Cousin-Jacques sur l'état

présent de nos colonies

 

1795

 

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[5]

La France peut-elle, doit-elle conſerver

la ſouveraineté des Iſles à ſucre?

 

 

ON lit, dans les débats entre Polverel & Sonthanax & leurs dénonciateurs, qu'un commiſſaire de Saint-Domingue diſait, en 1790 à Mirabeau qui lui préſentait l'affranchiſſement des noirs & l'égalité des affranchis, comme une meſure dictée par l'humanité & par l'utilité publique.

«Qu'arrivera-t-il, quand, par l'exécution de ce projet, vous aurez chaſſé tous les colons blancs? Vous romprez les liens du ſang, de l'amitiê, de l'intérêt; les rapports de goûts, de langage, d'habitudes qui uniſſent les blancs à la Mère-patrie; & alors la première puiſſance qui ſe préſentera conquèrera vos Iſles à ſucre.»

Voilà préciſément ce qui eſt arrivé. Les débats entre Polverel & Sonthanax & leurs dénonciateurs, le prouvent juſqu'à l'évidence. Les Anglais ne ſe ſont emparés particulièrement de Saint-Domingue, qu'après le maſſacre & la diſperſion des colons blancs; & dans les dépêches dernièrement remiſes au miniſtre de la marine, par les envoyés de l'armée de Saint Domingue: on lit textuellement dans ſes inſtructions données à ces envoyés: [6]

«Qu'il eſt triſte d'être obligé de dire que ces mêmes hommes (les noirs) armés pour repouſſer les ennemis de leur liberté, n'employent que trop-souvent leurs armes contre leurs libérateurs & leurs frères. Soupçonneux, ne connaiſſant pas les vraies bornes de la liberté, bien éloignés d'avoir atteint le degré de lumière néceſſaire à des hommes civiliſés, ſouvent plus à plaindre que coupables, leur ignorance eſt une reſſource toujours renaiſſante pour la faction liberticide qui, enhardie par une marine aſſez nombreuſe, dont les Anglais font un vain étalage ſur nos côtes, ne ceſſe de ſe jouer de leur crédulité & d'abuſer de la facilité qu'il y a de les induire en erreur, pour ſemer la diviſion, ralumer les guerres inteſtines, qui n'ont que trop long-temps dévaſté cette portion précieuſe de la République, & favoriſer par-là les projets deſtructeurs que nos farouches ennemis, les Anglais, méditent depuis ſi long-temps

Dans le rapport fait par l'Adjudant Brideau, Capitaine au 106.e régiment d'infanterie, on lit que dans la miſſion qui lui a été confiée vers Etienne Daty, chef des noirs révoltés contre l'autorité légitime, ces mêmes noirs diſaient:

«Vive la République pas bon; vive le Roi.... macaques blancs, tu ne connais pas la guerre à Congos, mais tu la connaîtras & [7] nous vous tuerons tous; que le ſang des blancs étoit doux trop».

On lit encore dans ce même rapport que le chef des révoltés Baracia diſait à l'Adjudant Brideau:

«On dit que nous voulons être Anglais; oui nous le voulons! n'eſt-ce pas mes frères? en ſe tournant vers les ſoldats qui crièrent tous oui!»

Enfin on lit dans la lettre du Gouverneur de Saint-Domingue, Etienne Laveaux, à l'armée du port de Paix:

«Le danger eſt preſſant; les Anglais ont fait leur coalition avec les nègres de Jean-François, qui ont aujourd'hui Titus à leur tête. Les fuſils, les poudres, ſont débarqués de ce jour».

Après cet aveu d'hommes abſolument étrangers aux intérêts, aux paſſions dont on a toujours accuſé les colons blancs, après le témoignage du gouverneur Laveaux, d'autant moins ſuſpect, qu'il a été le principal collaborateur de Polverel & Sonthanax à Saint-Domingue, il ne doit plus reſter de doute aux gens impartiaux, que les hommes de couleur & les noirs, après avoir été les inſtrumens de la dévaſtation de nos Colonies, n'ayent réaliſé ce que diſait ce Colon à Mirabeau, en 1790; c'eſt-à-dire qu'ils n'ayent été, ne ſoient encore les inſtrumens [8] employés pour faciliter à l'Angleterre la conquête de nos Iſles à ſucre.

Dans les débats dont il vient d'être parlé, on lit encore qu'en 1790, à la ſollicitation de Mirabeau, ce même commiſſaire de Saint Domingue eut un entretien avec Gilbert Elliot, ambaſſadeur ſecret d'Angleterre à Paris; on voit qu'il lui disoit:

«Le rétabliſſement de l'ancienne monarchie n'eſt pas ce qui vous importe en France. Vous ne pouvez oublier que vous avez à vous venger d'elle, pour avoir ſi bien ſecondé l'indépendance des États-unis d'Amérique, & de ce qu'elle ait mis par-là un ſi grand obſtacle au ſyſtême d'envahiſſement qui, de votre part, fut le motif de la guerre de 1756. Malgré vos proteſtations d'amitié, je ne me diſſimule pas que quarante vaiſſeaux de ligne que vous avez armés, ainſi que l'Eſpagne, ne peuvent avoir pour motif votre différend ſur l'établiſſement de Noutka-Sund: différend pour lequel il ſerait aſſez étrange que le médiateur choiſi par vous fut Louis XVI, l'allié néceſſaire de l'Eſpagne, dans le ſyſtême politique de l'Europe. Je vois dans ces grands préparatifs, le projet de déchirer la France par la guerre la plus défaſtrueufe. Vos coups ſe porteront ſans doute ſur nos Iſles à ſucre, l'objet, éternel de votre jalouſie, dont vous avez préparé la ruine & le bouleverſement, [9] par le Décret du 12 Octobre 1790, que votre politique vient de dicter».

«Celle des Puiſſances maritimes qui aura brûlé le plus de poudre ſur mer, qui aura détruit le plus de vaiſſeaux & de marins, reſtera maîtreſſe du commerce maritime. Je crains bien que ce ſoit l'Angleterre; & cela eſt aſſez vraiſemblable, ſi l'on continue de déſorganiſer notre marine. Qu'en réſultera-t-il d'heureux pour vous? l'extenſion de votre commerce. Eh bien! ſans déſoler d'humanité par une guerre ſanglante, uſez de votre prépondérance ſur mer, pour porter la France & l'Eſpagne à établir, pour toutes les Iſles à ſucre, une liberté de commerce indéfinie. & reſpective, ſous la garantie de la France, de l'Angleterre & de l'Eſpagne. Ce moyen, qui promet à l'Europe une paix durable, donnera à chacune des Puiſſances maritimes, la faculté de développer toutes les reſſources de ſon induſtrie commerciale, & vous ne porterez point dans nos belles contrées, les fléaux de la guerre intérieure.& extérieure».

«Je ſais bien que vous pourrez détruire nos Colonies ou les conquérir; mais pouvez-vous les conſerver? Le ſyſtême politique de l'Europe le permettra-t-il jamais? Ne convient-il donc pas mieux à vos intérêts de propoſer, dès-à-préſent, la liberté reſpective du commerce des Iſles à ſucre, que d'y contraindre [10] la France, par l'impoſſibilité de rétablir les ſiennes, quand, par l'intrigue de vos agens, vous les aurez fait bouleverſer & détruire?»

Dans la fuite de la diſcuſſion entre Polverel & Sonthanax & leurs dénonciateurs, ce Colon dont on a parlé, ajoute qu'à cette époque Gilbert Elliot retourna à Londres, après avoir bien, concerté ſans doute ſon plan avec les Agens qu'il avait choiſis à Paris; que ce fut alors auſſi que ſe confirma la coalition de toutes les puiſſances de l'Europe contre la France, & que l'Angleterre, qui ne mettait toute l'Europe en mouvement, que pour envahir l'empire du commerce maritime, eſpérant conquérir les Iſles à ſucre & les conſerver, a préféré les moyens qu'elle a fait employer à ceux qu'il avait conſeillés.

A cette époque, celle de 1790 Barnave dirigé par les Lameth, & quelques autres membres de l'Aſſemblée conſtituante accuſaient l'Aſſemblée générale de l'île Saint-Domingue de viſer à l'indépendance, parce qu'elle demanda à être revêtue du droit de ſtatuer ſur le régime ſocial qui convenait aux Colonies. L'Aſſemblée conſtituante, par l'organe de ſon préſident, avait écrit à cette Aſſemblée, demandez tout ce qui convient à votre Colonie, l'Aſſemblée nationale & le Roi vous y invitent. Ce qui convenait à leur Colonie, c'était de l'iſoler des grands mouvemens dont la France était menacée [11] & de prévenir l'abus que l'on pouvait faire de la Déclaration des Droits de l'homme, qui renverſait le ſyſtême ſocial qu'ils regardaient comme la baſe de la proſpérité commerciale de la France. Les Colons devaient d'autant plus croire à la bonne foi, à la probité des Légiſlateurs de la France, que la lettre dont il vient d'être parlé, accompagnait le Décret du 8 Mars 1790, dont une des diſpoſitions portait, que l'Aſſemblée conſtituante n'avait pas entendu comprendre les Colonies dans une Conſtitution qui pouvait être contraire à leurs convenances locales & particulières. Que l'on ſe tranſporte à l'Aſſemblée générale d'une des Iſles à ſucre, & l'on verra ſi, après la Déclaration des Droits de l'homme, les Membres qui compoſaient cette Aſſemblée ne devaient pas voir, dans le texte du Décret du 8 Mars 1790, & dans les expreſſions de la lettre qui l'accompagnait, que l'Aſſemblée conſtituante, ne pouvant plus diſcuter ſur le ſort des noirs, en remettait le ſoin aux Aſſemblées des Iſles à ſucre, puiſque ce même Décret du 8 Mars 1790, leur demandait leurs plans ſur la Conſtitution qui leur convenait. Cette demande de l'Aſſemblée générale de Saint-Domingue, bien autoriſée par la volonté nationale, était donc une acte de la plus grande ſageſſe, de la plus grande prévoyance.

Les hommes d'état qui diſpoſaient alors du [12] ſort de la France, loin de trouver dans cette demande, le prétexte d'une vaine accuſation de ſciſſion, d'indépendance, de ſouveraineté, auraient dû y trouver au contraire l'initiative de l'émancipation des îles à ſucre de toutes les Puiſſances commerçantes qui, ſi elle avait été établie ſur des principes bien combinés, aurait aſſuré à la France le premier rang parmi les Puiſſances de l'Europe. Alors la France, à l'état de ſplendeur vers lequel elle marchait à ſi grands pas, ajoutant le reſſort qu'elle devait recevoir d'un gouvernement conſtitutionnel, ayant une marine marchande très-nombreuſe, de gros capitaux & des moyens d'induſtrie qui ne demandaient qu'à ſe développer, eût été placée pour tirer tout l'avantage poſſible de la liberté reſpective du commerce des iles à ſucre. Mais les conſpirateurs avaient d'autres vues; & ſi le commerce devait être libre avec toutes les îles à ſucre, ils ne voulaient pas que ce fut pour le plus grand avantage de la France.

Si on jette les yeux ſur le paſſé, on voit que du moment où la grande coalition des Puiſſances de l'Europe a été déterminée, que du moment où, par une monſtruoſité politique que la poſtérité jugera, on a vu les ennemis naturels de l'Angleterre ſe liguer avec elle & ſe diriger par l'impreſſion de ſon cabinet; alors auſſi on a vu la proſcription & la mort., dans nos villes de commerce & de manufactures, [13] frapper tous ces hommes induſtrieux, dont les fortunes particulières alimentaient la fortune publique. Preſque tous les capitaux qui ne ſont pas devenus propriétés nationales, par le fait des tribunaux de ſang répandus ſur toute la ſurface de la France ſont paſſés à l'étranger. Une rage frénétique détruiſait les manufactures tandis que les réquiſitions dévoraient les ouvriers & les animaux de labourage, par conſéquent les principaux inſtrumens de la culture, & tous les moyens de reſtaurer les manufactures. Des combinaisons vicieuſes détruiſaient la marine militaire, tandis que la plus étrange réquiſition qui ait jamais exiſté, détruiſait les reſtes de la marine du commerce; & l'acte de navigation & la deſtruction de nos forêts ôtaient, les moyens de les réparer. Nos avantages contre l'Eſpagne & la Hollande étaient tous entiers pour l'utilité de l'Angleterre, puiſque nous battions les deux Puiſſances qui, naturellement, devaient concourir avec la France à balancer les forces maritimes de l'Angleterre, chez laquelle la conquête de la Hollande, a fait d'ailleurs refluer un grand nombre de capitaliſtes effrayés de l'impulſion révolutionnaire apportée par les conquérans; & auſſi-tôt que nous y avons été les maîtres, les forces Britanniques ont dû aller & ont été en effet ſe ſaiſir du Cap de Bonne-eſpérance.

En même temps des lois ambigues & [14] contradictoires ont jeté le désordre & l'anarchie dans nos îles à ſucre. Des agens choiſis par l'influence de Briſſot, (& qui malheureuſement viennent d'y retourner encore), au moment où ce même Briſſot faiſait déclarer la guerre à l'Angleterre, ont porté dans ces mêmes îles une ſubverſion complète de tous principes de gouvernement, la déſorganiſation de tout ſyſtême ſocial, le renverſement de tout ſyſtême politique. La dévaſtation; la ruine & l'incendie ont frappé les propriétés. La perſécution, la proſcription, la mort ont frappé les propriétaires. Les Colons blancs ont été anéantis; les forces protectrices ont été chaſſées; les Anglais ſe ſont préſentés; ils ont été les maîtres. Pendant ce temps, les louanges, les encouragemens étaient prodigués & le ſont encore aux aſſaſſins des Colons blancs. Les humiliations, les menaces, les empriſonnemens, le ſupplice étaient le prix des réclamations de ces infortunés. En fallait-il plus pour les jeter dans le parti de l'Angleterre? Cependant la plupart a réſiſté, & pour les forcer à réclamer la protection de cette puiſſance, n'a-t-on pas propoſé de déclarer émigrés ceux que le fer & le feu n'avaient pu atteindre?

Toutes ces meſures n'ont-elles pas été dirigées par la main qui a ruiné Lyon, Nantes & les autres villes de commerce? Examinons quelles en ſeront les ſuites néceſſaires.

L'Angleterre, riche des dépouilles de la [15] Hollande & de celles de la France, domine peut-être ſans retour dans les mers des Indes, car elle poſſède le Cap de Bonne-Eſpérance. Dans nos îles à ſucre, elle nous a enlevé tout ce qui n'eſt pas la proie de la dévaſtation la plus complète, & ſuivant les dépêches dont on a vu l'extrait, elle ne tardera pas à être maîtreſſe du reſte. Elle commande dans la Méditerranée. Elle menace les Etats-unis, par nos propres agens, d'un bouleverſement peut-être prochain, afin de ſe placer ſur le golfe du Mexique, comme elle l'eſt à Gibraltar & au Cap de Bonne-Eſpérance. Elle a un ſyſtême commercial organiſé, des relations bien établies, des manufactures bien montées, une marine militaire puiſſante, une marine du commerce nombreuſe, beaucoup de numéraire, un eſprit public, un gouvernement ferme & vigilant. Dans cette poſition reſpective de la France & de l'Angleterre, quelques ſoient, les intérêts politiques de l'Europe, penſe-t-on, ſi l'Angleterre eſt obligée de nous rendre nos îles à ſucre, qu'elle les remette avec un ſyſtême ſocial qui en aſſure la deſtruction, & qui ſe propagerait dans les ſiennes? La France de ſon côté, ſans déroger à ſes principes conſtitutionnels, recevra-t-elle la Loi que lui impoſera néceſſairement l'Angleterre de retirer le décret qui affranchit les noirs? Dans cette alternative, pour faire la paix, qu'exigera l'Angleterre de [16] la France? ſi elle ne peut conſerver la fouveraineté des îles à ſucre, il eſt bien démontré qu'elle a pris toutes ſes meſures, pour en achever la deſtruction, ou pour forcer la France à conſentir à leur émancipation. Ce qui, à proprement parler, n'eſt, pour l'Angleterre que la garantie d'un monopole preſqu'excluſif, juſqu'à ce que la France ait rouvert tous les canaux de ſes reſſources induſtrielles. Voilà donc où nous ont conduit ceux qui, depuis ſix ans, accuſent les colons de viſer à l'indépendance, & qui, pour leur impoſer ſilence, ont voulu les conduire au ſupplice.

Quelles meſures pouvaient prévenir tous ces maux? Celles-là mêmes propoſées par l'aſſemblée générale de Saint-Domingue, ſéante à Saint-Marc, dont les membres, par cela ſeul, ſont devenus les objets d'une ſi conſtante & ſi terrible perſécution.

La conſéquence néceſſaire de la ſouveraineté des Colonies eſt le droit excluſif d'y commercer, c'eſt-à-dire d'y vendre & d'y acheter excluſivement.

L'avantage réſultant de ce droit excluſif eſt que toutes les marchandiſes qui ſont conſommées dans les Colonies françaiſes ſont fabriquées en France ou en ſont exportées; que toutes les denrées coloniales ſont tranſportées directement dans les ports de France, & que le ſuperflu de la conſommation en France de [17] ces denrées coloniales; vendu à l'étranger, concourt à procurer aux manufactures nationales les matières premières que le territoire ne produit pas, les moyens de ſubſiſtance dans les temps néceſſiteux, enfin, les matériaux néceſſaires à la marine militaire.

Quelles ſont les charges de cette ſouveraineté? La néceſſité d'entretenir une nombreuſe marine militaire & toutes les autres dépenſes de ſouveraineté, comme l'établiſſement & l'entretien des forts, poſtes & comptoirs.

Apres avoir poſé les avantages & les charges de la ſouveraineté des Colonies, il faut examiner, ſi la balance eſt à l'avantage de la France.

Le premier avantage réſultant du droit excluſif de commercer aux Colonies eſt que toutes les marchandiſes qui y ſont conſommées ſont fabriquées en France ou en ſont exportées Quelles ſont les marchandiſes, conſommées aux Colonies qui ſont du produit immédiat du ſol de la France & de ſes manufactures? Ce ſont les farines, le beurre, les viandes ſalées & fumées, les vins; les eaux-de-vie, les huiles les fruits préparés, les toiles, les ſoieries, les chapeaux, les draps, les toiles peintes, le ſavon, la chandelle, la bougie, la verrerie, la faïencerie, l'horlogerie, l'orfevrerie la bijouterie, le papier, les papiers peints, les glaces les meubles & tous autres objects de luxe, les [18] marchandiſes en coton & fil; les bas de ſoie, de fil & de coton; les cuirs manufacturés, les inſtrumens aratoires, les uſtenſiles de ſucrerie, le fer, les armes, la parfumerie, la mercerie, la clincaillerie.

Quelles ſont les marchandiſes conſommées aux Colonies qui ne ſont pas du produit du territoire français ou manufacturées en France, & qui ſont portées aux Colonies par les Commerçans français? Ce ſont les marchandiſes des Indes orientales & les épiceries, qui, pour parvenir aux îles à ſucre, paſſent par l'Europe; ce ſont les drogueries, les piaſtres, les toiles & dentelles de Flandre; les mouſſelines, toiles de coton & toiles peintes de Suiſſe & d'Angleterre; enfin les animaux vivans, ſoit pour la culture, ſoit pour la conſommation.

Certes, aucune puiſſance maritime ne peut entrer en concurrence avec la France pour toutes les marchandiſes qui ſont du produit immédiat, de ſon ſol & de ſes manufactures, & qui ont été ci-devant détaillées. Elles le peuvent d'autant moins que la France eſt elle-même en poſſeſſion d'approviſionner de la plupart de ces marchandiſes les pays étrangers auſſi bien que les Colonies. L'Angleterre ſeule rivaliſe utilement avec elle pour les draps légers qui ſont néanmoins inférieurs à ceux de France, pour les toiles peintes, la verrerie, la faïencerie, les cuirs manufacturés, le fer, [19] les armes, les inſtrumens aratoires, les uſtenſiles de ſucrerie, la mercerie, la clincaillerie, les viandes ſalées & fumées, & le beurre. Mais la France a, comme l'Angleterre, toutes les matières premières propres à la fabrication de ces marchandiſes; il n'eſt donc que d'en perfectionner la manufacture.

Les ſoieries & les toiles de France portées en Eſpagne procurent les piaſtres; celles-ci & les marchandiſes du produit du ſol & des manufactures de France procurent les marchandiſes des Indes orientales, les épiceries & les drogueries; les toiles & les dentelles peuvent être fabriquées en France; les mouſſelines & les toiles de coton d'Angleterre & de Suiſſe peuvent d'autant mieux être fabriquées en France, que c'eſt par ſon entremiſe que ces deux puiſſances reçoivent les cotons de nos Antilles qui concourent à la fabrication de ces marchandiſes.

Or, ſi c'eſt avec le produit de ſon ſol & de ſes manufactures que la France ſe procure ſes piaſtres, les marchandiſes des Indes, les drogueries & les épiceries; ſi elle peut rivaliſer avec la Flandre pour la fabrication des dentelles, des batiſtes, des linons, des toiles; ſi elle peut luter avec avantage contre l'Angleterre & la Suiſſe pour les toiles peintes, les mouſſelines, les toiles de coton; ſi elle peut perfectionner chez elle la manufacture des marchandiſes [20] pour leſquelles l'Angleterre rivaliſe utilement avec elle; ſi elle eſt ſûre de la prépondérance dans le débouché de celles du produit de ſon ſel & de ſes manufactures pour leſquelles aucune puiſſance ne peut le lui diſputer, il en réſulte donc que les avantages du droit excluſif pour la France de vendre aux Colonies, ſe bornent à garantir à quelques commerçans de ſes ports de mer ce même droit excluſif d'acheter à l'étranger & de revendre aux Colons, les marchandiſes de fabrique étrangère, juſqu'à ce que nos manufactures puiſſent rivaliſer utilement avec celles des autres puiſſances commerçantes qui fourniſſent aux négocians français. De-là le droit excluſif de commercer aux Colonies, c'eſt-à-dire, la ſouveraineté ſur les Colonies: les dépenſes de cette ſouveraineté, l'établiſſement & l'entretien de la marine militaire ont donc pour but unique de protéger l'importation excluſive aux Colonies de marchandiſes du produit de ſon ſol & de ſes manufactures, pour leſquelles elle ne peut craindre la concurrence, ou de marchandiſes du produit de ſon ſol & de ſes manufactures pour leſquelles elle peut rivaliſer utilement avec les autres puiſſances commerçantes; encore eſt-il fort important d'obſerver que les marchandiſes pour leſquelles elle ne peur craindre la concurrence forment les quatre cinquièmes de ſes exportations aux [21] Colonies. Enfin donc, en dernière analyſe, la ſouveraineté ſur ces Colonies, les dépenſes de cette ſouveraineté ont pour but de garantir à quelques commerçans des villes maritimes le droit excluſif de revendre aux Colonies un cinquième des marchandiſes qui y ſont conſommées; cinquième acheté de l'étranger & que les manufactures de France, avec quelques encouragemens, peuvent parvenir dans peu à fabriquer de manière à ne plus craindre la concurrence.

Appréhenderoit-on que les Colons ne changeaſſent de goûts, d'habitudes & ne ſe décidaſſent à préférer les marchandiſes étrangères, aux marchandiſes françaiſes? les Colons ſuivront toujours, à cet égard, l'impulſion de tous les conſommateurs., ils donneront toujours la préférence aux bonnes qualités dans les marchandiſes de conſommation journalière, & au bon goût dans les objets de luxe. La France, ſur ces deux points, peut toujours prétendre à toute la perfection que les fabricans peuvent atteindre; ceux-ci ne tarderont pas à ſe convaincre que c'eſt une erreur, en manufacture, de croire qu'on atteint, le but qui garantit le débouché, lorſqu'on eſt parvenu à vendre au meilleur marché poſſible; malheureuſement en France, pour atteindre ce but, on a ſacrifié la bonne qualité; qui eſt ce qui procure, par exemple, un ſi grand débouché à la clincaillerie anglaiſe, qui cependant [22] eſt à ſi haut prix? c'eſt la perfection que les ouvriers ont atteint. On la préfère par-tout, même en France: & cependant la clincaillerie françaiſe eſt bien moins chère; les conſommateurs & ſur-tout les conſommateurs aiſés, comme le ſont les Colons, peuvient bien être ſéduits un moment par le bon marché, mais l'expérience les ramène toujours à la bonne qualité.

Profitant de nos avantages ſur l'Eſpagne, & ſe faiſant céder par cette puiſſance la partie eſpagnole de Saint-Domingue, le Comité de Salut public a préparé à la France une prépondérance décidée, dans tous les marchés des Antilles. Si maintenant on y tranſporte la plus nombreuſe population de français qu'il fera poſſible; c'eſt-à-dire, de français laborieux & utiles; & non de cette écume extra révolutionnaire. Si on les fait acompagner par des femmes dont ils puiſſent faire des épouſes: ils porteront dans ces contrées, les goûts, les habitudes le langage de la France. Si l'on examine la poſition de Saint-Domingue, ſes ports, la commodité de ſes relations avec les autres îles & même avec le continent, on verra ſi ce n'eſt pas de-la que doivent partir toutes les impulſions qui ſeront données au grand archipel, & à la portion du continent qui l'avoiſine.

Il eſt une preuve de fait, qui garantit la Conſtance des colons français, dans la conſommation [23] des marchandiſes françaiſes auxquelles ils ſont habitués. Certes, ſi quelque, peuple devait avoir de l'averſion pour l'Angleterre c'était celui des Etats-unis d'Amérique. Eh bien les anciennes liaisons, les habitudes, le langage ſur-tout, ont repris le deſſus ſur les haines invétérées, ſuite d'une guerre inteſtine & cruelle; & les Etats-unis d'Amérique ne conſomment pour ainſi dire, que des marchandiſes anglaiſes; c'eſt peut-être la faute de notre gouvernement; & quiconque a examiné quelles étaient les vues du miniſtre Choiſeul, lorſqu'il prépara l'indépendance des Etats-unis d'Amérique, ne doit pas s'étonner des efforts du gouverment britanique, pour renverſer le plan que Choiſeul avoit combiné: efforts puiſſamment ſecondés, par les propres agens de France aux. Etats-Unis d'Amérique. Il a été communiqué à cet égard une note à Robert Lindet, lorſqu'il était au comité de ſalut public; puis, à l'invitation de celui-ci remiſe à Merlin de Douai, vers le mois de Frimaire de l'an troiſième; c'étaient des vues ſur les moyens d'arracher à l'Angleterre, le ſceptre du deſpotiſme commercial qu'elle exerce en Amérique, & ſur-tout de mettre des bornes à ſon ſyſtême envahiſſeur; depuis ce temps; il a été envoyé aux Etats-unis un miniſtre du choix de Thuriot, que l'on eſt endroit de ſoupçonner de ſuivre les erremens de ſes prédéceſſeurs; revenons à notre ſujet. [24]

Le ſecond avantage réſultant du droit excluſif de vendre & d'acheter aux colonies, conſiſte en ce que toutes les denrées coloniales ſont tranſportées directement dans les ports de France, & que le ſuperflu de la conſommation en France de ces denrées coloniales vendu à l'étranger, concourt à procurer aux manufactures nationales les matières premières que le territoire ne produit pas, les moyens de ſubſiſtance dans, les temps néceſſiteux, enfin les matériaux néceſſaires à la marine.

Il eſt bien établi, que dans l'ordre où étoient les choſes en 1791, les quatre cinquièmes des marchandiſes portées aux colonies par les commerçans français, ne peuvent éprouver de concurrence de la part des étrangers, qui puiſſe être préjudiciable à la France, & que, pour le cinquième reſtant, elle peut-être utilement en concurrence avec les autres puiſſances commerçantes; la France eſt donc bien certaine de recevoir, en produit des colonies, le payement de ces quatre cinquièmes, & d'entrer utilement en concurrence avec les autres puiſſances pour le cinquième reſtant, Elle eſt donc bien certaine d'avoir des denrées coloniales fort au-delà de ſa conſommation, & qu'elle aura obtenues au meilleur marché poſſible, puiſqu'elle les aura reçues le plus directement poſſible, le plus débaraſſé poſſible de frais de voyage; elle pourra donc vendre avec avantage ce ſuperflu aux puiſſances [25] étrangères; car ſi les négocians de la Ruſſie, de la Suède, de la Norwège, du Danemark & des villes anséatiques, veulent acheter des marchandiſes aux colonies, ils ne pourront pas les y payer avec les bois de conſtruction, le chanvre, la mature, le brai, la réſine, le goudron, le ſuif, le cuivre non manufacturé qui ne s'y conſomment point; ils ne les y payeront pas non plus avec les bleds en nature, qui ne s'y tranſportent pas; ils n'y porteront pas des farines dont la conſommation eſt bornée à l'uſage du petit nombre d'européens, qui ont porté dans ces contrées les habitudes de l'Europe. Il faudra donc que ces négocians viennent apporter dans nos ports les produits de leur territoire, pour les y échanger contre des denrées coloniales ou contre des marchandiſes propres aux colonies. Ce ſera donc de manière ou d'autre les marchandiſes provenant des colonies, qui concourront à procurer à la France les matières premières que ſon ſol ne produit pas, les ſubſiſtances dans les temps néceſſiteux, & les matériaux néceſſaires à la marine. Si ce procédé établit une grande concurrence dans les ports de France, de la part des étrangers, le réſultat néceſſaire de cette grande concurrence ſera de diminuer le prix de leurs marchandiſes, & d'augmenter celui de celles du produit du ſol & des manufactures de France. Mais tous les peuples du nord, dira t'on par des raisons bien connues & qu'il eſt [26] inutile de déduire ici, naviguent à bien meilleur marché que nous, & peuvent par conſéquent, après avoir acheté dans nos ports les marchandiſes propres aux colonies, les aller vendre aux colons à meilleur marché que nous; ils peuvent même ſeulement prendre ces marchandiſes à fret, pour le compte des négocians français ou des colons, & faire tomber par-là, la marine commerçante. C'eſt-là que la France doit employer l'exercice de la ſouveraineté. C'eſt-là que doit s'appliquer l'acte de navigations c'eſt en mettant un impôt bien meſuré ſur toutes les: marchandiſes françaiſes, qui s'embarqueront pour les mers d'au-delà des tropiques ſur des navires étrangers, c'eſt-à-dire, ſur celles qui ne craignent point la concurrence des autres puiſſances maritimes, que non-ſeulement elle retrouvera l'équilibre qui lui conviendra, & même qu'elle fera pencher la balance de ſon côté. Mais les négocians étrangers tromperont la vigilance des douanes françaiſes: ils s'expédieront pour leurs ports reſpectifs & iront directement aux colonies. Cette mauvaiſe foi peut avoir lieu pour quelques individus, & il eſt des moyens de la prévenir. Elle ne peut avoir lieu de la part d'un peuple que ce ne ſoit une infraction à un traité, un acte hoſtile; & l'on fait comment ces choſes ſe traitent de peuple à peuple, lorſque l'offenſé a la faculté d'agir. S'il a la faculté d'agir on ne l'offenſe pas; s'il ne l'a pas, il eſt ſubjugué [27] il n'eſt donc pas poſſible de combiner pour ces cas, des moyens de répreſſion.

Il ſe préſentera encore une réflexion; c'eſt que les étrangers, après s'être pourvus dans nos ports de marchandiſes propres aux colonies, les porteront dans les leurs & de-là les enverront aux colonies. Ce procédé ne préſente pas l'inconvénient de nuire au débouché du produit du ſol de la France & de ſes manufactures, puiſqu'au contraire il les exporte; il préſenterait donc ſeulement celui de mettre aux colonies, les étrangers dans une concurrence défavorable à la France; il n'eſt pas que ces marchandiſes achetées en France & portées chez l'étranger, ne fuſſent chargés de quelques droits. Ces droits les frais multipliés de chargement & de déchargement, d'eſcales & d'aſſurances feraient perdre à ces étrangers tous les avantages, de leur plus grande économie dans la navigation, & rétabliraient toujours l'équilibre en faveur de la France. Il réſulte de cette diſcuſſion, que la France poſſède les quatre cinquièmes de ſes exportations aux colonies, en marchandiſes auxquelles rien ne peut ſuppléer, & pour leſquelles elle n'a aucune concurrence à craindre. Il en réſulte encore qu'elle peut entrer utilement en concurrence avec les autres puiſſances commerçantes, pour ſe cinquième reſtant; n'eſt ce pas là un, garant plus certain du débouché des produits de ſon ſol & de ſes manufactures, que ne l'eſt [28] la ſouveraineté des Colonies? Puiſque cette ſouveraineté, par le commerce excluſif, ne lui préſente d'avantage effectif que celui de garantir à quelques commerçans des villes maritimes, le privilège de vendre aux Colonies celles des marchandiſes que nos manufactures n'ont pas; aſſez perfectionnées, pour les mettre utilement en concurrence avec celles des étrangers: marchandiſes que ces mêmes commerçans achettent aux étrangers, lorſqu'elles ont été fabriquées avec des matières premières qu'ils ont pour la plupart reçues de nous; telles que les mouſſelines, les toiles de coton & toiles peintes d'Angleterre & de Suiſſe. Cet avantage qui n'eſt que celui de quelques négocians, & qui eſt bien loin d'être celui du commerce, ce qu'il ne faut pas confondre; compenſe t'il les frais & les inconvéniens de la ſouveraineté des Colonies?

Il faut examiner maintenant, ſi la France ne commercerait pas plus utilement aux Colonies, fi le commerce y était libre, ſi toutes les îles à ſucre de l'archipel des Antilles formaient un état indépendant; & ſi la ſouveraineté des Colonies n'eſt pas au contraire un obſtacle au développement de ſes reſſources induſtrielles.

Quelle eſt la puiſſance de l'Europe, par la poſition topographique, par l'étendue de ſon territoire, par la fertilité de ſon ſol, par le nombre de ſa population, par l'active induſtrie de ſes habitans qui puiſſe rivaliſer avec la France, [29] lorſqu'un bon gouvernement dirigera habilement toutes ſes reſſources? ſi l'Angleterre, avec un territoire ſi peu étendu, une population ſi peu nombreuſe, promène ſon pavillon ſur toutes les mers de Puni vers; que doit-on attendre de la France, ſi ſon gouvernement organiſe un ſyſtême commercial; ſes ports ſur l'Océan, ſur la Méditerranée, ſur la Manche appellent de toutes parts les français à la navigation. Si dans ce grand développement des reſſources induſtrielles que promet la France, elle eſt bornée à commercer à telle ou telle île des Antilles, dans tel ou tel territoire d'Aſie ou d'Affrique dont elle fera ſouveraine, que fera t'elle de ce ſuperflu de ſes productions territoriales & da produit de ſes manufactures que lui promet l'énergie du peuple, quand il ſortira de l'etat d'agitation où il ſe trouve? Les ſources de cette induſtrie ſe tariront; le peuple français reculera d'un ſiècle; & ſi le gouvernement ne dirige pas; vers un but utile l'impulſion d'activité donnée au peuple par la révolution, après les déchiremens affreux d'une guerre inteſtine, la France deviendra une puiſſance du ſecond ordre, elle perdra tout le fruit des agitations éprouvées dans le dernier ſiècle & à la fin de celui-ci. Ce but utile vers lequel le gouvernement doit tendre ſans ceſſe, c'eſt l'extenſion du commerce; il ne doit pas perdre de vue que l'Angleterre n'a ſoulevé toute l'Europe contre la France, que [30] pour mettre celle-ci au niveau de l'Eſpagne, & Pitt fait maintenant en France ce que faiſait le cardinal de Richelieu en Angleterre, lors de la cataſtrophe de Charles I.er.

Les marchandiſes du produit du territoire français ou de ſes manufactures, ne ſe conſomment-elles pas dans toutes les parties du monde? L'agent de Hollande à Ceylan, le Franciſcain à Goa, l'inquiſiteur à Rio de la Plata, le contador à Carthagena de las Indias & à Mexico, le bourguemeſtre aux Berbiches, le gentleman aux Barbades & à la Jamaïque ne boivent-ils pas les vins de France; leurs femmes ou leurs maîtreſſes ne ſe parent-elles pas des objets de luxe, que les manufactures françaiſes façonnent ſeules au goût de tout l'univers? Les Eſpagnols & les Portugais, épars ſur le continent de l'Amérique, depuis le Chili juſqu'au Mexique, ne conſomment-ils pas les toiles de Picardie, de Normandie, de Champagne, de Bretagne & du Maine, les chapeaux, les ſoieries, les bas de foie, les objets de luxe, la bijouterie de Paris & de Lyon? Celui qui cultive le lin dans le Maine; celui qui bêche la vigne dans le Médoc; celui qui cultive les mûriers en Languedoc, ne travaillent-ils pas pour l'Affriquain, le Péruvien, le Mexicain? Mais comment ces productions du territoire français & de ſes manufactures, parviennent-elles dans ces contrées? Au travers de toutes les entraves du monopole le plus deſtructeur [31] ou de tous les dangers de la contrebande; ce qui, en les renchériſſant prodigieuſement, en reſtreint beaucoup la conſommation. Si les négocians français portaient directement ces productions aux lieux où les conſommateurs les appellent, quelle vaſte carrière ne s'ouvrirait pas pour l'induſtrie françaiſe?

Il réſulte donc de ce raisonnement, que l'induſtrie nationale ſera reſſerrée dans les bornes de la conſommation de ſes Colonies, ſi la France en reſte ſouveraine; & que cette induſtrie nationale au contraire, n'aurait d'autres limites que celles de toute l'extenſion qu'une bonne adminiſtration pourrait lui donner, ſi le commerce des Colonies était libre.

Si dans ces Colonies, il eſt des contrées dont le ſyſtême ſocial exige des modifications aux principes du gouvernement que la France s'eſt donné: ces modifications ſe feront ſans difficultés, ſans obſtacles; & la France ne ſe verra point expoſée à ce que des agitateurs ſe ſaiſiſſent de principes mal appliqués, pour bouleverſer ſes Colonies & par là renverſer ſon propre gouvernement.

Si le commerce eſt libre; tous prétextes, toutes cauſes de guerre ceſſeront à cet égard entre les puiſſances maritimes, & une paix durable, consolidant le gouvernement, garantira ſa durée & ſa proſpérité: car quel eſt le propre de toutes les guerres? c'eſt d'apporter des altérations [32] aux combinaisons des gouvernemens, en changeant les relations établies entre les peuples, ſur-tout en facilitant' les entrepriſes du deſpotiſme.

Si l'on alléguait que dans cette forte d'accord, l'Angleterre ne ferait pas une miſe égale à celle des autres puiſſances, à moins qu'elle n'ouvrit ſes ports de l'Aſie, on répondrait que cette objection eſt fort juſte. Si cette grande meſure de la liberté reſpective du commerce dans les Antilles avait été propoſée à l'Angleterre, à l'époque où Cette aſſemblée générale, séante à Saint-Marc, île Saint-Domingue, en avait donné l'initiative; ſi ceux qui gouvernaient la France avaient fait à la cour de Saint-James, la propoſition qu'un ſimple particulier fit à l'embaſſadeur ſecret d'Angleterre, à Gilbert Elliot; alors la France était en poſſeſſion de tirer de cette grande meſure politique, tous les avantages que l'on vient de déduire. Mais les factieux, Ceux qui ont ſi conſtamment persécuté, outragé cette aſſemblée générale de Saint-Domingue, ſavaient bien juſqu'où pouvait aller pour les îles à ſucre françaiſes, la déclaration des droits de l'homme. Ils en avaient calculé tous les effets; & ils étaient certains que cet acte ſeul, ou détruirait les Colonies françaiſes, ou les ferait paſſer ſous la domination de l'Angleterre. Au ſurplus, il n'eſt pas inutile de remarquer qu'après ſon ſecond voyage en Angleterre, le [33] duc d'Orléans envoya à ſon chargé d'affaires à Saint-Domingue, l'ordre d'affranchir les noirs de l'habitation qu'il avait près le port au Prince.

Si cette liberté de commerce enfin, avait été propoſée à une époque .où la France avait une armée navale & une nombreuſe marine du commerce, il eſt vraiſemblable que l'Angleterre qui alors n'avait fait aucunes conquêtes, aurait conſenti à ouvrir ſes ports de l'Aſie. Si dans ce temps un traité entre les grandes puiſſances maritimes, avait garanti à l'Angleterre la liberté de commercer dans toutes les Antilles & dans tout le Continent de l'Amérique, cette puiſſance n'aurait eu aucuns obſtacles à craindre, aucunes difficultés à ſurmonter; elle durait trouvé par tout, ſoit dans les Indigènes, ſoit dans les Européens tranſplantés en Amérique, des hommes intéreſſés à l'exécution de traités qui augmentaient leurs jouiſſances & leurs richeſſes. Il n'en eſt pas ainſi des poſſeſſions de l'Angleterre en Aſie. Ces poſſeſſions ne ſont qu'éventuelles; elles peuvent lui être enlevées ou par les armes des princes d'Aſie, miſes en mouvement par la jalouſie, & par les intrigues des puiſſances de' l'Europe, ou par les entrepriſes de ceux de ces princes ſur leſquels ces poſſeſſions ont été uſurpées, & qui pourraient être aſſez bien ſecondés pour les reconquérir; il eſt donc aſſez vraiſemblable que dans la liberté & la sûreté de ſon [34] commerce en Amérique, l'Angleterre aurait trouvé ſinon un avantage ſur celui qu'elle fait en Aſie, au moins une grande compenſation de la concurrence qu'elle s'y ſerait donnée de la part des autres puiſſances de l'Europe; il eſt donc aſſez vraiſemblable auſſi que cette puiſſance n'aurait pas rejette ces propoſitions, ſi elles avaient été faites dans la poſition où était la France en 1790.

Quelle eſt-elle aujourd'hui, cette poſition de la France relativement à ſes Colonies? Quels moyens lui reſte-t-il de les reconquérir, de les conſerver, de les rétablir? Toutes les ſources de ſa proſpérité commerciale ne ſont-elles pas obſtruées ou deſſéchées? A-t-elle une marine du commerce? Peut-elle équiper une armée navale qui puiſſe lutter contre celle de l'Angleterre? La ſuppreſſion de la traite des noirs, lui laiſſe-t-elle aucun eſpoir de réparer la population de nos îles à ſucre? Tous les crimes de la licence & de la plus extraordinaire démagogie qui les dévaſtent, laiſſent-ils l'eſpérance, ſans une verge de fer, de ramener au devoir & au travail, des forcenés égarés par la fauſſe application d'un ſyſtême ſocial qu'ils ne conçoivent pas, & ce ſyſtême ſocial eſt devenu loi conſtitutionnel de la France? Eſt-il, ou n'eſt-il pas certain que l'Angleterre eſt à peu près maîtreſſe de toutes nos Colonies? Le gouvernement ſe laiſſera-t-il aller aux inductions de ceux qui le [35] portent à demander à l'Eſpagne, la rétroceſſion de la Louiſiane? N'y verra-t-il pas l'intention de révolutionner ces contrées & les états méridionaux d'Amérique, par l'affranchiſſement des noirs, & de faciliter par-là., au milieu de la combuſtion, le paſſage des Anglais du Canada au Golphe du Mexique, où ils ſe placeront, comme ils le font au Cap de Bonne-Eſpérance & à Gibraltar? Continuera-t-il de s'aliéner les coeurs des colons Français? Laiſſera-t-il les Anglais ſe consolider dans leurs conquêtes? Attendra-t-il que l'intrigue du cabinet britannique, ſecondée par les agens d'une certaine faction, ait révolutionné les états méridionaux d'Amérique? Attendra-t-il que les Anglais, profitant de l'inquiétude des Américains ſur la propriété de leurs noirs, les leur achetent à vil prix, & les tranſportent dans les îles qu'ils nous ont conquiſes? Attendra-t-il enfin, que ceux-ci portant dans ces îles les habitudes & le langage, des conquerans, n'en éloignent à jamais les Français?

Telles ont été les erreurs, tels ont été. les crimes de ceux qui depuis la révolution, ont déterminé les opérations relatives aux colonies, qu'il ſemble qu'il ne reſte plus qu'à opter entre l'indépendance reſpective des îles à ſucre, ou leur abandon à l'Angleterre. Ne convient-il donc pas mieux de propoſer à cette puiſſance, pour prix de la paix, l'indépendance reſpective [36] des îles, à ſucre, que de les voir paſſer, peut-être, ſans retour ſous ſa domination?

Il eſt évident qu'en ce moment, tout l'avantage de cette détermination ſerait pour l'Angleterre; il eſt certain auſſi que la poſition, de l'Eſpagne, par rapport à ſes îles d'Amérique, n'eſt point la même que celle des autres puiſſances maritimes. Tout l'avantage de ces îles eſt pour le gouvernement, par les impôts exceſſifs dont ſont chargées toutes les marchandiſes qui y ſont portées ou qui en ſont exportées; & pour les étrangers, parce que l'Eſpagne, qui a peu de manufactures, achette de l'étranger preſque tout ce qui ſe conſomme dans les îles. Alors cette liberté de commerce priverait le gouvernement des impôts qu'il perçoit, & ne préſenterait rien d'avantageux au peuple d'Eſpagne, qui ne ſerait plus l'intermédiaire entre les manufactures étrangères & les conſommateurs dans les îles eſpagnols; mais ſi les Eſpagnols ou iſſus d'eſpagnoles, qui habitent les îles de l'Amérique, qui gémiſſent depuis ſi long temps ſous le deſpotiſme commercial des compagnies excluſives; dans les entraves, des lois prohibitives les plus rigoureuſes, & dans les fers d'un gouvernement militaire qui les exclut de toutes fonctions publiques; ſi ceux-là ſavaient enfin que la France & l'Angleterre veulent fréquenter, leurs ports, & les affranchir d'un joug devenir inſupportable, penſe-t-on que l'Eſpagne voulut [37] courir la chance d'un mouvement révolutionaire dans ces contrées, & qu'elle voulut s'expoſer à ſe voir ſans retour chaſſée de ſes îles & peut-être du continent de l'Amérique?

Mais, dira-t-on, lors même qu'il ſerait démontré que l'indépendance reſpective des îles, à ſucre, fut pour la France la ſeule reſſource qui lui reſtât, pour concourrir au commerce de ces îles; cette indépendance eſt-elle poſſible? N'eſt elle pas une ſorte d'aliénation du territoire? Et l'acte conſtitutionnel qui déclare les colonies, parties intégrantes de la France, peut-être même pour les ſouſtraire à cette fatale indépendance, permettra-t-il jamais qu'elle ſoit prononcée de la part de la France?

Si la France ne peut conſentir à cette ſorte, d'aliénation; ſi ceux qui ont déterminé que les Colonies, alors conquiſes par l'Angleterre, comme l'était l'ile de Corſe, font parties intégrantes de la France, n'ont pas prévu toutes les Conſéquences de cette meſure conſtitutionnelle, il faut eſſayer de les expliquer & prouver, peut-être, que cette meſure ſera la cauſe que les Colonies, ſont abſolument perdues pour la France.

Si le Corps légiſlatif, ne peut conſentir à cette ſorte d'aliénation des îles à ſucre Françaiſes il arrêtera donc que le Directoire exécutif prendra ſes meſures, pour les reconquérir. Le Directoire exécutif en a-t-il les moyens? [38] A-t-il une armée navale? Fera-t-il la paix à la condition de laiſſer les îles à ſucre aux Anglais, dans l'eſpoir de les reconquérir, lors qu'il aura recréé la marine?

Si les Anglais conſervent ſes Colonies, les Français n'y commerceront plus, la marine Françaiſe étant privée du mouvement de mille à douze cens navires occupés par le commerce des Colonies, comment conſervera-t-elle ou formera-t-elle les marins néceſſaires à la formation d'une puiſſante armée navale, dont l'Angleterre ſeule aura conſervé les élemens? Lors même que la France, par ſon commerce de cabotage en Europe, formerait aſſez de marins, ce qui n'eſt pas vraiſemblable: lors même que toutes les économies du gouvernement, qui a tant de maux à parer, s'appliqueraient à la conſtruction des vaiſſeaux, ſe diſſimulerait-on qu'il faudra vingt ans, peut-être, de la plus ſage adminiſtration, pour mettre la marine françaiſe en état d'entreprendre la conquête des îles à ſucre. Mais dans vingt ans la population des Colonies ſera renouvelée; il n'y reſtera plus de ces colons blancs ſi parfaitement dévoués à la France, & qui ont ſi courageuſement, luté contre les dévaſtateurs de leur pays. Ceux qui habiteront ces contrées, absolument dirigés par l'impulſion que leur aura donné le gouvernement britannique, auront perdu toutes les habitudes françaiſes, toutes leurs relations avec [39] la France. Ils ſeront nourris dans la haine d'un ordre de choſes qui a ruiné leurs pères, & dans l'habitude de la reconnaiſſance pour l'Angleterre qui leur aura donné ſûreté & protection contre leurs aſſaſſins. &, les incendiaires de leurs propriétés. Ces Colons apporteront donc la plus grande réſiſtance aux armées françaiſes qui ſe préſenteront encore avec la loi qui a affranchi leurs nègres. Il faudra donc encore une fois exterminer cette population de propriétaires blancs & révolutionner les nègres; c'eſt-à-dire, remettre les choſes en l'état où elles ſont. Quel ſera donc le terme des calamités pour ces contrées? Dans la ſuppoſition que l'on réuſſit, qui réparera la population des noirs, dont la deſtruction ſeroit encore une fois la ſuite néceſſaire de cette nouvelle ſecouſſe révolutionnaire? Quels propriétaires iraient en Afrique acheter des hommes bruts, pour en faire des hommes libres? N'eſt-il pas d'ailleurs à craindre, ſi l'Angleterre ne voit pas le ſort des colonies fixé par le traité de paix qui devient néceſſaire, qu'elle ne les abandonne à toutes les horreurs de la dévaſtation dont elles ſont la proie. Elle n'a qu'à laiſſer faire la loi du 16 pluviôſe, an II, qui, comme l'a dit Echaſſeriaux aîné, a porté dans ces contrées la liberté, comme le ravage d'une tempête.

Hommes d'état y réflechiſſez, le moment en [40] eſt venu. La France ne peut plus concourir au commerce des îles à ſucre, que par leur indépendance reſpective; autrement elle en eſt chaſſée à jamais.

On entend certains diſſertateurs dire, & le dire avec confiance, nous conquérerons nos îles à ſucre, en Angleterre même. Faisons la paix, avec l'Empereur, & alors, compoſant une armée formidable de nos plus ardens révolutionnaires, nous la jetterons en Angleterre, par quelque moyen que ce ſoit, & il eſt vraiſemblable que l'Eſpagne nous fournira des vaiſſeaux, pour cette utile opération. Qui doute, ajoutent-ils, de la haine du peuple Français pour les Anglais? Le peuple Français, mu par cette impulſion de haine, par le beſoin de ſe venger de l'Angleterre, ne peut-il encore une fois ſe lever en maſſe?

Mais cette levée en maſſe qui peut paſſer les. Pyrénées & les Alpes, ne peut paſſer la manche, ſans un grand nombre de vaiſſeaux marchands. Où ſont-ils ces vaiſſeaux marchands? Où ſont les matériaux néceſſaires à les mettre, en état de prendre la mer? Les Anglais laiſſeront-ils arriver dans nos ports les navigateurs, qui nous les apporteront du nord? Il nous faut une armée navale en état de battre celle que les [41] Anglais équiperont pour s'oppoſer à la deſcente. Celle-ci ſera d'autant plus formidable, que le gouvernement britannique n'aura plus que cette dépenſe à faire. Quant à l'Eſpagne, eſt-il bien démontré qu'elle fourniſſe des vaiſſeaux pour .une opération, dont le réſultat ſera de propager le ſyſtême révolutionaire en Europe, & dont la conſéquence ſera la ſubverſion de ſes îles à ſucre? & peut-être de ſes poſſeſſions dans le continent d'Amérique?

Nous admettons néanmoins que tout cela s'exécute ainſi; que la flotte Eſpagnole ſe réuniſſe à la flotte Françaiſe; qu'elles battent la flotte Anglaiſe, lors-même qu'elle ſerait jointe à celle de la Ruſſie; que le débarquement ſe faſſe, que l'armée marche à Londres, qu'elle plante le drapeau tricolor ſur la tour. Eh bien, la France aura puni l'Angleterre; elle aura un traité qui lui rendra ſes Colonies; mais elle n'aura point de Colonies, & un tiſon ſuffit pour cela.

Deux ou trois aviſos expédiés d'Angleterre , au moment où les Français y débarqueront, en porteront la nouvelle aux iles à ſucre. Les Anglais, qui y ſont en forces, quitteront leur rôle de protecteur; & avec des inſtrumens auſſi familiers, avec la deſtruction & l'aſſaſſinat que le font [42] les noirs, Ils promèneront par-tout le fer & le feu. La dévaſtation, comme un torrent, couvrira ces contrées infortunées; ils ſe retireront & les abandonneront à ces hordes de canibales antropophages que Sonthanax & la loi du 16 pluviôſe, an II, en ont rendus maîtres. Que l'on ſonge encore une fois que Sonthanax eſt là? & qu'il y a été renvoyé à l'époque de la conſpiration de Baboeuf.

Cette violente meſure entraînera la ruine; des îles à ſucre Anglaiſes, de celles de l'Eſpagne, qui l'aura provoquée cette ruine, en ſecondant la France, dans ſa deſcente en Angleterre. Eh bien, alors le triomphe de Pitt ſera complet. L'Angleterre aura fort peu perdu dans les Antilles, & par ſes établiſſemens du Bengale, elle reſtera maîtreſſe excluſive du commerce du ſucre; c'eſt-à-dire du commerce maritime.

De ce que l'acte conſtitutionnel déclare les Colonies parties intégrantes de la France; de ce qu'il s'enſuive que le Corps légiſlatif ne peut les aliéner du territoire de la République françaiſe; qu'il ne peut auſſi modifier les lois, ſur l'état des personnes, dans les îles à ſucre, il n'en faut pas conclure que la meſure propoſée d'une indépendance reſpective de toutes [43] les îles à ſucre ſoit impoſſible: ce que ne peut faire rigoureuſement le Corps légiſlatif peut ſe faire par le Directoire exécutif, & peut être le fruit d'une négociation. Certes, le Corps légiſlatif & le Peuple français apprenant que les Colonies ſont conquiſes par l'Angleterre, regarderont comme un acte de la plus haute importance & du plus grand avantage, de la part du Directoire, d'avoir obtenu par ſes négociations le droit de commercer, non-ſeulement dans des îles que l'on regarde comme perdues, mais encore dans des îles anglaiſes & eſpagnoles. S'il s'élevait quelque objection ſur cette prétendue aliénation, on pourrait y répondre d'avance par un argument auquel rien ne réſiſterait. Les Iſles ſont conquiſes! répondrait-on: & cependant en échange du droit que nous concédons aux autres puiſſances maritimes de commercer dans des colonies qu'il nous ſerait difficile, impoſſible même de reconquérir, nous obtenons celui de commercer dans les leurs; voilà le fruit de nos avantages ſur le continent! Ce n'eſt donc pas ſeulement une compenſation de nos pertes que nous obtenons, c'eſt un avantage réel pour le développement des reſſources induſtrielles de la République. Enfin, pourrait-on ajouter, le Corps légiſlatif doit opter entre l'abandon à l'Angleterre des îles à ſucre qu'elle a conquiſes, [44] & l'adoption de la meſure propoſée; c'eſt-à-dire, entre la ruine abſolue du commerce français & les moyens de lui ouvrir de nouvelles ſources de proſpérité. Craindrait on que quelque nouveau Robeſpierre s'écriât encore: Périſſent nos Colonies, plutôt que de renoncer à un ſeul de nos principes! Mais s'il y a une violation de principes à craindre dans la fatale circonſtance où ſe trouve la France par rapport à ſes Colonies, cette violation de principes, cette violation de l'acte conſtitutionnel ſera formellement prononcée dans l'abandon à l'Angleterre des îles qu'elle a conquiſes, & elle ne l'eſt pas dans leur indépendance: car l'acte conſtitutionnel ne peut rigoureuſement exiger autre choſe, ſinon que ces îles ne deviennent pas la poſſeſſion d'une autre puiſſance; & cette nouvelle combinaison politique ne les fait paſſer ni ſous la domination de l'Eſpagne, ni ſous celle de l'Angleterre.

Il eſt ſans doute utile de donner un apperçu ſur les moyens d'exécution. Il ne faut pas que ces contrées, depuis ſi long-temps déchirées par les guerres d'opinion, ſoient expoſées à devenir encore le théâtre des ſections. Si cette indépendance reſpective des îles à ſucre doit être garantie par les puiſſances maritimes celles-ci doivent ſe concerter, ſur le gouvernement [45] que ces îles doivent adopter. Ces puiſſances maritimes doivent nommer reſpectivement des commiſſaires; ſavoir, la France deux, l'Angleterre deux, l'Eſpagne deux, la Hollande un & le Danemark un; ces commiſſaires réunis feront la conſtitution des îles à ſucre. Cette conſtitution ſera agréée par les cinq puiſſances ſuſdites, & enſuite envoyée aux Antilles avec des forces combinées, pour la mettre à exécution, ſous la garantie des puiſſances qui l'auront agréée; & alors tout rentrera dans l'ordre.

 

Guillaume-le-Disputeur.