BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Jean Jaurès

1859 - 1914

 

De primis socialismi germanici lineamentis

apud Lutherum, Kant, Fichte, Hegel

 

Translatio gallica

Préface de Adrien Veber

 

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[7]

Les Origines

du Socialisme Allemand

 

Telle est, non pas la traduction juxtalinéaire, mais le sens du titre de la thèse latine que M. Jean Jaurès, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur de philosophie à la faculté de Toulouse, à eu le courage de présenter et de soutenir avec éloquence devant le jury de la Sorbonne. M. Jaurès n'est pas un inconnu pour nos lecteurs. Dès 1888 et 1889, avant que les mesquines nécessités du scrutin d'arrondissement aient momentanément privé le Parlement de cet homme remarquable, nous avons maintes fois eu l'occasion de signaler l'avancement progressif de ses idées. Élu en 1885 avec un programme assez modéré, M. Jaurès a constamment évolué depuis, d'abord à la Chambre où il a toujours voté les lois ouvrières dans le même sens que les socialistes, et où, au lieu de mettre, comme tant d'autres, une sourdine à ses opinions, il s'est, au contraire, consciencieusement appliqué à trouver pour se déterminer des raisons désintéressées et d'ordre purement social.

Revenu en 1889, à ses études, et à ses élèves, M. Jaurès n'abandonna pas la politique. Et s'il manque à ses articles de journaux, dont nous citons parfois des passages, l'expansion que pourrait seule lui donner la publicité d'un journal de Paris, leur valeur socialiste n'en est pas moins précieuse à noter, au point de vue de l'influence qu'ils peuvent exercer en province pour la préparation des esprits aux prochaines élections... L'individualisme y est toujours [8] combattu au nom de la collectivité et pour la véritable liberté, la liberté de tous, limitée rationnellement par le devoir social de chacun.

Où trouver la cause finale des affirmations de plus en plus socialistes de l'homme politique, si ce n'est dans les méditations du philosophe, dont voici le premier fruit, fruit sâvoureux dont la belle venue nous en fait présager d'autres. Car M. Jaurès philosophe nous doit plus qu'une brochure latine sur les premiers contours du socialisme allemand, sur les germes socialistes semés par Luther, Kant, Fichte et Hegel. Nous attendons du jeune et brillant professeur un grand ouvrage de philosophie socialiste. Nous ne voulons considérer sa thèse latine que comme l'un des premiers boutons de sa floraison socialiste.

Mais trêve d'éloges; la traduction intégrale de la présente thèse dans la Revue Socialiste est un hommage suffisamment éloquent rendu à la vaillance du professeur, au talent de l'écrivain, à la profondeur du philosophe, à la perspicacité du politique, à la mentalité du moraliste.

Selon le voeu que l'on nous a exprimé, notre traduction sans commentaires sera presque littérale. Et bien que ça et là il m'ait été difficile de rendre en français, soit l'énergie soit la nuance exacte de l'expressijn latine, je me suis efforcé de mériter le moins possible l'épithète courante de traduttore traditore.

La thèse de M. Jaurès est divisée en quatre chapitres: Luther, – De l'Etat chez Kant et Fichte, – Le Collectivisme chez Fichte, – Hegel, Marx et Lassalle. Aujourd'hui paraît Luther, – en juillet les deux chapitres si intéressants et nouveaux sur la genèse de la liberté collectiviste chez Kant et Fichte enfin mieux compris, – et en août les suggestives et inattendues comparaisons entre Hegel, Marx, Lassalle, et Benoît Malon.

Mais il est temps de laisser la parole à M. Jaurès. [9]

Un dernier mot cependant. L'on a créé, à la Sorbonne: la chaire de la Révolution, pour M. Aulard; au collège de France: la chaire du Positivisme, pour M. Laffite. A présent que l'Université possède parmi les siens un docteur en socialisme, offrant sans conteste toutes les garanties de lumières et de désintéressement désirables, que ne crée-t-on une chaire de Socialisme?

 

Adrien Veber.

Juin 1892.