BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Christine de Pizan

vers 1364 - vers 1431

 

L'Avision de Christine

 

La tierce partie

 

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XI

Dit Christine

comment elle se mist a lestude

 

Ainsi en cellui temps que naturellement estoit parvenu mon aage au degre de cognoiscence regardant derriers moy les adventures passees et devant moy la fin de toutes choses Tout ainsi comme un homme qui a passe perilleuse voye se retourne arriere regardant le pas par merveille/ et dit que plus ny entrera et que a meilleur se tendra/ Ainsi considerant le monde tout plein de laz perilleux/ et que il nest fors pour toute fin un seul bien qui est la voye de verite me tray au chemin ou propre nature et constellacion mencline. Cest assavoir amour destude. Adonc cloy mes portes Cest assavoir mes sens que plus ne fussent tant vagues aux choses foraines et vous happay ces beaulx livres et volumes/ et dis que aucune chose recovreroye de mes pertes passees ne me pris pas comme presomptueuse aux parfondesces des sciences obscures es termes que ne sceusse comprendre, sicomme dit cathon/ lire et non entendre nest mie lire/ ains comme lenfant que au premier on met a la. b. c. d. me pris aux hystoires ancienes des le commencement du monde/ les hystoires des hebrieux/ des assiriens et des principes des seigneuries/ procedant de lune en lautre descendant aux rommains/ des francois/ des bretons et autres plusieurs hystoriagrafes/ apres aux deducions des sciences selon ce que en lespace du temps que ie y estudiay jen pos comprendre

puis me pris aux livres des pouetes/ et comme de plus en plus alast croiscent le bien de ma cognoiscence Adonc fus ie aise quant ioz trouve le stile a moy naturel me delittant en leurs soubtilles covertures et belles matieres mucees soubz fictions delictables et morales/ et le bel stile de leurs metres et proses deduittes par belle et polie rethorique aournee de soubtil lenguage et proverbes estranges/ pour laquelle science de poesie nature en moy resiouye me dist/ fille solace toy quant tu as attaint en effait le desir que ie te donne Ainsi continuant et vacant tous iours a lestude comprenant les sentences de mieulx en mieulx

Ne souffist pas atant a mon sentement et engin Ains volt que par lengendrement destude et des choses veues nasquissent de moy nouvelles lettures. Adonc me dist/ prens les outilz et fiers sur lenclume/ la matiere que ie te bailleray si durable que fer ne feu ne autre chose ne la pourra despecer si forge choses delictables ou temps que tu portoies les enfans en ton ventre grant douleur a lenfanter sentoies/. Or vueil que de toy naiscent nouveaulx volumes lesquieulx le temps avenir et perpetuelment au monde presenteront ta memoire devant les princes et par lumiers en toutes places lesquieulx en ioye et delit tu enfanteras de ta memoire non obstant le labour et travail lequel tout ainsi comme la femme qui a enfante/ si tost que ot le cry de lenfant oublie son mal/ oubliera le travail du labour oyant la voix de tes volumes

Adonc me pris a forgier choses iolies a mon commencement plus legieres/ et tout ainsi comme louvrier qui de plus en plus en son oeuvre sasoubtille comme plus il la frequente/ Ainsi tousiours estudiant diverses matieres mon sens de plus en plus simbuoit de choses estranges amendant mon stile en plus grant soubtillete et plus haulte matiere depuis lan .M. CCC .xx..iiii. xix. que je commencay jusques a cestui .CCCC. et cinq. ouquel encore ie ne cesse/ compiles en ce tandis .xv. volumes principaulx. sanz les autres particuliers petiz dittiez lesquelx tous ensemble contienent environ .lxx. quayers de grant volume comme lexperience en est manifeste/ Et comme grant louenge pour ce ny affiere/ car pou y a soubtillete par vantance dieux scet que ne le dis mais pour continuer lordre de mes bonnes et mauvaises adventures.